Par la découverte et l’utilisation de nouvelles sources présentant des analyses chimiques de nombreux rhums, nous sommes en capacité aujourd’hui d’avoir un large panorama des rhums produits dans les territoires ultra-marins au début du XXème siècle. En dressant des portraits représentatifs pour les différentes catégories de rhum, nous avons essayé d’imaginer leurs goûts et de les mettre en perspective avec le rhum tel que nous le connaissons aujourd’hui. Nous mettons à l’honneur les rhums martiniquais dans cette première partie, et nous nous concentrerons sur la Guadeloupe et la Réunion en second temps.
Par Anna Ostrovskyj et Matthieu Lange
La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par différentes crises agricoles qui bouleversent le marché français des spiritueux. Cette période voit l’industrie de la betterave s’imposer sur le marché des eaux-de-vie métropolitaines au détriment des eaux-de-vie traditionnelles de vin et de fruit, ainsi que l’arrivée massive du rhum dans l’Hexagone.
Les viticulteurs appellent à l’aide et obtiennent en 1872 un certificat d’origine pour les alcools de vin, uniquement, faisant la différence entre l’alcool naturel, industriel et les mélanges. Dix ans plus tard, et ce pour 20 ans, une crise mondiale du sucre s’installe. Les Antilles françaises sont contraintes d’abaisser leur production de sucre au profit de la production de rhum.
En 1902, la crise mondiale se règle par la conférence de Bruxelles où les pays d’Europe s’engagent à mettre fin aux aides à la production de sucre. L’industrie sucrière de betterave, à son tour, compense la perte de sucre, par une hausse de la production d’alcool. Les eaux-de-vie traditionnelles en pâtissent de nouveau.
1903-1907 : l’appel aux lois
Le législateur vote une loi budgétaire le 31 mars 1903 dans laquelle, afin de protéger les alcools naturels, les dispositions de 1872 sont reprises et étendues à tous les alcools perçus comme naturels, dont le rhum ; ceux-ci bénéficient désormais d’une appellation d’origine.
L’alcool de betterave est considéré comme un alcool industriel alors que le rhum des colonies françaises, issu du vesou ou de la mélasse, devient un alcool naturel. Le législateur définit l’alcool industriel comme un alcool récent, produit en grande quantité avec des appareils perfectionnés. A contrario, les alcools naturels sont inscrits dans le temps et appréciés pour leur goût.
Le rhum a désormais une reconnaissance officielle sans pour autant avoir de définition légale… Autrement dit, tout peut s’appeler rhum tant que le goût ressemble à du rhum. Cela change par les lois de 1905 et 1907 par lesquelles : « la dénomination de rhum ou de tafia est réservée au produit exclusif de la fermentation alcoolique et de la distillation soit du jus de canne à sucre, soit des mélasses ou sirops provenant de la fabrication du sucre de canne ».
Ces définitions et reconnaissances légales entraînent une série d’analyses chimiques visant à classifier les différents types de rhum, à définir la source des arômes, mais surtout à lutter contre la fraude. Dans le même temps, les territoires français d’Outre-mer connaissent des bouleversements techniques et agronomiques importants.
L’évolution du paysage cannier aux Antilles
Le paysage cannier du début du XXe siècle est différent de celui que nous connaissons actuellement. Par exemple, beaucoup de cannes issues de La Réunion sont aujourd’hui plantées aux Antilles françaises.