Covid-19 : Interview de Marc Sassier, Directeur de Saint James et président de l’AOC Martinique

Rumporter : Le Corona virus est désormais bien présent sous vos latitudes, pouvez- vous nous faire un point à date de l’évolution de la maladie en Martinique ?

Marc Sassier : Ici en Martinique, ayant eu un confinement en même temps que la métropole, nous avons un peu d’avance sur l’expansion de la pandémie en espérant que cela réduira également l’importance de ce fléau. Au 15 avril nous déplorons toutefois déjà 8 décès et avons vécu le weekend de Pâques sous couvre-feu, long week end du vendredi au lundi qui est normalement un évènement familial à manger des « matoutous » (crabes) sur les plages.

R : Alors que nous sommes en pleine période de récolte, pouvez-vous nous raconter concrètement comment vous vous êtes organisés sur le site de production. Quels métiers sont en télétravail, au chômage partiel ou nécessitent une présence physique ?

MS : Malgré le confinement les planteurs de cannes et les distilleries sont en activité, à ce jour on ne compte pas de cas d’infection parmi le personnel. Toutefois les zones de ventes et d’accueil touristiques sont fermés et le personnel au chômage partiel, congé ou autres dispositions comme le prévoient ces temps difficiles. Pour le personnel en activité, nous le préservons en respectant au maximum des distances de sécurité ou en utilisant des masques quant-il y en a et par l’usage de gel hydroalcoolique ainsi que la désinfection, même s’il est difficile de recourir à notre rhum d’un point de vue strictement légal, ainsi on ne peut obtenir de numéro UT pour une simple désinfection au rhum de nos matériels au regard du code des impôts…

R : Le gouvernement via plusieurs décrets ministériels a facilité le don d’alcool surfin aux pharmaciens et autre opérateurs habilité à produire du gel hydroalcoolique ? Avez-vous actuellement de quoi accéder à ce besoin sachant que la plupart des rhums agricoles et notamment en Martinique sont distillés à moins de 80%. Si oui, comment cela se passe-t-il concrètement ? S’agit-il d’un achat de la part de l’état ? Qui fixe le prix ? A qui devez-vous concrètement livrer cet alcool ?

MS : Ces deux décrets isolent temporairement la production de gel hydroalcoolique des conditions de production normée de produits biocide de type 1 (loi 2015). Toutefois si on regarde bien ces lois, on voit que le tableau de composition donne une formule de l’OMS où l’on parle de « référentiel » qui finalement est devenu une norme en France et au lieu du « Ou » on a un « Est », reprenant les normes classiques et ainsi empêchait dans la première mouture les alcools d’origine agricoles.

Face à la pénurie d’alcool, notamment suivie par Alexandre Vingtier pour tenter d’en fournir partout en France, et ce dans toutes régions distillant, la question s’est posée ici aussi où le Service des Fraudes a demandé l’élargissement de cette loi aux produits agricoles. En même temps on apprenait qu’il fallait un minimum de 70% d’éthanol pour que le produit soit efficace. Le 20 mars le texte (JORF n°0070 du 21 mars 2020) a été modifié en mentionnant l’alcool agricole et des recettes avec des degrés supplémentaires. Toutefois l’alcool agricole mentionné était tout sauf les catégories classiques de boissons spiritueuses (dont notre rhum), mais du surfin à moins de 10 g de non alcool/HAP, que l’on ne peut obtenir que par rectification poussée. Or, il n’y pas de rectificatrice en Martinique, seulement en Guadeloupe, d’où provient l’alcool de pharmacie ou « bon gôut » disponible ou par importation aérienne. Si le rhum A.O.C. doit être produit entre 65 et 75%, nos colonnes par leur montage peuvent aisément monter à 85 voire 90% même si elles perdront un peu plus de rhum en vinasse, le produit reste toutefois du rhum traditionnel (TNA > 225 g/HAP, Degré < 90%) car on ne peut éliminer ce non alcool sans rectification ni extraction. Le seul composé qui pourrait vraiment nuire serait le méthanol mais naturellement nous sommes bien en deçà de la tolérance pour ce composé. D’ailleurs ces rhums sont autorisés à la consommation et peuvent prétendre à une IG (Antilles fr.).

Dès lors quand les rhumiers Martiniquais ont voulu offrir du rhum à 90%, ils se sont tournés vers Saint-James, revendeur d’Alcool « bon goût », et ont fourni du rhum de leur production en contrepartie de 8 000 litres de cet alcool. Sous l’égide du CODERUM en liaison avec Prochimie, qui a fabriqué et conditionné le gel, celui-ci a été offert aux services de l’état pour distribution et répartition.

Cela n’augure pas de la suite de l’évolution locale de la pandémie et quand on sait d’expérience les besoins journaliers nécessaires dans les hôpitaux notamment, on ne sait s’il y aura de l’alcool « bon goût » en quantité suffisante. D’ailleurs, le stock a été réapprovisionné récemment suite à la vente du premier lot pour les pharmacies locales et autres fabricants de gel. Mais ce sera la dernière fois car ce produit n’est plus en stock. Nous n’avons pas non plus d’évaluation des besoins. Nous avons signalé cela à la préfecture et proposé l’usage d’alcool de cannes, assez proche de l’alcool Bon Goût (environ 40 grammes de non-alcool), mais là aussi en quantité très limitée quand certaines distilleries se sont lancées directement dans l’usage de rhum à 90%.

À l’heure actuelle la production de gel par les laboratoires des CHU, des pompiers est arrêtée par le manque des autres composants, si la glycérine a pu être livrée par avion, il en est autrement de l’eau oxygénée qui elle ne peut venir que par bateau… heureusement les doses du CODERUM, mais aussi celles déjà réalisées par les producteurs locaux servent d’appoints dans l’attente.

Et élément plus probant de la nécessité de débloquer cette situation qu’en une journée une des trois plus importantes distilleries de l’île peut produire l’équivalent en HAP du stock actuel d’alcool « bon goût » encore présent à la Martinique et qui s’amenuise rapidement ! Encore faut-il que ces distilleries n’aient pas eu de cas avéré de coronavirus qui mettrait l’unité en quarantaine.

R : Savez-vous quelles conséquences, la crise impliquera sur votre propre production de rhum ?

MS : Comme indiqué précédemment, la production de rhum sera assurée tant qu’aucun cas avéré de covid-19 ne sera recensé en plantation et en distillerie pour l’unité concernée. Ce risque vaut aussi pour tout ce qui sont les modalités de transport car que ce soit le matériel, les fournitures… mais aussi les expéditions nous sommes dépendant des conditions d’insularité et des risques de quarantaine à chaque point d’échange. Notons qu’avec quasiment que le fonctionnement des distilleries, les mesures de qualité de l’air sont très bonnes en cette période de confinement.

R : Avez-vous déjà perçu un impact de la crise sur les ventes ?

MS : C’est localement d’après les premières estimations près de 50% de vente en moins…

 


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