Dossier : Les grands axes du rhum agricole des DOM à l’export

Très fort sur ses marchés locaux dans la Caraïbe, également en métropole avec une belle montée en gamme, le rhum agricole commence à remporter de petits mais jolis succès sur quelques marchés export sur une catégorie par définition limitée en volume. Une équation originale à multiples dimensions !


« Personne dans la profession n’arrive réellement à gagner sa vie à l’export. C’est au mieux à l’équilibre, au pire une perte plus ou moins importante », nous douche d’entrée Nicolas Legendre, directeur général délégué de Spiridom. Disons-le tout de suite, si le combat des rhums agricoles des DOM pour exister à l’export (hors métropole) n’est pas un chemin de croix, il est loin d’être pavé de pétales de roses.

En effet, selon le CirtDom, les volumes de rhum agricole vendus à l’export étaient de 931.27 HLAP en 2019, contre 1043 HLAP en 2018, soit environ 2% du total hors contingent. Un maigre bilan qu’il s’agit de mettre en perspective : rappelons que les rhums agricoles (Martinique, Guadeloupe, Guyane et de façon anecdotique de La Réunion) ne représentent que 2% des ventes de rhum dans le monde.

Le reste étant trusté par des rhums de mélasse et dans une moindre mesure de miel de canne ou de pur jus. La Réunion a fait le choix de l’industrie sucrière et ne produit que peu de rhum de jus de canne (environ 1%), la Guyane compte environ 100 hectares de champs de canne, tandis que la Guadeloupe ou la Martinique ne peuvent étendre indéfiniment leur production.

« Notre capacité est limitée, le territoire n’est pas extensible même si demain nous transformons l’ensemble de l’agriculture en Guadeloupe en champs de canne, nous resterions ‘petits’ en termes de quantité de rhum produite, analyse François Longueteau. D’où le choix d’être sur des marchés de niche et de se positionner sur des spiritueux haut de gamme. »

Pour s’imposer, le rhum agricole tente donc de mettre en avant l’excellence à la française et se présentent comme un produit de gastronomie. Une stratégie qui a fort bien réussi au cognac, spiritueux de luxe par excellence.

Autre difficulté qui explique en partie ce positionnement, le rhum agricole des DOM est beaucoup plus cher à produire que ses concurrents du fait de la rémunération élevée du travail, le coût de l’intégration des normes françaises et européennes tant sur le plan social qu’environnemental et bien sûr, comme une grande partie des rhums, des surcoûts liés à l’insularité et l’importation de produits et machines qui servent à le fabriquer. Son prix de vente est donc souvent élevé, pour une qualité singulière et souvent méconnue.

Eduquer encore et toujours

En effet, sur beaucoup de marchés les consommateurs ne connaissent pas la différence entre un rhum élaboré à partir de jus de canne et un rhum élaboré à partir de mélasse. Alors d’ici à ce qu’ils sachent départager un rhum agricole d’un rhum de pur jus de canne…Le salut passe donc par des explications sans cesse renouvelées. Et ce n’est pas forcément un désavantage.

« Le terroir agricole donne beaucoup d’informations sur la façon dont il est produit donc c’est facile à expliquer aux clients car les règles sont claires, contrairement à certains rhums solera par exemple », nous raconte Florent Lenziani, un des fondateurs d’Excellence Rhum, qui voit venir à lui le monde entier grâce à son site internet et à sa boutique située dans le 6e arrondissement de Paris.

Et qu’en est-il des réglementations représentées par des acronymes difficiles à appréhender pour des étrangers, comme les IG ou les AOC ? « Les clients comprennent que notre réglementation est stricte et cela les rassure », estime Marie Hammer, directrice des ventes export chez BBS (La Mauny, Trois Rivières et Duquesne). Un avantage qui peut aussi être un inconvénient dans un monde où des marques ne cessent de se créer et où la créativité autour du rhum est en pleine effervescence. « L’AOC Martinique est un gage de qualité et de transparence mais cela bride aussi la créativité », estime Mathilde de Ramel, qui après avoir développé avec succès les rhums en AOC Martinique Clément en Italie, s’est tournée vers les rhums mauriciens Grays, qu’elle juge moins corsetés.

La bataille du goût

Reste la question du goût. L’immense majorité des consommateurs internationaux sont habitués soit au rhum ‘léger’, forcément moins aromatique que les rhums agricoles qui par définition sont tous des rhums riches, soit au rhum épicé de type Captain Morgan ou encore édulcoré comme Diplomático.

Beaucoup d’entre eux sont donc surpris en découvrant pour la première fois des rhums agricoles à la fois secs et très aromatiques ; qui plus est herbacés. Ces derniers auront davantage de facilités à se développer dans des pays où le palais des consommateurs est ‘éduqué’ (notamment des pays francophones comme la Belgique ou la Suisse) et où la consommation d’alcool blancs secs est déjà installée, comme la grappa en Italie, la vodka en Europe de l’Est ; dans une moindre mesure le gin en Grande-Bretagne qui est principalement consommé avec le fameux tonic water.

Ils auront beaucoup plus de mal sur des marchés comme les USA où le palais des consommateurs reste le plus souvent très sucré… du moins en apparence car certains producteurs ont bien compris la dynamique locale sur des produits authentiques et originaux comme le mezcal.

Convaincre les prescripteurs

Voyons à présent comment les marques de rhum agricole procèdent pour gagner des parts de marché à l’international. Nous avons vu que leurs coûts de production et la qualité des rhums, les poussaient à se positionner sur le segment des spiritueux haut de gamme. La première étape est donc de s’allier avec un importateur/distributeur qui possède ce type de produits dans son portefeuille de marques dans le pays visé, afin de les écouler sur le circuit on trade ou CHR (cafés, hôtels, restaurants).

Ensuite, c’est un travail de fourmi, un véritable sacerdoce. « Chaque jour que dieu fait, il faut aller avec son bâton de pèlerin convaincre les prescripteurs comme les barmen, les cavistes ou les journalistes », raconte Mathilde de Ramel. Car ce sont eux qui iront prêcher la bonne parole auprès des consommateurs finaux et relayeront l’entreprise d’éducation lancée par les marques de rhum agricole. Certaines d’entre elles vont parallèlement miser sur une stratégie digitale et évènementielle, comme Trois Rivières avec le concours Rumbellion ou encore Saint-James avec sa Bartenders Society.

L’obtention de médailles dans les concours internationaux est aussi un plus lorsqu’on s’adresse aux prescripteurs. De même que la présence dans les salons. Certaines marques décident aussi de faire évoluer leurs produits pour trouver des profils aromatiques que les consommateurs connaissent déjà, comme HSE avec ses finitions en fûts de whisky ou en fûts de Porto.

Un travail de longue haleine

Le développement du rhum agricole à l’international est donc un travail long et difficile, rarement rémunérateur à moyen terme. Mais pourquoi diable les marques continuent-elles ?

« C’est important d’être présents sur ces marchés car cela prépare l’avenir, un jour ou l’autre, nous sommes persuadés que le rhum agricole explosera, analyse Nicolas Legendre. Sur certains marchés déjà, les consommateurs achètent du rhum agricole bien qu’il soit plus cher que d’autres rhums. Dans ces pays nous gagnons désormais de l’argent. »

Le rhum agricole continuera probablement encore longtemps à se développer lentement et sûrement sur le segment des spiritueux d’excellence pour connaisseurs, portés par des marques comme Clément qui ouvre la voie par leurs succès aux USA ou en Italie. Sauf si, inspirés par l’exemple de Campari avec La Mauny et Trois Rivières, un grand groupe français ou étranger décide de mettre le paquet en investissant massivement dans le rhum agricole, apportant ainsi sa force de frappe marketing et sa capacité d’investissement nécessaire pour faire décoller la notoriété et la désirabilité de la catégorie.


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