Rhum et littérature : Régisseur du rhum – Elmire des Sept bonheurs 3/3

Il convient de replacer ces romans dans un courant littéraire antillais plus large qui est celui de la Créolité, dont Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau sont deux des pères fondateurs. Ce mouvement prend la suite de celui fondé par Aimé Césaire : la Négritude. Celui-ci consistait à dire que tout Homme noir est un Homme africain qui a comme héritage partagé, quelle que soit son histoire personnelle, l’esclavage et la colonisation, avec tout ce que cela implique comme manipulation, trituration, et inoculation culturelle. Aimé Césaire se définissait avant tout comme Africain et Antillais.

Régisseur rhum ElmireLe mouvement de la Créolité s’interroge, lui, sur l’identité Créole, sur l’imaginaire commun qui existe dans la Caraïbe. Si l’Africanité n’est pas reniée, elle n’est pas suffisante aux yeux de ce mouvement dans lequel on trouve également Edouard Glissant, inventeur du concept de la « mondialité » qui serait constructrice par opposition à la mondialisation destructrice, Daniel Maximin ou Gisèle Pineau.


RHUM ET LITTÉRATURE : RÉGISSEUR DU RHUM – ELMIRE DES SEPT BONHEURS 1/3


Raphael Confiant a écrit plusieurs romans en créole, langue dont il fait la promotion. Il a rédigé un dictionnaire Créole basé à la fois sur des ressources académiques et la pratique populaire du créole. Dans cette défense de l’identité, la Trilogie du sucre, dont Régisseur du rhum est le second tome, constitue une restitution poétique d’une réalité cruelle, parfois belle mais souvent absurde, autour de l’Habitation qui pendant plusieurs siècles fut le socle de l’organisation sociale et économique de la Caraïbe. Par ailleurs, on trouve dans Régisseur du rhum, beaucoup de discours directs, dans lesquels se glissent quelques mots de Créole. Cette reconstitution historique permet d’émailler cet imaginaire commun constitutif d’une identité créole, qui ne se base pas sur le sang – et cette idée du sang est battue en brèche dans le roman – mais qui se nourrit au contraire, depuis des siècles de différents apports extérieurs subits ou souhaités.

Patrick Chamoiseau, qui a reçu en 1992 le prix Goncourt pour son livre Texaco, se vit comme un témoin du monde. Elmire des Septs bonheurs est un témoignage. L’œuvre de Patrick Chamoiseau est tournée vers le témoignage de la culture populaire martiniquaise. La contrainte littéraire qu’il s’impose est celle du lyrisme. Dans un entretien filmé que Patrick Chamoiseau a donné à la médiathèque de Rochefort, il déclare que la seule exigence « qui s’impose à l’écrivain ou à tout artiste, c’est d’essayer d’opérer des surgissements de la beauté. Le surgissement de la beauté est intéressant parce qu’à chaque fois qu’on a le surgissement de la beauté, on a une déconstruction de la vision que l’on a du monde, de la vision que l’on a du réel ».

Elmire des Septs bohneurs complète parfaitement Régisseur du rhum car Patrick Chamoiseau va chercher le rhum dans l’intime. Il présente une identité créole intime alors que Raphael Confiant nous propose un rhum historique. Mais ces deux rhums ont en commun la souffrance, le plaisir, le rêve, l’ailleurs et l’irrationnel.

Enfin, nous avons beaucoup insisté sur le caractère poétique des textes. Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau s’inscrivent dans une tradition inaugurée par Aimé Césaire dans les années 40. A cette époque, ce dernier fonde un journal Tropiques qui est soumis à la censure du gouvernement Vichyste de Martinique. L’utilisation de la poésie a permis aux auteurs de cette revue de tromper quelques temps la censure, et de toucher directement le cœur des Martiniquais, sur les thèmes anticolonialiste, anti-vichyste et identitaire. Les autorités ne comprenaient pas les idées puissantes que ces textes dissimulaient, et résumaient cela à de la simple littérature, de la simple poésie. Cette exigence qualitative et esthétique de la langue est aujourd’hui toujours présente dans la littérature antillaise.