[Spiritourisme] Michel Fayad décrypte l’histoire du tourisme à la Martinique

Si aujourd’hui le spiritourisme autour du rhum ne fait plus débat en Martinique, il n’en a pas toujours été ainsi. Michel Fayad, responsable du musée du rhum et de l’habitation La Salle (Saint-James), nous raconte comment les Martiniquais se sont culturellement réapproprié leur rhum, avant d’en faire un véritable atout pour attirer les touristes. Une manne qui leur permet aussi de sauvegarder tout un pan de leur histoire et de leur patrimoine culturel.

Saint James

Est-ce que les martiniquais sont fiers de leur rhum ?

Aujourd’hui oui, mais ça n’a pas toujours été le cas. Car le sucre et le rhum à la Martinique, dans la Caraïbe et même dans les Amériques sont issus d’une histoire douloureuse, à savoir celle de la traite et de la colonisation.

Michel Fayad
Michel Fayad

Le rhum martiniquais, alcool de base à la Martinique à cette époque, qu’on avait à moindre frais sur les habitations, a été considéré comme l’alcool du pauvre, un alcool de douleur, voir même de détresse qu’on buvait lors des veillées mortuaires, des enterrements ou des chagrins d’amour.

En tout cas, l’image du rhum est très bonne dans l’hexagone aujourd’hui !

Là encore je vous répondrais, aujourd’hui oui, mais ça n’a pas toujours été le cas non plus, car dans les années soixante, on parlait du petit rhum, utilisé dans la cuisine, la pâtisserie, qui servait à faire des grogs, ou à flamber des bananes.

Le rhum à cette époque était fait à partir de mélasse, et utilisé non comme un produit, mais comme un ingrédient.

Saint James
Musée Saint James

Aujourd’hui, l’image du rhum et de la Caraïbe se sont associés, et représente du coup, pour l’Européen, le voyage, le grand large, l’aventure, les flibustiers, les pirates et autres boucaniers. Et dans cet engouement pour le rhum des îles, en cherchant la petite pépite rare, ils ont découvert qu’il existait à la Martinique, un rhum issu directement du jus de cannes pressé, et des producteurs qui se battaient depuis 1970 pour obtenir une Appellation d’Origine Contrôlée, mais qui se heurtaient à des formalités administratives.

Le tourisme à la Martinique à cette époque, vivait paisiblement sur sa rente de situation climatique et florale, qui lui assurait des revenus corrects.

La fameuse Martinique «île aux fleurs» ?

Exactement, pendant de très longues années, la Martinique s’est considérée comme une station balnéaire, mettant en avant sa nature, son climat, et sa douceur de vivre, mais la culture martiniquaise, trop souvent revendicative, est restée absente de l’offre touristique.

Est ce que le spiritourisme a permis au rhum de redorer son image ?

Le Spiritourisme, né à Saint-James, au musée du rhum plus exactement dans les années 90, n’a pas simplement permis au rhum de redorer son image, mais a été une véritable révolution culturelle et économique, qui a mis l’homme martiniquais, avec son histoire, sa culture, son patrimoine, et son produit régional (le rhum agricole) au cœur de la politique touristique martiniquaise.

Spiritourisme Martinique

Ce processus a pris plus de 20 ans à se mettre en place, malgré l’obtention de L’AOC en 1996. Il faut dire que les responsables touristiques étaient très perplexes sur cette nouvelle orientation touristique. « N’est ce pas paradoxal, disaient ils, de mettre le produit rhum, issu d’une histoire aussi chaotique et douloureuse, comme produit d’appel touristique?” Le rhum représentait un alcool de souffrance, travailler dans une usine, couper la canne, étaient considérés comme des sous métiers.

Le rhum est un alcool fort, accessible, qui ne faisait rêver personne, et d’ailleurs dans les grandes cérémonies en Martinique, (baptême, mariage, dancing…), les alcools importés tenaient en permanence le haut du pavé.

Comment les martiniquais se sont ils réapproprié leur rhum?

Petit à petit, avec l’arrivée massive des touristes dans les distilleries, avec la reconnaissance internationale de l’Appellation d’Origine Contrôlée, avec la curiosité des méthodes de fabrication (machine à vapeur du XIXème siècle), avec les méthodes modernes de recyclages de déchets et d’économie d’énergie, avec les multiples médailles d’or au Salon international de l’Agriculture de Paris et dans les grands concours à travers le monde, avec l’arrivée des journalistes du monde entier venus découvrir le fameux rhum-AOC, les Martiniquais se sont réappropriés petit à petit, et surtout réconciliés avec ce fameux rhum, constitutif de l’histoire martiniquaise.

Quel autre facteur a permis au rhum de regagner ses lettres de noblesses ?

Le packaging : Saint-James dès 1993, a retravaillé son packaging et sa présentation en anticipant sur le prestige de sa marque, dans le cadre du futur développement de son musée. Le rhum martiniquais est devenu depuis cette époque, un produit que l’on offre à ses amis, plus encore qu’un produit que l’on consomme pour soi-même.

Habitation Lassalle
Habitation Lassalle

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui la demande internationale est nettement supérieure à notre capacité de production. Le spiritourisme est une véritable « success story », avec plus de 800 000 touristes qui visitent les distilleries martiniquaises chaque année, et fait de la Martinique la première destination “spiritourisme” de France.

Aujourd’hui encore le spiritourisme a créé un cercle vertueux de développement économique à la Martinique, il a permis de restaurer une grande partie du patrimoine matériel : patrimoine industriel (usine), architectural (maison coloniale & habitation en pierre), ferroviaire (locomotive d’antan), religieux (petite chapelle ou petit temples indiens)… et ensuite d’installer dans ces lieux, à l’instar du musée du rhum, des centres culturels diffusant un patrimoine immatériel riche en création, (la danse, les chants, le bèlé, la musique, la littérature et l’art contemporain).

Le spiritourisme est aujourd’hui en train de créer un rapprochement des différentes communautés autour d’un projet commun autour de ce produit régional, ou chacun apporte sa part d’humanité. La filière emploie aujourd’hui plus de 4000 personnes.

Spiritourisme Martinique

Comment se porte le musée du rhum Saint-James ?

Le musée du rhum, créé en 1980, est toujours resté dans l’innovation . Il a installé depuis 1982 la fête du rhum, en 1994, une galerie d’art contemporain, la fête de fin de récolte en 1995, une locomotive à vapeur en 2002, qui relie le musée du rhum au musée de la banane et maintenant vers l’habitation La Salle, Un festival de jazz, en partenariat avec l’Atrium scène nationale, les rassemblements de la diaspora indiennes (Mela), et en quelques années l’usine Saint-James est devenu une véritable entreprise citoyenne, participant, non seulement au développement économique de la région mais surtout à son rayonnement culturel.

Du point de vue touristique, le Martiniquais aujourd’hui est apprécié, non plus pour la douceur de son climat, ou la beauté de ses paysages, mais pour l’originalité de sa culture et de son savoir-faire en matière de produit régional. L’accueil s’est transformé en hospitalité.

Site internet : www.michelfayadspiritourismemartinique.fr

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