Le salon de l’agriculture a ouvert ses portes dimanche 27 février, et une des nouveautés, c’est la présence de la Fédération Française des Spiritueux (FFS). L’occasion pour nous de faire le point sur la santé de la filière en général et du rhum en particulier avec Thomas Gauthier, le directeur général de la FFS.
Fabien Humbert : La Fédération Française des Spiritueux est présente pour la première fois au Salon de l’Agriculture, pourquoi ?
Thomas Gauthier : Notre fédération qui est née en 1996 du rapprochement de différentes fédérations historiques (celle des anisés, des eaux de vies de fruits, des liquoristes…) compte 250 adhérents directs et indirects (éventuellement via les fédérations membres) qui sont tous très différents mais qui ont pour point commun d’être à 100% agricoles.
Chaque année en France, ce sont près de 3 millions de tonnes de matières premières agricoles – distillées, macérées ou infusées – qui entrent dans la composition des produits de nos adhérents. A travers notre présence au salon de l’agriculture et notre vaste stand, nous voulions rapprocher les spiritueux, du terroir.
FH : Le terroir n’est-il pas assez mis en avant dans les spiritueux ?
TG : Nos entreprises s’y réfèrent de plus en plus, notamment via une offre de spiritourisme en plein développement. Ensuite on note la poussée du craft, des micro-distilleries, avec des gens qui s’installent et se reconvertissent avec cette idée de terroir en tête.
Et puis les consommateurs sont, eux aussi, demandeurs. Ils veulent vivre une expérience, vraiment comprendre ce qu’ils achètent. On a de plus en plus souvent affaire à des gens informés.
FH : Quel est le poids économique des spiritueux en France ?
TG : Au sein de la fédération, il y a quelques très grands groupes, mais 90% de nos adhérents sont des TPE/PME. Ils représentent quelques 100 000 emplois directs, indirects et induits.
Et à l’export, le chiffre d’affaires de la filière est de près de 5 milliards d’euros (alors que le déficit extérieur de la France est de 84,7 milliards d’euros nlrd). Les spiritueux retrouvent leur rôle moteur dans la balance extérieure après une année 2020 difficile à 3,7 milliards d’euros. Le cognac reste le poids lourd des exportations de spiritueux, comme le champagne est le poids lourd des exportations de vin.
En GMS (Grande distribution nlrd) en France le chiffre d’affaires de la filière est aussi voisin de 5 milliards d’euros (stable par rapport à 2020). Le CHR (café hôtels restaurant) avait baissé quasiment de moitié en 2020. Rappelons que 92% des professionnels du secteur avaient subi une baisse pouvant aller entre 30 et 50% de leur chiffre d’affaires annuel. Finalement cela fait depuis le deuxième semestre 2021 que les choses sont réellement reparties.
FH : Donc le chiffre d’affaires des spiritueux c’est quand même 13 milliards d’euros minimum en 2021 ?!
TG : Oui, malgré le covid, les crises, la guerre commerciale initiée par Donald Trump…
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FH : Et le rhum, comment se porte-t-il ?
TG : D’après les chiffres Nielsen pour 2021, les ventes de spiritueux sont stables en volume en GMS. Le rhum est à +3%. C’est une belle performance, qui suit une performance historique en 2020 puisque les ventes de rhum en volume avaient progressé de +12,6% en volume.
Si on entre dans le détail, les rhums français sont stables alors que les ventes de rhums importés sont en hausse, et les rhums de spécialité (arrangés, épicés…) montent fortement à +15%. En valeur, la hausse est de +2% en 2021 (contre +6% en 2020) pour les spiritueux, contre +6,6% pour le rhum (et +16% en 2020).
FH : Qu’en est-il segment par segment ?
TG : Les rhums blancs résistent alors que les rhums ambrés et darks progressent très fort, notamment grâce à l’arrivée de Captain Morgan en GD. Les rhums vieux progressent eux aussi fortement et on note que les rhums des DOM ont réussi à maintenir leurs parts de marché.
La catégorie des rhums arrangés poursuit sa croissance, tirée par les rhums de la Réunion. A l’export, les rhums vieux, et notamment les marques de rhum des DOM, progressent fortement, tout comme les rhums arrangés.
FH : Comment expliquer ces succès ?
TG : Pour les rhums des DOM, on peut mettre en avant le dynamisme des marques, avec de nouvelles propositions, des innovations d’un côté, et la bonne image pour les consommateurs des indications géographique et du cadre européen, de l’autre.
FH : Et quelles seraient les menaces pour la catégorie rhum ?
TG : Les discussions avec la grande distribution (GD) sont très compliquées, notamment pour les rhums des DOM qui n’arrivent pas à obtenir des augmentations de prix, alors que le prix d’achat des matières premières (notamment la canne à sucre), et donc les coûts de production, flambent.
Sinon la progression des rhums des pays tiers, la concurrence, est une bonne nouvelle pour le rhum en général, c’est un challenge supplémentaire pour les producteurs français. Certains produits essaient d’intégrer la catégorie rhums alors qu’ils n’en respectent pas toutes les caractéristiques fixées par le règlement européen.
Enfin n’oublions pas que les spiritueux sont parfois mal compris et assimilés à des produits d’alcoolisation. Certains au niveau mondial et européen (notamment le rapport BECA au parlement européen), posent des jalons pour des politiques de santé publique plus restrictives. Ce sont des menaces qu’il ne faut pas prendre à la légère.