[Embouteilleur indépendant] Les Rhums du Sud, l’embouteilleur-affineur né de la rencontre de deux passionnés

Hugo Randazzo et Guillaume de Roany ont uni leurs forces et sont devenus autant associés, qu’amis. Désormais les Rhums du Sud proposent trois gammes bien distinctes. Les Arrangés du Sud, Cleroazzo, et la Collection Guillaume de Roany, afin de parler à l’ensemble des amateurs et des amatrices de rhum. Et ils sont en train de développer leur activité d’affinage, ainsi que le vieillissement continental en Provence.

Les Rhums du Sud

Guillaume, comment vous est venue la passion du rhum ?

Guillaume : Mes parents étaient viticulteurs en Provence, à Puyricard, au nord d’Aix-en-Provence dans les Bouches du Rhône. J’ai donc grandi au milieu des vignes, des cuves de vinification et des barriques de vieillissement du domaine familial. Mais ça concernait le vin. J’ai aussi grandi entouré des senteurs et des herbes aromatiques de la région, que j’ai très tôt appris à identifier. Avec ce background, je me suis dirigé vers une carrière de sommelier. Et c’est là que j’ai découvert le rhum.

Hugo : J’ai été initié à la culture du rhum de par mes racines réunionnaises. J’ai commencé par les rhums de la Réunion, puis des Antilles françaises. Je commence à avoir une bonne culture, et ça devient difficile de me piéger. Avec ma mère, avant de descendre de l’escalier, j’annonçais le plat qu’on allait déguster en sentant les effluves. Elle me disait, « Mon fils, tu devrais faire nez ». Aujourd’hui j’en ai fait mon métier, mais pas dans la parfumerie !

Et comment avez-vous fait connaissance ?

Guillaume : Benjamin Clément, le premier associé d’Hugo, qui est aujourd’hui notre directeur artistique, était au collège avec moi. C’est grâce à lui que j’ai découvert les Rhums du Sud. Je n’étais pas un grand amateur ni consommateur de rhums arrangés à l’époque, mais j’ai été conquis par ces recettes provençales un peu osées, avec des recettes comme Lavande-vanille, Romarin-citron… qui proposent un bon équilibre entre sucre, arômes et rhum. Il n’y pas de fausses promesses, on a ce qui est marqué sur l’étiquette. Ensuite, avec Hugo, on s’est croisé plusieurs fois dans des soirées autour du rhum.

Les Rhums du Sud

Hugo : On avait une proximité géographique, moi dans les Bouches-du-Rhône et Guillaume dans le Vaucluse et on participait tous les deux au Rhum Club Provence. On s’est découvert des atomes crochus, et une certaine osmose pendant les dégustations. On sent les mêmes choses. Professionnellement, on a les mêmes objectifs, les mêmes passions, la même vision du métier et de la boisson. On a décidé de s’associer en 2019. Et finalement on est devenus autant amis qu’associés.

Guillaume : On n’est pas identiques pour autant, je suis plus fougueux, Hugo est plus serein.

Vous avez donc décidé de créer ensemble des rhums, parlez-nous de votre gamme.

Hugo : Suite à ma rencontre avec Guillaume, on a élargi puis segmenté notre offre. Les Rhums du Sud est devenu notre marque chapeau sur laquelle nous avons développé trois gammes distinctes. 1 : Les Arrangés du Sud. 2 : La Collection Guillaume de Roany. 3 : Cleroazzo

Cleroazzo, c’est un drôle de nom pour un rhum !?

Guillaume : C’est la contraction des noms des trois associés des Rhums du Sud : Benjamin Clément, Guillaume de Roany et Hugo Randazzo

Les Rhums du Sud

Quelles sortes de rhum y trouve-t-on ?

Guillaume : Avec la Collection Guillaume de Roany, nous proposons des rhums de dégustation destinés à des amateurs avertis, et avec les Arrangés du Sud, des rhums arrangés exigeants sur la qualité, mais accessibles.

Il nous manquait une gamme qui fasse le lien entre les deux, ce que nous faisons avec Cleroazzo, qui est pour le moment composée de deux rhums vieux sur lesquels nous travaillons des affinages, l’un vient de la Réunion, l’autre du Venezuela, que nous étofferons à l’avenir.

Hugo : Pour l’imaginer, on a fait le chemin inverse de celui que nous avions fait pour créer les deux autres gammes. On a d’abord réfléchi au positionnement, au prix, au degré, au packaging… et ensuite on a sourcé les rhums. Sur le Réunion, on l’a goûté et on s’est dit qu’il fallait un finish élégant, français, donc on l’a passé en fûts de Cognac.

Le Venezuela avait déjà des notes de pommes, donc le finish en fût de Calvados s’est imposé comme une évidence. C’est une gamme destinée au grand public faite pour que les gens s’intéressent aux rhums d’artisans.

Les gens commencent souvent avec des rhums assez édulcorés, et on voulait leur faire franchir un palier avec des rhums faciles d’accès, mais complexes. Pour les cavistes, ils sont parfaits pour faire évoluer le goût de leurs clients. D’ailleurs ils convainquent aussi les amateurs.

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Guillaume : On n’avait pas anticipé que nos copains un peu geeks, qui boivent plutôt des flacons à 200 ou 300 €, allaient quand même s’offrir des bouteilles de Cleroazzo ! C’est un peu le rhum de tous les jours des geeks. Le but c’était aussi d’avoir une gamme en disponibilité constante, des rhums qui restent à un degré et un prix accessible.

De devenir des embouteilleurs indépendants grand public en somme. Aujourd’hui (en mai 2023), nous en sommes à notre 5e batch en cours de production. Et nous avons prévu de sortir de nouvelles provenances dans cette gamme permanente.

Parlez-nous à présent de la Collection Guillaume de Roany. 


Guillaume : Je travaillais dans le rhum comme prestataire/consultant depuis plusieurs années, et j’ai fini par avoir envie de m’exprimer par moi-même. Le Covid est arrivé avec ses remises en question, j’ai commencé à travailler avec Hugo, qui avait l’outil et l’envie d’élargir son offre, et nous avons décidé de se lancer ensemble dans la création d’une nouvelle gamme.

Comment les premiers sourcing se sont-ils passés ?

Guillaume : Pour la première sélection, je suis allé négocier en direct avec les distilleries. Grâce à mon réseau mais aussi ma motivation, j’ai réussi à trouver quelques pépites, même si certaines portes sont lourdes à pousser. J’ai eu la chance de goûter les crèmes de distillation notamment chez Montebello, Reimonenq, Foursquare…

Les Rhums du Sud

Je me souviens d’ailleurs que chez Foursquare on a goûté plusieurs fûts et il n’y en avait pas un pareil. Quand on a ouvert ceux qu’on avait sélectionnés, lors de la première livraison, ça sentait presque, je dis bien presque, la Jamaïque. J’aime bien les notes cuivrées, un peu pot still, vernis, estérisées de certains rhums de Richard Seale. Après je sélectionne des rhums que j’aime, mais aussi qui pourraient plaire. On adore les rhums blancs, on aimerait en sortir plus, mais il n’y a pas forcément le marché.

Et aujourd’hui comment ça se passe ?

Hugo : Aujourd’hui les portes sont un peu moins lourdes. Les distilleries ont vu les bouteilles, et ce qu’on a fait de leurs rhums. Parfois même on nous sollicite.

Guillaume : Mais ce n’est pas facile pour autant, surtout parce que les prix augmentent beaucoup. Or on essaie de garder des prix qui nous semblent normaux. On a refusé des fûts de fournisseurs qui avaient doublé les leurs en deux ans. Les matières sèches, verres, bouteilles, tout augmente ! Les cavistes nous demandent souvent quand on va gonfler nos prix, mais on garde notre ligne car on est aussi consommateurs. Donc on a réduit nos marges.

Est-ce que vous passez toujours en direct auprès des distilleries ?

Guillaume : Pas à 100 %. Pour le moment, on ne passe pas non plus par les brokers comme Sheers ou Bristol, mais par exemple on a de bons contacts avec Bardinet sur les arrangés. Ils ont aussi une offre de rhums vieux que nous utilisons pour la gamme Cleroazzo. Ils nous ouvrent des portes, ce qui nous a permis d’avoir du rhum vieux agricole de la Réunion par exemple.

Pourquoi avoir opté pour des bouteilles de 50 cl sur la Collection ?

Guillaume : On est sur des Single casks en gamme tournante, donc avec un nombre de cols peu élevé. On voulait proposer davantage de bouteilles pour ne pas générer trop de frustration et afficher des tarifs plus abordables. Sur des rhums premiums, parfois brut de fût, ce n’est pas toujours pertinent de les sortir dans des bouteilles trop grosses.

Après, sur des cuvées de 350 bouteilles, il n’y en a pas pour tout le monde non plus. Mais on essaie d’augmenter le nombre de bouteilles par cuvée. Sur le Blend Île de la Réunion, nous avons pu embouteiller 750 cols par exemple.

Les Rhums du Sud

Hugo : Et puis on est sur des rhums de dégustation, qu’on ne boit pas tous les jours. Le verre, on l’a plus souvent au nez qu’en bouche.

Guillaume : On n’est pas là pour forcer l’achat en faisant des séries limitées, ou de la spéculation. On veut que les gens qui veulent en avoir en aient, et puissent en racheter.

Comment va évoluer la Collection Guillaume de Roany dans les années à venir ?

Guillaume : Le but ultime serait de faire un tour du monde des différents pays producteurs de rhum. Ce serait magnifique !

Hugo : Un petit teasing ? On va sortir une nouvelle provenance sympa, distillée en Pot Still et en provenance de l’océan Indien, mais pas de la Réunion, en blanc et en vieux. On vient aussi d’embouteiller un blend de rhum agricole et de mélasse de mon île qui est très élégant.

On ouvre le champ aux assemblages de différents styles, différentes matières premières. On teste aussi le vieillissement en chêne américain et en chêne français sur différentes chauffes sur le même rhum pour voir les différences. Je voulais aussi parler de notre packaging, on en est très fiers et on voulait mettre en avant l’artiste qui réalise les étiquettes : Andrew Java. C’est un employé de chai chez Bellevue à Marie-Galante, qui fait ça à titre de loisir, mais tout en professionnalisme.

Guillaume : Nous sommes aujourd’hui à Madère avec toute l’équipe, c’est une île que j’aime beaucoup et que je voulais faire découvrir à notre équipe. Nous aimons beaucoup les rhums agricoles qui y sont produits, il se pourrait que nous préparions des choses ici aussi…

Et est-ce que vous vous intéressez au rhum hexagonal ?

Hugo : On a des propositions de sourcing, des contacts. On n’exclut rien, c’est aussi la liberté qui que nous donne le fait de ne pas distiller.

Justement, est-ce qu’un jour vous vous voyez devenir distillateurs ?

Hugo : Ce n’est pas notre métier. Par contre, on peut demander à des distilleries des produits spécifiquement distillés pour nous.

Guillaume : On préfère se concentrer sur l’affinage et le vieillissement. D’ici un ou deux ans, on aura nos premiers rhums vieux vieillis 100 % en Provence. On va pouvoir s’amuser encore plus !

Les Rhums du Sud

Hugo : Guillaume Ferroni, qui est un mentor et un copain, défend le terroir de vieillissement provençal. Et on est assez d’accord. La Provence, ce n’est pas la Hollande ou l’Écosse ! C’est un climat très sec, avec des différences de températures importantes selon les saisons, entre le jour et la nuit… L’été ça peut monter à 40° dans notre chai, et l’hiver ça peut descendre 3 ou 4°.

D’ailleurs les rhums goûtent différemment selon les saisons, ils se rétractent en hiver et s’expriment à nouveau en été. On est d’ailleurs en train de mesurer la part des anges dans nos chais. Il y a une vraie typicité de vieillissement en Provence.

Et le transport à la voile, quelle place occupe-t-il dans vos gammes ?

Guillaume : Il concerne la gamme Guillaume de Roany, dont la plupart des cuvées ont été acheminées par bateau à voile depuis les Caraïbes. On vit sur une planète qu’il faut protéger. Mais on n’en fait pas la raison d’être de la gamme, on le fait quand c’est possible, mais nous n’en faisons pas tapage dans notre mix marketing. Outre le transport vertueux, les apports sur le produit sont indéniables et passionnants !

Hugo : À chaque fois qu’on a l’opportunité de transporter nos rhums à la voile, on ne va pas s’en priver. Pour l’écologie, mais aussi le côté gustatif que ce type de transport apporte, le brassage en mer donne souvent des tanins fins et fondus et surtout une intégration alcoolique surprenante !

Un dernier mot pour la fin ?

Hugo : Oui, une bonne nouvelle, on va déménager. Avec nos trois gammes distinctes, qui demandent de la place en cuverie, en fûts de vieillissement, en stockage… On est saturés. Donc on va doubler la surface de nos locaux… et notre production !

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