Focus Distillerie : A 1710, le rhum martiniquais (Hors A.O.C) haute couture et différent

La marque créée par Yves Assier de Pompignan est parvenue en moins d’une décennie à s’imposer comme l’une des plus originales et des plus novatrices des Antilles françaises. Ses rhums souvent monovariétaux, parcellaires, bio, millésimés, issus d’un pressage unique, d’une fermentation longue, et d’une distillation en alambic valent en tout cas le détour et permettent de voir les rhums martiniquais (Hors A.O.C) sous un nouveau jour.

A 1710 est une sorte d’OVNI dans le ciel martiniquais. On a du mal à se représenter près de 10 ans après son ouverture, à quel point sa mise sur orbite début 2016 fut un événement qu’on pourrait presque qualifier d’historique.

Le joyau savamment poli par Yves Assier de Pompignan pendant 10 ans était en effet la première distillerie de rhum à ouvrir ses portes à la Martinique depuis les années 1930 !

Depuis, pas mal de marques et/ou de distilleries se sont lancées (Braud & Quennesson, Baie des Trésors…) en Martinique ou en Guadeloupe (Papa Rouyo…), et de rhum a coulé des colonnes, mais à l’époque c’était sacrément culotté !

Surtout que la nouvelle venue a fait le pari de se lancer dans le grand bain en visant immédiatement le marché du haut de gamme. Elle ne proposera que des produits pouvant être consommés en dégustation pure (même s’ils peuvent aussi entrer dans la composition d’un cocktail). Et dès le départ, beaucoup de cuvées sont parcellaires, millésimées, monovariétales, bio…

Autant de produits devenus presque courants, mais qui ne l’étaient pas en 2016. Quelques différences majeures viennent de plus distinguer A1710 des autres distilleries martiniquaises.

A1710 Yves de Pompignan
Yves de Pompignan voulait dès le départ produire un rhum martiniquais différent.

D’abord la canne à sucre est récoltée toute l’année (à la main exclusivement) et donc le rhum est produit en continu, alors qu’elle est coupée pendant la période sèche (en gros les 6 premiers mois de l’année) dans le reste de l’île.

La canne ne subit qu’une seule presse et le jus ne reçoit pas d’eau durant le processus (pas d’imbibition donc). La fermentation dure en général entre 4 et 8 jours, contre 120 heures maximum ailleurs, ce qui donne un vin de canne titrant 8 ou 9 % d’alcool, contre 5 ou 6 en général.

Et alors que la colonne à distiller est reine en Martinique, A1710 utilise deux alambics charentais couplés chacun à une petite colonne. Des spécificités qui expliquent aussi pourquoi A1710 n’est pas en AOC Martinique ! Mais revenons donc plus en détail sur ces différents aspects :

La genèse

Dès le départ, A1710 est pour Yves Assier de Pompignan une approche plaisir, déconnecté de l’obligation de résultats financiers immédiats. Le projet commence à être concret au début des années 2010.

Yves Assier de Pompignan a l’opportunité de racheter l’ancienne Habitation du Simon, au François, où il a des souvenirs d’enfance, qui sera transformé en espace d’accueil pour les visiteurs et de spiritourisme. « Le plus long, soit deux ans, a été d’attendre que les douanes nous donnent toutes les autorisations, se rappelle le fondateur. En effet, de mémoire d’agent, aucune distillerie n’avait ouvert ses portes et les process avaient été oubliés. Mais ils ont fait preuve de beaucoup de bonne volonté. »

Le projet étant de petite taille et ne menaçant pas l’ordre établi à la Martinique sur le front du rhum, il ne rencontre pas non plus d’opposition notable de la part des rhumiers. Yves Assier de Pompignan souhaite de plus faire des rhums qu’on ne trouve pas ailleurs en Martinique, en s’inspirant de ses voyages et des autres grands spiritueux qu’il a vu produire : cognac, whisky, armagnac, calvados…

Il fait donc le choix d’installer un alambic, d’opter pour des fermentations longues… et donc de se placer en dehors de l’AOC Martinique. « Nous sommes partis des produits que nous voulions créer, et des façons de travailler que nous voulions utiliser, et il s’est avéré que ça ne rentrait pas dans le cahier des charges, mais ce n’était pas contre l’AOC en tant que telle », précise-t-il. Il rappelle de plus que, jusque dans les années 1950, les alambics étaient courants en Martinique, bien loin du monopole actuel de la colonne simple.

La récolte de la canne à sucre

Aujourd’hui, la distillerie A 1710 possède 12 hectares de cannes à sucre en propre, avec un engagement fort envers l’agriculture durable (40 % en bio notamment). En complément, elle travaille avec des planteurs partenaires, dont certains en agriculture biologique, pour garantir une diversité et une qualité optimale des cannes utilisées.

Le mode de récolte à la main permet de travailler des variétés de canne oubliées, qui poussent de manière moins régulière et ne pourraient pas être récoltées autrement. « Certaines variétés sont sélectionnées pour leur robustesse : canne bleue, canne rouge, canne roseau, décrypte Marine de Reynal, la directrice marketing de la marque. D’autres pour leurs qualités aromatiques : canne cristalline, canne pen épi let, canne cannelle, canne vanille… »

La récolte est donc réalisée de manière sélective et à la main par assurée par son équipe de coupeurs de canne, formés à cette méthode rigoureuse, qui est un critère d’exigence dans le processus de production. Ce afin de préserver l’intégrité des cannes et d’éviter toute contamination des jus.

Cette approche artisanale garantit une coupe propre et permet une meilleure extraction du jus, sans altérer la qualité de la matière première. Contrairement aux récoltes saisonnières classiques, A1710 récolte toute l’année, en fonction de la maturité et du goût de la canne à un instant T.

Ce critère fondamental permet de ne travailler que des cannes à pleine expression aromatique, garantissant ainsi des rhums d’une grande finesse. « Le fait de récolter à la main présente également l’avantage de limiter le nombre de points de coupe, réduisant ainsi l’oxydation et la fermentation prématurée du jus dans la canne, nous apprend Marine de Reynal. Cette fraîcheur préservée est essentielle pour obtenir un vesou d’une pureté et d’une intensité aromatique optimales. »

A1710 broyage de canne à sucre
Chez A1710, les cannes à sucre ne sont pressées qu’une fois, sans imbibition.

Le broyage

Les cannes sont broyées immédiatement après la coupe afin d’éviter toute oxydation et fermentation indésirable. Contrairement aux méthodes classiques, les cannes ne sont pressées qu’une seule fois à travers les rolls du moulin.

Cette approche permet d’extraire le jus tout en conservant une bagasse légèrement humide après son passage. Aucune eau n’est ajoutée lors du broyage, afin de ne pas diluer le jus et de préserver toute sa richesse aromatique. « Cette méthode garantit un vesou plus concentré, permettant une fermentation et une distillation optimales pour révéler pleinement l’identité de nos rhums », analyse Marie de Reynal.

La fermentation

Chez A1710, la fermentation est une étape absolument essentielle. Différents types de levures, notamment des levures œnologiques, sont sélectionnées avec soin afin de développer les profils aromatiques souhaités.

A1710 a également fait le choix de fermenter en cuves thermorégulées pour des fermentations longues, pouvant dépasser une semaine. Cette durée prolongée permet une extraction des arômes plus intense et est générative de complexité. « Le vin de canne qui en ressort titre environ 8 ou 9 % selon le brix initial, mais entre la fourchette comprise entre 7 et 11 % », précise Yves Assier de Pompignan. « Ce processus exige une maîtrise rigoureuse des conditions de fermentation, mais il est essentiel pour obtenir des rhums d’une grande finesse et d’une profondeur aromatique exceptionnelle », abonde Marie de Reynal.

A1710 alambics
La distillerie fonctionne grâce à deux alambics charentais en cuivre, additionnés d’une colonne de 7 plateaux.

La distillation en alambics

En réalité, A 1710 a choisi l’alambic charentais ET la colonne, puisque les deux alambics, intégralement en cuivre (qui, dans une première vie produisaient du cognac), sont hybridés de colonnes de concentration à 7 plateaux. Ce qui permet de faire une seule passe. Cette méthode permet une distillation douce, précise, et une concentration optimale des arômes.

Les alambics et leur distillation discontinue permettent également une approche artisanale, par lots, et une parfaite traçabilité aussi pour le travail par variétés et en bio. Les distillateurs travaillent à un degré de coulage entre 68 et 70 %, relativement faible dans le monde du rhum agricole.

Cela garantit la conservation des arômes grâce à une présence encore importante des molécules « non-alcool » ou esters. Cela permet également de limiter l’apport en eau lors de la réduction pour conserver un maximum d’arômes.

La maturation des blancs

Dès la sortie de l’alambic, les distillats rejoignent le chai. L’équipe de production les isole généralement par lots qui représentent des parcelles, des variétés, du bio… « Une cuvée est donc composée de plusieurs batchs qui comprendront pour Renaissance ou la Perle différentes variétés de cannes ou de parcelles, pour d’autres différents lots de la même variété et/ou de la même parcelle, mais sur plusieurs jours », analyse Yves Assier de Pompignan.

Les distillats peuvent ensuite être sélectionnés pour être proposés en rhum blanc ou être mis en vieillissement. Pour un rhum blanc, 3 à 6 mois de maturation sont nécessaires, alternant des phases de repos et des réductions douces. La cuvée Renaissance patiente quant à elle près de 9 mois.

A1710 futs de chene

Le vieillissement

Le chai de vieillissement joue un rôle essentiel dans l’élaboration des rhums A1710. Le premier qui était logé dans un petit bâtiment agricole a été démonté et un autre mieux dimensionné et esthétique (il peut contenir 500 fûts) a été construit à la place.

« Il est exposé aux alizés d’un côté et à l’air de la montagne de l’autre, révèle Yves Assier de Pompignan. Les variations thermiques sont sensibles. Par exemple, en ce moment (en février 2025 NDLR) il peut faire 29° la journée et moins de 20° la nuit. »

Le choix des fûts est déterminant, car chaque type de fût apporte une structure propre. Le maître de chai utilise principalement des fûts de cognac (chêne français) réputés pour leur apport en tanins fins, et des fûts de bourbon (chêne américain), qui confèrent des notes gourmandes.

« La distillerie a aussi fait fabriquer des fûts hybrides sur mesure, combinant, par exemple, des douelles en chêne français et des fonds en chêne américain », nous informe Marine de Reynal.

Les vieillissements permettent d’aller chercher des arômes subtils et complexes : des notes de rancio, des arômes évoquant la tradition des vieilles eaux-de-vie qui pourront d’ailleurs rappeler la finesse et le fruité d’un cognac ou d’un armagnac.

Enfin, l’assemblage est une étape essentielle du travail de chai, afin de trouver le parfait équilibre entre structure, rondeur et complexité du rhum vieux. Certains rhums apporteront du corps et de la charpente avec des notes taniques et boisées profondes, d’autres ajoutent de la gourmandise avec des nuances de fruits confits et de torréfaction, tandis que des eaux-de-vie plus jeunes viendront rafraîchir l’ensemble avec leur vitalité et leur éclat aromatique.

« A1710 expérimente également des assemblages multifûts, où un rhum peut passer par différents types de bois au cours de son vieillissement, ou en intégrant des fûts hybrides qui offrent des profils totalement inédits », révèle Marine de Reynal

A1710 Packaging

Le packaging

Le packaging d’A1710 a été conçu avec une approche sobre et raffinée, mettant en avant le rhum plutôt que l’étiquette. L’objectif est de sublimer le produit sans artifice, mettant en valeur la qualité du produit. La carafe a été dessinée par Yves de Pompignan, le créateur de la marque, dans l’idée de proposer un contenant unique et reconnaissable.

« Ses lignes élégantes et intemporelles reflètent le soin apporté à chaque détail de nos rhums. L’étiquette reste discrète, dans cette même volonté de simplicité et d’authenticité », explique Marine de Reynal.

Les marchés

Les rhums A1710 sont principalement distribués en France métropolitaine et aux Antilles, mais aussi sur certains marchés spécialisés à l’international, notamment en Europe, en Amérique du Nord et en Asie, où la demande pour des rhums premiums ne cesse de croître.

Cette production artisanale limite tout de même naturellement la présence sur les différents marchés en raison de la rareté des rhums.

« Nous ciblons une clientèle qui cherche un certain raffinement, décrypte Yves Assier de Pompignan. Notamment les femmes qui sont séduites par le côté haute couture, le design des bouteilles et bien sûr par nos rhums. »

Habitation A1710

Le spiritourisme

A1710 ne se limite pas seulement à la production de rhum d’exception et propose une expérience immersive unique aux amateurs et aux amatrices. Notamment via une véritable offre de séjour au cœur de la distillerie, qui va bien au-delà des traditionnelles visites et dégustations.

Les visiteurs peuvent séjourner dans les maisons d’hôtes, situées au plus proche des plantations de canne à sucre et de la distillerie elle-même. Ce cadre privilégié permet une immersion totale dans l’univers du rhum. « Au cours de leur séjour, nos hôtes ont également l’opportunité de participer activement à toutes les étapes de production, ils reçoivent quelques mois plus tard le rhum qu’ils ont ainsi produit ! » précise Marine de Reynal.

Marine de Reynal, directrice markéting d'A1710.
Marine de Reynal, directrice markéting d’A1710.

L’avenir d’A 1710 vu par Marine de Reynal

« Notre méthode de production artisanale et de distillation en alambic nous incite à privilégier la qualité sur le volume. Nous avons fait le choix d’une fabrication minutieuse, où chaque étape – de la sélection des cannes à l’assemblage des rhums vieux – est réalisée avec une attention particulière. Plutôt que d’augmenter la production, nous concentrerons donc nos efforts sur la qualité pour proposer des rhums vieux d’exception, en restant fidèles à notre identité et à nos exigences élevées. L’exploration de nouvelles expressions à travers des vieillissements innovants, et des éditions limitées reste au cœur de notre démarche. Nous souhaitons continuer à mettre en avant le terroir martiniquais et l’excellence artisanale en proposant de grands rhums vieux, authentiques et singuliers, dignes des plus belles eaux-de-vie. »


Le saviez-vous ?

Certaines cuvées d’A 1710 ont la mention « agricole », d’autres « pur jus de canne ». « Ce qui compte c’est d’instruire le consommateur et qu’il comprenne que notre produit est fait à partir du jus de la canne à sucre et non de mélasse », explique Yves Assier de Pompignan. » Vous ne verrez pas non plus la mention AOC figurer sur les étiquettes, mais bien IG Rhum des Antilles françaises. Quant au nom A 1710, il vient de la date d’arrivée de la famille d’Yves Assier de Pompignan en Martinique.


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