Savoy ou Savoy pas ? Haat Craddock

Livre sur les cocktails : The Savoy cocktail BookHarry Craddock, est né sur le sol anglais en 1875, s’exilant, encore jeune, aux Etats-Unis.  C’est au Nouveau Monde qu’il développa et exerça ses talents de barman. Naturalisé américain en 1916, il fuit la Prohibition pour pouvoir exercer librement son activité et retourne sur sa terre natale. En 1925, il a pris le poste de Chef Barman à l’American Bar du Savoy Hotel. Il y restera près de 20 ans.

Dans l’introduction de son Savoy Cocktail Book de 1930, Harry Craddock se plaint de l’absence d’un livre “pour les gouverner tous”, un livre qui constituerait un recueil de recettes. Il adresse une pensée à Jerry Thomas, précurseur en tant que barman/écrivain qui, un peu plus de 50 ans avant lui, avait publié un livre encore aujourd’hui considéré comme un classique, et publie plus de 700 recettes. Un monument !

Ne nous penchons pas trop sur l’Histoire du cocktail tel que traitée dans l’ouvrage, des historiens contemporains avec des moyens actuels s’affairent déjà à l’actualiser mais penchons-nous plutôt sur les recettes.

Et le rhum dans tout ça ?

Au fil des pages, il est relativement difficile de trouver des recettes faisant appel à du rhum, rum ou ron ! Elles sont environ au nombre de 50 (soit à peine plus de 6%) et 80% d’entre elles mentionnent l’usage de Bacardí. Les 20% restants sont divisées en “rhum jamaïcain”, en “rhum” sans précision sur le type, l’âge ou la provenance et sur un certain rhum de Santa Cruz (ndlr, probablement la marque de rhum cubain de la distillerie éponyme de La Havane).

Les punchs, évoqués en métropole et dans les DOM comme étant réalisés avec du rhum agricole, sont au nombre de 10 et seulement 4 utilisent explicitement du rhum. Deux recettes de Milk Punch font tout de même leur apparition, il s’agit d’un punch clarifié en faisant cailler du lait puis en filtrant.

Livre sur les cocktails : The Savoy cocktail Book

Pire ! On constate que même dans les cocktails dont le nom pouvant prêter à l’utilisation de rhum : “Cuban cocktail n°2”, “Havana cocktail”, “Hawaiian cocktail”, il n’est aucunement mention de rhum !!!

Si, par son format, son index auquel on pourrait reprocher un manque d’efficacité, il ne sera surement pas le plus lu des livres actuellement sur le marché, le Savoy Cocktail Book est un peu comme le menu d’un restaurant asiatique : beaucoup de déclinaisons autour d’un ingrédient. Souvent ces déclinaisons esquivent le rhum.

On en conclura que le rhum n’était probablement pas l’ingrédient le plus populaire au sein d’un bar d’hôtel. Probablement pas considéré comme l’ingrédient le plus prestigieux à disposition pour l’époque. Impossible toutefois de ne pas mentionner dans l’article la présence du Daïquiri cocktail dans l’ouvrage, réalisé au Bacardí. Cocktail qui date probablement du début des années 1910.

Livre sur les cocktails : Recette Daiquiri

Un témoignage du passé

Certains « détails » feront crisser les dents des amateurs les plus acharnés de cocktail. Par exemple, le Manhattan, le Dry Martini, sont shakés pour Harry Craddock ! Après avoir fait un petit travail de recherche, le grand maître, Jerry Thomas, inscrivait bien en 1887 qu’il fallait shaker le Martinez. Craddock n’était donc pas seul…

L’amateur éclairé remarquera également, qu’à l’époque, les alcools étaient embouteillés à un degré plus élevé que maintenant (environ 50° contre 40-43°, voire 37.5° maintenant) et que, par conséquent, l’équilibre se trouvait à une température plus basse et une dilution plus importante. Car, l’intérêt est aussi de se replacer dans le contexte. A l’époque pas d’internet, des recettes émergent, ont émergé, des différences apparaissent avec les recettes d’origine retrouvées récemment.

Un recueil de recettes avant tout

Nul doute que le Savoy Cocktail Book a su briller à une époque où le cocktail –que dis-je, l’alcool- était en crise dans certains pays (Prohibition aux US). Cet ouvrage remplit bien son rôle de recueil de recettes à destination du barman expérimenté. Je vous recommande de lire ce morceau d’histoire en diagonale, par curiosité, mais de préférer des ouvrages plus récents, qui ont bénéficié de ce siècle et demi de publications pour améliorer leur format, leur style, leur efficacité. De même pour les amateurs d’histoire de cocktails, circulez, il y a peu à voir.

Un grand remerciement à l’EUVS, qui fait un travail magnifique en recherchant et en numérisant des vieux livres de cocktail. Vous pouvez les consulter (et même parfois les télécharger) gratuitement.

L’ouvrage est disponible ici 


Colada Cocktails

www.colada.fr

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