Tous les 31 mars depuis 3 ans maintenant, la filière célèbre la journée des spiritueux français. L’occasion de mettre en avant l’excellence de nos eaux de vie nationales, cognac, armagnac, whisky, calvados, esprit de bière… et rhum bien sûr ! Une excellence, qu’on retrouve bien sûr dans les départements et régions d’outre-mer, mais aussi dans l’Hexagone, et plus particulièrement, à Cognac.
A quoi tient l’excellence du rhum français ? D’abord rappelons qu’il n’y a pas un, mais des rhums français, puisque ceux-ci peuvent être produits à partir de deux matières premières (ou d’un mix des deux mais c’est rare) : le jus de canne fermenté (auquel cas on est en présence de rhum agricole), ou la mélasse de sucre de canne fermentée (auquel cas on est en présence d’un rhum traditionnel de sucrerie). De plus, le rhum français est produit dans des territoires (Martinique, Guadeloupe, Réunion et Guyane) parfois très éloignés géographiquement, qui ont leur propre histoire et leurs propres traditions.
L’excellence des rhums français
Cependant, si on se place un peu au dessus de la mêlée et qu’on compare nos rhums de dégustation nationaux avec ce qui se fait ailleurs dans le monde, il est incontestable qu’il sont extrêmement bien faits (ce qui ne veut pas dire que les autres sont mal faits), qu’ils relèvent d’un savoir-faire, d’une tradition, d’une culture.
On peut d’abord la source de cette excellence dans cette longue tradition française de faire des eaux de vie ciselée et dans la culture gastronomique qui y est associée. On peut aussi chercher du côté des règles de production très strictes qui encadrent le plus souvent la production de nos rhums (matière première, distillation, et vieillissement local, compte d’âge le plus jeune, pas d’édulcorants ajoutés…) via les IGP et l’AOC. Règles qui sont rarement aussi claires et accessibles au grand public que sous nos cieux français, et par extension européens. Et nous pouvons aussi faire un tour vers l’attention portée au terroir, autre grande caractéristique française…
L’influence cognaçaise
Certes, mais un autre facteur, moins connu, a aussi son importance. Il s’agit de la Cognac touch. Le spiritueux charentais issu de la distillation du vin de raisin, exerce en effet une grande influence sur le rhum. Une bonne partie des maîtres distillateurs et assembleurs, ont fait à un moment ou à un autre leurs classes à cognac, notamment au CIDS.
L’art de distiller (même avec des colonnes et non des alambics, comme à cognac), d’assembler, et de vieillir les eaux de vies de rhum vient en grande partie de Cognac. Autre indice, les ex-fûts de cognac sont souvent utilisés pour faire vieillir les rhums français. En tout cas plus souvent qu’ailleurs. Bien sûr, le rhum n’est pas un copié-collé du cognac, ce serait manquer de respect aux producteurs de rhum que de le dire, mais influence il y a bien.
Cognac et la Spirit Valley deviennent une place forte du rhum
Autre phénomène peu connu, la région de Cognac est en train de devenir une des places fortes du rhum, au niveau de la production. En effet, si les départements de la Charente et de la Charente-Maritime ne représentent en superficie que 2% du territoire français, ils concentrent 80% en valeur de la production nationale de spiritueux.
Ce petit territoire couvert de distilleries et de chais de vieillissement s’appelle désormais la Spirits Valley, et selon l’ISWR, 50% des spiritueux super premiums (+ de 30€ la bouteille), y sont produits. Le rhum ne fait pas exception et on y trouve un bon nombre d’assembleurs ou d’embouteilleurs indépendants français. Comment ne pas penser à Plantation (cognac Ferrand, gin Citadelle…) , qui opère systématiquement un double vieillissement en Charente pour ses rhums glanés de par le monde ?
Mais aussi la distillerie des Moisans qui élabore Canoubier, Tessendier avec Saison, la famille Naud avec Hidden Loot, Dugas avec Spytail, la Distillerie Vinet Delpech avec le rhum Maca, Famille Cabanne avec Kikongo, Bières de Ré avec Le Pertuis, cognac Cholet avec Don Ticiano et Don Tito, la Maison Confidential avec Confidential, Jules Gautret avec Rochelle Bay. Et on trouve aussi des rhums arrangés à Cognac : Rhum arrangé Désirs, Rhum arrangé Alchimie ou encore Ré’ Arrangés. Ou encore, du grogue avec Sodade.
Mais on ne se ‘contente’ pas d’assembler et de faire vieillir du rhum à cognac, on en produit de plus, et de plus en plus en important de la mélasse et on la distillant : AR Spirits avec Max&Co Rhum, Hedone de Whiskies du Monde, Alcools Vivants…
De là à dire que Cognac est devenu the only place to be du rhum en métropole il y a un pas… que nous ne franchirons pas. Car, comme nous l’avons montré dans notre dossier sur les rhums hexagonaux, des distilleries produisant du rhum éclosent un peu partout dans l’Hexagone et en Corse. Et d’autres territoires, comme la Provence, la Bretagne ou l’Alsace contestent cette prééminence. A suivre dans Rumporter.
Distillerie des Moisans, ou l’art du double vieillissement en ex-fûts de cognac
Olivier Petit, directeur général de la distillerie des Moisans, nous explique comment sont élaborés les rhums Canoubier.
Comment êtes-vous passé du cognac au rhum ?
La distillerie des Moisans a été créée en 1963 par Roland Dru, c’est toujours aujourd’hui une entreprise 100% familiale. Nous produisons les cognacs Deau et nous sommes présents sur 60 pays. Nous avons 60 hectares de vignes, 12 alambics et notre propre ligne d’embouteillage.
A partir de 2017, nous avons cherché à nous diversifier et nous produisons aussi notamment des gins, des whiskys et du rhum, notamment pour le marché français qui ne consomme malheureusement pas beaucoup de cognac.
Comment sont élaborés les rhums Canoubier ?
Nous sourçons de jolies eaux-de-vie en provenance des îles de la Caraïbe. Ce qui nous intéresse, c’est la typicité du produit, de chaque origine. El nous les faisons vieillir une deuxième fois en ex-fûts de cognac. Ce finish, ou deuxième vieillissement en fût de cognac, est vraiment notre marque de fabrique. Cela apporte des arômes que le rhum n’a pas, le rend plus doux et fleuri. Le climat charentais rend aussi les produits plus ronds.
Est-ce que vous allez produire vous-même du rhum ?
On a les installations pour, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Rien n’est impossible cependant.
Comment voyez-vous cette montée en puissance du rhum à Cognac ?
On est quand même dans la spirit valley, donc c’est logique que le rhum se développe ici. Il y a un savoir-faire en matière de spiritueux. Beaucoup de gens qui travaillent dans le rhum viennent se former ici, et nous exportons aussi nos fûts de cognac pour qu’ils soient remplis de rhums. Mais pour faire un bon rhum, il faut d’abord être soi-même amoureux du produit. Personnellement je suis amateur de très vieux cognacs et de très vieux rhums, au-delà de 10 ans.
Tessendier, de la magie de l’assemblage à l’art de la distillation du rhum
A la tête de la distillerie Tessendier, Jérôme Tessendier produit du cognac, du whisky ou encore les rhums Saison. Rencontre.
Comment passe-t-on du cognac au rhum ?
A la base, nous avons une appétence pour d’autres spiritueux que le cognac, donc c’est une envie. Mais avant de nous lancer dans le rhum nous avons réfléchi à notre apport, à la valeur ajoutée que nous pouvions transmettre au rhum. La première chose c’était de partir des terroirs, qui sont des îles, et de les travailler comme je le ferai avec des crus de cognac (Borderies, Grande et Petite Champagne…). J’ai donc opté pour Trinidad, Barbade et Jamaïque, qui ont des profils différents et pour moi, complémentaires. Donc nous sélectionnons ces rhums à différents niveaux d’âge et d’évolution et ensuite je vais les faire vieillir et les affiner séparément à Cognac, avant de les assembler.
Comment définir la pâte cognaçaise dans le rhum ?
C’est de comprendre que le spiritueux est vivant, évolutif. A partir de là, on va l’amener ailleurs, grâce à tout ce qui se passe après la distillation. A Cognac, notre point fort, c’est l’assemblage et le vieillissement. On parle plutôt du maître de chai, que du distillateur. Je ne revendique aucune objectivité, mais à Cognac, on va privilégier la finesse à des goûts plus puissants ou robustes. Après c’est une histoire de goût et de culture.
Est-ce que vous envisagez de distiller vous-mêmes de la mélasse ?
Nous avons déjà commencé. Partant du métier de maître de chai, nous avons cherché à comprendre le processus, la fermentation, la distillation (dans des alambics à repasse)… Nous avons recherché le cœur des produits aromatiques, afin d’ensuite les concentrer. En ce moment notre rhum est en vieillissement dans nos chais.