Suite au rachat de Saint Lucia Distillers par le groupe français Baernard Hayot (GBH), un rapprochement historique s’effectue entre les rhums agricoles AOC Clément et J.M et les rhums de mélasse Chairman’s Reserve et Admiral Rodney. Rencontre avec Grégoire Gueden, directeur du pôle Spiritueux de GBH pour mieux cerner l’ampleur de ce changement.
Saint Lucia Distillers est une entreprise emblématique de l’île
Rumporter : Quelles sont les motivations derrière une telle acquisition ? Et pourquoi cette distillerie a-t-elle été mise en vente, par manque d’investissements ou de rentabilité ?
Grégoire Gueden : Saint Lucia Distillers Group of Companies faisait partie des actifs détenues par la compagnie d’assurance caribéenne CLICO Life. Cette dernière détenait de nombreuses maisons de spiritueux (Cognac Hine, Appleton, Cruzan, Dugas…) et a été contrainte de céder certaines d’entre elles suite à la crise financière de 2008. Elle reste cependant toujours active dans ce secteur des spiritueux notamment avec la société Angostura. Saint Lucia Distillers est donc une entreprise qui se porte bien et que nous sommes très heureux d’accueillir au sein de GBH. Elle vient enrichir notre branche d’activité rhum qui compte déjà les distilleries Clément et J.M en Martinique. Avec Saint Lucia Distillers, nous serons désormais présents sur les deux segments clefs de l’univers du rhum : le rhum agricole issu du pur jus de canne à sucre et le rhum traditionnel issu de la mélasse.
R : Que retiens-tu de ton séjour à Sainte Lucie ?
GG : Je passe près d’une semaine par mois à Sainte Lucie depuis près de huit mois. C’est un magnifique pays et les Saint-luciens sont très accueillants. J’éprouve un grand plaisir à travailler avec nos équipes sur place. Elles sont d’une grande compétence et adhèrent à 100% à nos projets et à nos ambitions pour cette entreprise.
R : GBH renforce ainsi son rôle d’acteur régional : y avait-il déjà une implantation du groupe à Ste Lucie ?
GG : Il s’agit de la seule implantation du Groupe à Sainte Lucie. C’est déjà un magnifique challenge ! Notre Groupe est déjà présent dans la Caraïbe au travers de ses implantations à la Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, en République Dominicaine ainsi qu’à Trinidad et Tobago. Cette acquisition à Sainte Lucie vient confirmer l’intérêt de GBH pour le métier du rhum et témoigne aussi de ses profondes racines caribéennes. C’est aussi un pont supplémentaire entre la Martinique et Sainte Lucie qui viendra très surement renforcer la nécessaire coopération régionale entre nos pays.
R : Quelle est l’importance économique de la distillerie pour l’île ? Le St Lucia Times parle d’un montant de $37 millions, est-ce réaliste ?
GG : Saint Lucia Distillers est une entreprise emblématique de l’île qui emploie près de 150 personnes. La distillerie a une capacité de production d’un million d’HAP (hectolitres d’alcool pur, équivalent à 100% alc. vol. ndlr). Elle commercialise sa production au travers de diverses gammes de produits dont les célèbres marques de rhum Chairman’s Reserve, Admiral Rodney, 1931 ou Bounty Rum. Le prix de vente de la société est une donnée confidentielle qui fait partie de l’accord passé entre le vendeur et l’acheteur mais je dois dire que les chiffres que j’ai pu lire m’ont beaucoup fait sourire…
R : Quelles sont les ambitions de GBH pour St Lucia en tant que marque de rhum ?
GG : Cette acquisition s’inscrit dans notre volonté de devenir un opérateur majeur du marché du rhum haut de gamme alors même que les segments premium et super-premium sont en forte croissance. La Martinique et Sainte Lucie ont des cultures très similaires et partagent la même exigence en matière de production de rhum. Au-delà des multiples synergies, nous avons été séduits par la diversité et le savoir-faire traditionnel des rhums proposés par Saint Lucia Distillers. Nous pensons notamment que la marque Chairman’s Reserve possède tous les atouts pour devenir une véritable marque mondiale.
R : L’axe touristique et culturel est-il un facteur de développement du tourisme à Sainte Lucie ?
GG : Nous avons prévu un ambitieux programme d’investissements afin d’améliorer et de moderniser l’ensemble des infrastructures de Saint Lucia Distillers (distillerie, chais de vieillissement…). Nous souhaitons aussi développer un véritable circuit de visite pour que la distillerie devienne un haut lieu touristique de l’île de Sainte Lucie à l’image de l’Habitation Clément à la Martinique. Nous souhaitons que la distillerie de Sainte Lucie tire le meilleur parti de l’afflux touristique que reçoit l’île (plus d’1 million de touristes par an) afin de promouvoir le savoir-faire et la qualité de ses rhums auprès d’une clientèle majoritairement anglophone (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni). Cela est d’autant plus stratégique que ces trois pays sont parmi les plus gros consommateurs de rhum premium au monde.
R : Quelles synergies tirer d’une alliance entre deux marques de rhums agricoles et une marque de rhum de mélasse ? Un échange de savoir-faire est-il envisagé ?
GG : Le rhum de Sainte Lucie sera très complémentaire de nos marques de Martinique et les deux origines se complèteront parfaitement dans l’offre que nos équipes commerciales et marketing développent à l’international. C’est un peu comparable au whisky écossais et à son cousin irlandais. Il y a une demande différenciée pour les deux origines qui se vendent très bien et se complètent à merveille. Le nouvel ensemble sera générateur de nombreuses synergies tant sur le plan de l’offre (rhum agricole et rhum de mélasse) qu’au niveau des marchés cibles prioritaires (anglophones et francophones…). Nos marques vont s’aider et se supporter mutuellement. Nos équipes de production auront aussi beaucoup à s’apporter en échangeant sur la distillation et les méthodes de vieillissement et d’assemblage. Les marques de rhum de Saint Lucia Distillers présentent un véritable potentiel de développement à l’international. Je pense bien évidement prioritairement à Chairman’s Reserve, Admiral Rodney, 1931 et Bounty. Les équipes commerciales du pôle spiritueux de GBH sont d’ores au service de Saint Lucia Distillers afin de faciliter l’implantation de ces nouvelles marques au sein de son réseau international de distributeurs qui couvre plus de 60 pays. Je suis d’ailleurs très heureux de voir que les équipes commerciales de Sainte Lucie, celle de notre filiale en Europe ou de notre bureau aux USA travaillent déjà main dans la main comme si elles se connaissaient depuis 10 ans. On peut déjà sentir les synergies qui nous conduiront vers le succès !
R : Est-il encore possible de croître en volume dans le rhum agricole en Martinique ? Existe-il également des problèmes fonciers à Ste Lucie ou est-il possible d’y envisager la culture de cannes à sucre ?
GG : Les rhums que nous produisons à Sainte Lucie sont très majoritairement issus de mélasses. Ils sont distillés en alambic ou en colonne puis sont assemblés selon les produits et les cuvées. C’est d’ailleurs cette différence par rapport aux rhums agricoles que nous produisons en Martinique qui nous a séduits. Il n’y a pas de projet de développer la culture de la canne à sucre à Sainte Lucie. C’est une petite île de 600km²; le foncier y est assez restreint et il y a de beaux projets en matière de diversification agricole qu’il faut encourager.
R : Est-il possible de devenir un acteur majeur des rhums premium au niveau mondial en ne s’appuyant que sur le rhum agricole AOC ?
GG : C’est une réelle chance de pouvoir opérer sur les deux segments (agricole et traditionnel) avec des marques premium, qui plus est leaders sur leur marché domestique. Nos marques sont fortes d’une longue et belle histoire et empruntes de tradition et de savoir-faire… il y a donc là tous les ingrédients pour que le cocktail soit de grande qualité et que nous devenions un « acteur majeur des rhums premium » pour reprendre la question posée…
« Il faut toujours viser la lune car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles, » Oscar Wilde.
NDRL : Nous apprenons également que des discussions sont en cours avec Alexandre Gabriel et ses remarquables rhums de négoce Plantation Saint Lucia 2003, 2004 et bientôt 2005 : si les stocks le permettent, d’autres millésimes pourront voir le jour !