Avec son approche d’affineur-éleveur, qui fait vieillir, assemble, et filtre lui-même les rhums qu’il sélectionne, Florent Beuchet a su se tailler une place de choix parmi les embouteilleurs indépendants. Surtout que sa « Compagnie des Indes » jouit d’une certaine antériorité et a déjà embouteillé des dizaines de rhums provenant du monde entier. Rencontre avec ce passionné qui n’a pas fini de nous faire rêver.
Tu te présentes comme affineur/éleveur, quelle est ta valeur ajoutée par rapport à un embouteilleur « classique » ?
Chez Compagnie des Indes nous sommes embouteilleurs indépendants, mais surtout affineurs et éleveurs de rhums. Contrairement à des embouteilleurs « classiques », notre valeur ajoutée et notre différence sont que nous recevons les rhums, nous les travaillons, nous les affinons, nous les filtrons, nous les assemblons et nous les embouteillons.
On fait tout nous-mêmes, on les dilue tranquillement, et surtout on goûte nos fûts (souvent) pour voir leurs évolutions. Contrairement aux « Armchair bottlers » comme en Angleterre ou en Écosse qui sont des gens qui reçoivent juste des listes de prix, qui sélectionnent des produits sans jamais avoir vu le fût, ni même dégusté le produit, et qui le font livrer à un endroit où il sera ensuite embouteillé et commercialisé.
C’est pour cette raison qu’on aime ce terme d’affineur et d’éleveur, puisqu’on reçoit des rhums et on les travaille pour leur apporter une authenticité. Nous ne sommes pas simplement des embouteilleurs ou des marketeurs.
Comment fais-tu tes sélections ?
J’essaie de travailler avec des distilleries qui ont un savoir-faire et qui sont honnêtes. Mais bien sûr, l’idée de la sélection à travers la Compagnie des Indes est de montrer le plus grand panel de rhums possible aux consommateurs.
Nous essayons donc de sourcer nos rhums dans le plus grand nombre de pays, afin de dénicher des «pépites». Un peu à la manière d’un « Indiana Jones du rhum » qui part explorer au fin fond des Caraïbes, au fin fond de l’Amazonie, ou encore de l’Amérique latine, des petites distilleries cachées dans l’intention de faire découvrir des profils de rhum différents.
Concrètement, comment sources-tu tes futurs embouteillages ?
C’est simple, je navigue à travers mon cabinet d’échantillons avec des rhums de tous horizons. Je les reçois des distilleries du monde entier. Ce qui m’intéresse avant toute chose c’est bien sûr le côté organoleptique, mais il est vrai aussi que la technique de production ou la taille de la distillerie, son côté confidentiel… peuvent me motiver.
Il est toujours plus intéressant de mettre en avant les produits de petits producteurs qui ne sont pas connus de la masse et qui méritent de l’être. Je pense à certaines distilleries familiales à Maurice, en Équateur, au Paraguay, en Afrique, etc.
As-tu déjà fait appel à Main Rum Company ou un autre négociant ?
Oui il m’est arrivé d’avoir à passer par Main Rum ou d’autres négociants anglais ou hollandais. Il faut juste prendre le meilleur de ce qu’ils peuvent proposer et réussir à poser les bonnes questions pour avoir des offres que les autres n’ont pas.
Aussi, je les utilise parfois pour faire venir des produits que j’ai sélectionnés à l’autre bout du monde dans leurs containers. Un bon moyen d’économiser sur le transport et le dédouanement.
Le vieillissement de tes cuvées se fait principalement sous les tropiques ou en France ?
Cela dépend de chaque single cask que j’embouteille. Certains ont vécu 100 % de leur temps sous les tropiques, et pour d’autres c’est pratiquement le contraire. Il y a du bon dans chaque système, il s’agit surtout de bien sélectionner les fûts.
Dans les tropiques, le bois influence beaucoup plus rapidement le rhum, ainsi si les producteurs ne goûtent pas assez souvent leur parc de fûts, certains d’entre eux peuvent se retrouver imbuvables au bout de 5 à 7 ans, car le fût a trop marqué le spiritueux (c’est du jus de planche en gros).
Mais seuls certains rhums très concentrés en arômes sont capables d’accepter un vieillissement continental total. Dans les climats continentaux, l’avantage c’est que les rhums s’affinent plus tranquillement et ils deviennent donc selon moi plus élégants, mieux balancés. Il me faut juste trouver ce bel équilibre dans les rhums que je choisis, qu’ils aient vieilli sous les tropiques ou dans un climat continental.
Quel type de rhum préfères-tu, et pourquoi ?
J’aime le monde du rhum en général puisqu’il offre un panel d’arômes très vaste, contrairement à celui du whisky qui est un peu plus resserré. Dans l’univers du rhum, on va du très gourmand vanillé, au très expressif et puissant.
Bien sûr, puisque j’ai éduqué mon palais au fil du temps, il est vrai que j’apprécie les rhums très chargés, avec de fortes concentrations en alcools supérieurs et en esters. Comme des rhums high esters ou des rhums grands arôme, ce sont eux qui reçoivent le plus d’attention de ma part.
Quel regard portes-tu sur l’embouteillage indépendant et que penses-tu de la multiplication des acteurs ?
L’embouteillage indépendant a toujours existé, l’exemple type est Johnny Walker qui a commencé il y a très longtemps pour le whisky. Ça a un intérêt parce qu’on apporte une valeur ajoutée, à l’instar d’un maître de chai qui va travailler ces rhums, les affiner, les assembler pour apporter le produit le plus mûr possible dans la bouteille.
Il y a aussi cette idée d’avoir la possibilité d’offrir un panel large de produits de manière à contenter la majeure partie des consommateurs. Tout le monde peut y trouver son compte, qu’on aime les rhums un peu plus ronds, plus gourmands, les rhums plus condensés, les rhums plus expressifs ou les rhums plus charnus comme les high esters ou les grand arôme.
Concernant la multiplication des acteurs, c’est une bonne chose parce qu’on arrive à proposer des choses différentes aux consommateurs. Il faut juste bien s’assurer que les rhums qu’on achète auprès d’autres embouteilleurs indépendants soient des rhums qui ont vraiment été travaillés, et pas juste été sélectionnés sur une liste de tarifs via des échanges d’emails.
Terroirs Distillers est maintenant actionnaire majoritaire de La Compagnie des Indes, peux-tu nous raconter ce rapprochement et quels en sont les bénéfices ?
L’idée de l’association avec Terroirs Distillers est de permettre à la marque de grandir et de s’affranchir de certaines problématiques techniques que j’ai pu rencontrer lorsque j’étais seul. Aujourd’hui, je me concentre uniquement sur la partie la plus fun de mon travail, c’est-à-dire la sélection, l’assemblage et le travail des produits.
Je n’ai plus à me soucier de la partie un peu plus bureaucratique, à savoir les commandes de matières sèches, les bouteilles, les bouchons, les étiquettes, ou encore de la comptabilité. C’est donc une très bonne chose pour nos deux structures.
De mon côté, j’apporte mon savoir- faire et mes relations dans le monde du rhum pour continuer à aller chercher toujours de nouveaux produits et séduire nos consommateurs. De l’autre côté, l’alliance avec une entreprise bien organisée comme Terroirs Distillers me permet de mieux me structurer et de mieux travailler sur le long terme.
Ton activité a 10 ans, des cuvées spéciales pour l’occasion ?
En 2024, la marque fête ses 10 ans. Nous allons avoir en fin d’année, début d’année 2025 des embouteillages spécifiques. Mais nous souhaitons rester confidentiels sur le sujet pour le moment.
Quelles sont tes sélections qui t’ont le plus marquées ?
Tout d’abord dans les plus récentes, il y a « The Great Whites » un rhum blanc du Vietnam, un terroir encore peu connu. Ces rhums ont la particularité d’offrir des notes très prononcées sur la truffe, ce qui les rend vraiment intéressants.
Après il y a eu beaucoup de single casks, environ 500 différents… et je dirais qu’une bonne cinquantaine ont retenu mon attention, mais sur cette cinquantaine quelques-uns m’ont marqué tout particulièrement, comme le Jamaica Hampden 16 ans vieilli en chêne français 100 % qui était exceptionnellement bien balancé.
Mais aussi, un rhum de la distillerie Ten Cane désormais fermée, que nous avons embouteillé récemment, en brut de fût avec son côté suave et rancio très bien équilibré, mais aussi la canne fraîche qui ressortait. Ou encore, un de mes rhums Indonesia en batavia arrack 8 ans d’âge à 43 % qui était vraiment un ovni, quelque chose de très intéressant, c’était Alice au pays des merveilles. Il y en avait dans tous les sens…
Et pour finir, un Trinidad 16 ans single cask de la distillerie TDL (Trinidad Distillers Limited). Un rhum de 2003 avec une aromatique très exacerbée, un côté mentholé, rancio, pruneaux confits, très suave en bouche. Juste exceptionnel !
Quels sont tes projets ?
Je pars très prochainement dans les Caraïbes pour aller sourcer de nouvelles distilleries et de nouveaux fûts. Et nous avons pour projet de futurs embouteillages très intéressants dans des pays encore jamais présentés.