Stéphane Madkaud nous conte l’histoire de sa marque de rhum en pleine « Renaissance »

Un fondateur atypique et un nom de famille inspiré d’un Amiral – baron – gouverneur abolitionniste, voilà ce qu’est la base de ce que je vous propose aujourd’hui… Direction la Martinique, dans le bassin Nord Caraïbe mais aussi dans le bassin Nord Atlantique, pour une rencontre émouvante et passionnante, parlant du passé, présent et futur des rhums Madkaud, 10 ans après une renaissance incertaine, en compagnie de Stéphane Madkaud lui-même, 6ème génération du nom.

© Gregory Duval

Damien Sagnier : Bonjour Stéphane. L’aventure rhumière chez les Madkaud remonte à 1895 avec Félicien, ton trisaïeul, fils d’un esclave et né au Lorrain une dizaine d’années après l’abolition. Suite à la crise sucrière de 1884 et un mariage arrangé avec une quarteronne issue d’une grande famille de négociants Bordelais, Félicien rachète une sucrerie entre le Carbet et Bellefontaine avec le pari osé de la convertir en distillerie de rhum agricole. Tu peux nous en dire plus sur ton aïeul, sa propriété et le fameux morne qui porte votre patronyme ?

Stéphane Madkaud : Bonjour Damien. Mon ancêtre Félicien Madkaud est le fils de deux esclaves de la commune du Lorrain, dans le Nord Atlantique de la Martinique. Il est né sur l’Habitation du Sieur Ludovic de Gentile en 1857 de son père Louis, né lui sur une Habitation de la Grande Anse du Lorrain en 1819 sous le matricule n°105, et de sa mère Monique, qui n’est pas née à la Martinique mais en Afrique, aux alentours de 1820. A l’époque on appelle alors ces esclaves fraichement débarqués d’Afrique des « Nègres Congos ».

En 1848, à l’abolition de l’esclavage, Louis fait enregistrer sa famille à l’état-civil en se réclamant du nom de « Madkaud ». Ce nom dérive très vraisemblablement de « Ange René Armand de Mackau », Amiral, commandant en chef des forces navales aux Antilles et Gouverneur de la Martinique en 1836. En 1843, cet amiral devient Ministre de la Marine et des Colonies et c’est pendant ce mandat qu’il rédige les premières lois abolitionnistes, les « lois Mackau » de 1845. Ce sont des lois qui permettent notamment aux esclaves de posséder quelques biens, voire même de racheter eux-mêmes leur liberté ! Ces lois ne sont guère appliquées à la Martinique, mais elles sont déjà le signe d’une abolition toute proche… Et elles donnent sans doute beaucoup d’espoir aux esclaves qui en entendent parler. C’était probablement le cas de mes ancêtres en tout cas…

Pour en revenir à Félicien, c’est donc le benjamin d’une fratrie de 9 enfants dont les aînés, comme son grand-frère Augustin par exemple, sont nés esclaves. Même s’il vit dans des conditions de pauvreté propres aux personnes de leur condition, Félicien a la chance de naître libre et de s’instruire à l’école. Pour une raison que nous ignorons, il traverse l’île d’est en ouest et il devient finalement distillateur au Carbet, sur la côte Nord Caraïbe, et plus précisément à l’Habitation Fond Capot, dans la zone limitrophe de la commune du Carbet et du hameau de Bellefontaine.

Cette Habitation de 184 hectares est une des plus anciennes de l’île puisqu’elle a été bâtie en 1670 et est offerte en récompense en 1674 au Gouverneur général des îles et de la terre ferme, Jean-Charles de Baas-Castelmore, un mousquetaire du roi Louis XIV. Ce gouverneur est en effet récompensé par le roi lui-même pour avoir repoussé le 20 juillet 1674 à Fort de France, une tentative d’invasion des Hollandais menés à l’époque par l’Amiral de Ruyter. Il décède en 1677 et est enterré sur son Habitation de Fond Capot, habitation qui prend en 1849 le nom de « Duvallon », à l’arrivée de la famille Peu-Duvallon.

Félicien exerce le métier de distillateur dans les années 1870-80 sur cette habitation qui est à l’époque une sucrerie-distillerie qui produit donc à la fois du sucre mais aussi du rhum de mélasse, jusqu’à la terrible crise sucrière qui débute en 1884 et ruine bon nombre de propriétaires.

Grâce à son mariage en 1893 avec Marie Barbe-Pirame qui est une métisse héritière d’un négociant Bordelais, Félicien peut reprendre cette habitation mais en reconvertissant son activité en production de rhum purement agricole. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène isolé à cette époque, la production sucrière traversant une crise mondiale de surproduction, beaucoup de distilleries ont eu recours à ce que l’on appelle une production rhumière autonome. C’est notamment à cette époque que naît le rhum Clément en 1887, de la reprise à la barre du tribunal par Homère Clément d’une Habitation elle aussi en faillite…

Le site de production ainsi que la maison de Fond Capot se situent de part et d’autre de la rivière Capot, au pied d’un morne qui est donc baptisé « morne Madkaud ». Il s’agit en fait d’un haut plateau qui est planté en canne à sucre sur environ 200 hectares entre le Carbet, le Morne Vert et Bellefontaine.

rhum Madkaud

DS : Plutôt connu et très apprécié jusque dans les années 50, Madkaud était un fleuron local du rhum Martiniquais. Pourtant, en 1969, après une success story de presque 70 ans et 3 générations de Madkaud à sa tête, la distillerie de Fond-Capot s’arrête net. Comment expliques-tu cela ? 

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