[Rhums hexagonaux] La distillerie d’Isle de France, ou le rhum produit à la ferme

Avec cette nouvelle rubrique, Rumporter va creuser le sillon tracé par le dossier sur les rhums hexagonaux publié dans le numéro 24 et partir à la rencontre de celles et ceux qui distillent du rhum sur le territoire métropolitain. Commençons en allant découvrir la Distillerie d’Isle de France, sise en Seine-et-Marne. Et si cela ne vous semble pas très exotique, attendez de goûter les rhums et d’écouter les idées toujours originales d’Olivier Flé, Michael Landart et Antonin Van Niel.

distillerie d’Isle de France
De gauche à droite : Antonin Van Niel, Michael Landart and Olivier Flé.

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas sous des climats chauds et humides, ou dans des champs de canne à sucre bordés par des océans exotiques, des forêts luxuriantes, ou des volcans mal éteints, que nous vous emmenons… mais dans la campagne briarde en Seine-et-Marne (77).

Plus exactement à Fresnes-sur-Marne. Là, à quelques encablures de l’église du village, fume une petite distillerie équipée d’un alambic Stupfler®, nichée dans l’ancienne ferme du château ayant appartenu à la comtesse de Ségur, construite en 1760. Si vous passez la large porte coulissante, vous serez sans doute accueilli par Pétrus, le labrador (c’est une femelle), qui « garde » les lieux… en faisant la fête aux nouveaux venus.

Vous verrez aussi une belle maison de maître sur votre droite, et à gauche, dans un long bâtiment qui servait auparavant d’étable ou encore de garage, vous attendra Olivier Flé. Cet agriculteur originaire de Versailles (78) qui cultive quelque 200 hectares de terres : blé, orge de printemps, lin, maïs… y distille depuis 2019 du gin, du rhum et du whisky. Mais comment diable cela est-il arrivé ?

distillerie d’Isle de France

Le mec un peu fou qui faisait des cocktails à ton mariage

C’est Antonin Van Niel, son ami d’enfance et associé qui en parle le mieux. « Quelques semaines après mon mariage en 2016, Olivier me téléphone et me confie qu’il a dans l’idée de monter une distillerie. Il me demande alors de le mettre en relation avec “le mec un peu fou” qui faisait les cocktails à mon mariage », raconte celui qui travaille comme consultant en informatique depuis l’Italie. Le « mec » en question n’est autre que Michael Landart, un bartender de renom qui officie au Maria Loca à Paris (75004). Le premier contact avec est fort court, puisque le globe-trotter se trouve en pleine dégustation de rhum à… l’île Maurice.

Mais quelques semaines plus tard, Michael rappelle Olivier, et lui annonce qu’il est partant pour monter une distillerie avec lui. Les deux hommes décident alors de suivre une formation ensemble afin de mieux se connaître et d’en apprendre davantage sur leur future occupation. Ils partent donc une semaine au CIDS à Cognac. « On venait d’univers très différents, mais on s’est tout de suite bien entendus, on avait la même philosophie des produits », se souvient Olivier. Et entre temps, Antonin, flairant qu’une belle aventure humaine était en train de se nouer, s’était joint au duo, le transformant en trio. La distillerie d’Isle de France était née. Ou presque…

distillerie d’Isle de France

Versailles, dans le Kentucky

Car après plusieurs séances de tests et de dégustation, Olivier, Michael et Antonin, décident de se payer un alambic Stupfler®. Or la demande est telle pour ces petits bijoux de cuivre, qu’il leur faudra attendre deux ans pour l’avoir enfin entre les mains. « On l’a commandé en avril 2017, et on a pu commencer à distiller en juin 2019 », raconte Olivier.

Mais attendez, je ne vous ai toujours pas raconté pourquoi et comment cette drôle d’idée d’installer une distillerie à la ferme est venue à Olivier. Il nous faut donc à nouveau remonter le temps, jusqu’à la récolte 2016 plus précisément. Laquelle fut tellement catastrophique, que nombre d’agriculteurs de la plaine briarde décident de ne plus dépendre uniquement de la culture céréalière, mais de développer à côté des activités de diversification.

Et cela tombe bien, puisqu’arrivée à la tête de la région en 2015, Valérie Pécresse vient de mettre en place des subventions en ce sens. « Certains de mes collègues ont fait des glaces à la ferme, d’autres des pâtes, ou encore des fraises ou des chèvres, moi j’ai voulu faire du whisky » explique Olivier.

Oui, mais pourquoi du whisky ? « C’est en allant chez mon caviste habituel que j’ai eu l’idée. Il m’a présenté un whisky qui avait été fait à Versailles. Or c’était impossible, j’en suis originaire et je sais qu’il n’y a pas de distillerie, raconte Olivier. En fait il s’agissait de Versailles dans le Kentucky, mais cela a semé la graine et je me suis dit, pourquoi pas moi ? »

distillerie d’Isle de France

Du rhum et du falernum

Dans les faits, le trio ne s’essaie pas tout de suite au whisky, mais au gin. Question de rentabilité financière. Le whisky doit vieillir 3 ans, le gin peut être commercialisé très rapidement après sa sortie d’alambic. Au moment où nous écrivons ces lignes, la Distillerie d’Isle de France propose d’ailleurs 3 cuvées de gin fort bien faites, qui peuvent s’apprécier tant en cocktail ou long drink, que purs.

Nous avouons même un petit faible pour le gin d’automne à la carotte et aux noisettes ! Vous vous en doutez, entre deux distillations bizarroïdes (des lies de riz obtenus après la production du saké par exemple), la fine équipe s’essaie au rhum.

Le premier batch, un blanc à 40 %, sera réalisé à partir de mélasse importée du Laos. « Nous pratiquons une fermentation d’une semaine, et une double distillation pour éviter le côté un peu lourd de la mélasse », explique Antonin. Depuis, la mélasse du Laos a été remplacée par de la mélasse de Cuba, mais le rhum reste dans la même veine, avec des notes végétales, épicées, de la rondeur, mais pas de sucre.

Le trio a aussi sorti un falernum, qui est historiquement une liqueur à base de rhum assez sucrée, de citron vert, d’amandes et d’épices, originaire de la Barbade, créée au 18e siècle, et qui titre en général entre 10 et 20 %. « Nous partons de notre rhum de mélasse distillé une fois que nous faisons macérer avec des amandes, du gingembre, du clou de girofle, du citron… Et on redistille ensuite.

Au final on a un produit qui titre 40 %, et qui plaît beaucoup aux barmen, car il n’est pas sucré et qu’il peut servir de base à leurs cocktails », dévoile Antonin. Pour la petite histoire, c’est Cyril Lawson, de chez HSE, qui après dégustation les a convaincus de ne pas sucrer leur falernum. Toujours pour la petite histoire, Olivier, Antonin et Michael ont même tenté de faire du rhum de pur jus de canne, en faisant venir du jus de canne congelé d’Asie… avant de se rabattre définitivement sur la mélasse devant le coût financier et écologique de l’entreprise.

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Des pépites en gestation

La distillerie dispose aussi d’un chai où patientent une petite vingtaine de fûts. Du whisky, bien sûr, puisque c’était l’idée de départ d’Olivier, mais aussi du rhum. Et nous pouvons d’ores et déjà vous annoncer que dans quelques mois ou années de belles choses vont sortir de ce chai.

Nous avons notamment pu déguster des rhums qui vieillissaient dans des ex-fûts de vin rouge et blanc, ou encore dans un tonneau d’exposition de la tonnellerie Navarre glanée au Rhum Fest 2022, un mélange d’accacia, de chêne américain et de chêne français ! Au vu des résultats prometteurs de ces rhums goûtés au fût à haut degré (avec toujours cette trame végétale, fraîche, épicée) on a hâte de voir ce que donnera finalement le vieillissement continental Seine et Marnais !

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