Nous sommes en 1769, devant une magnifique distillerie. Située sur les rives de la rivière St-Charles, dans la région de Québec, elle est la première à voir le jour dans la magnifique province de la fleur de lys. On y distille alors du rhum. Oui chers amis ! Elle nous fabrique du rhum de mélasse provenant des Caraïbes ! Voyez-vous ? L’amour des Québécois pour le rhum remontre à fort longtemps !
Malheureusement, le tout a été chambardé dans le début des années 1900 alors que la prohibition (celle du Canada, pas l’américaine) a été mise en place. Un petit fait cocasse, en 1898, alors que le Gouvernement canadien passait un référendum portant sur la prohibition, une seule province a voté contre et ce avec plus de 80% des votes : le Québec ! En 1918, lorsque la prohibition a réellement été effective, elle n’a duré que quelques mois voire même semaines à cause d’une forte pression sociale. Nous, nous savons ce que nous voulons ! Malgré tout, ce n’est que dans les années 90 que le monde de la distillation a réellement revu le jour et ce, avec la montée en force des cidres et des brandies de pomme. Depuis ce jour, plusieurs distilleries ont été mises en place. Vodka, gin, whisky, etc. Aujourd’hui le Québec a un marché important en matière de spiritueux artisanaux. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux n’ont absolument rien à envier à qui que ce soit à travers le globe. Cependant, aucun rhum n’est réellement fait au Québec. Bien sûr, le tout devrait changer dans les prochains mois et/ou années puisque la tendance y est.
Le rhum Chic Choc
Le premier à avoir ressuscité le dossier du rhum au Québec est le Domaine Pinnacle (maintenant propriété de Corby, sous le nom d’Ungava Spirits). Ce domaine a pensé à un rhum bien à lui, le rhum Chic Choc. Il s’agit d’un assemblage de trois types de rhum – Jamaïque, Barbade et Trinidad – dans lequel le Domaine Pinnacle laisse macérer quelques épices québécoises pendant quelques jours ou semaines. Avec ses 42% d’alcool/volume, c’est un rhum qui peut plaire à son état brut avec des notes sur la vanille, des soupçons de sirop d’érable et même de gingembre. Ce rhum est d’ailleurs le seul à être disponible sur les tablettes de la SAQ (Société des Alcools du Québec, le monopole local) sous la bannière ‘’Origine Québec’’. Heureusement, d’autres produits verront le jour comme le Morbleu, un autre épicé de la distillerie Mariana. Au moment de vous écrire ses lignes, ce spiritueux a été présenté aux acheteurs de la SAQ et la distillerie attend un retour positif ou négatif. Ce nouveau rhum est un assemblage d’un rhum jeune de Trinidad avec un distillat de mélasse fait directement à distillerie. De plus, la distillerie y met seulement quatre épices à l’intérieur dans le but d’aller chercher de magnifiques arômes mentholés, chocolatés et herbacés. La finale n’est pas trop longue et relativement agréable. D’ailleurs, nous devons donner crédit à cette distillerie qui tente vraiment de faire des produits différentes et ce, avec la réalité à laquelle elle fait face.
Un marché régi par l’État
Pourquoi ne pas faire la totale en matière de distillation ? Puisque la réalité au Québec est que la distillerie ne peut vendre à la fabrique et doit absolument vendre ses spiritueux à la SAQ. Celle-ci les vendra deux à trois fois le prix. Au moment de la vente avec la Société des Alcools du Québec, les distilleries font à peine cinq à dix dollars par bouteille et ce, selon le produit en question. Il est donc très difficile pour une distillerie d’acheter une matière, la distiller et la vendre avec l’espoir d’être compétitif. Bien sûr, la qualité peut jouer un grand rôle mais le consommateur nord-américain n’est pas encore assez renseigné sur le rapport qualité/prix de divers produits quoiqu’une belle amélioration se fait voir de jour en jour. Outre la distillerie Mariana, d’autres distilleries ont déjà fait savoir leur intérêt pour ce type de spiritueux. C’est le cas de la distillerie St-Laurent. Cette dernière a grandement fait les manchettes dans les dernières semaines avec ses divers investissements à l’intérieur de la distillerie et ce, dans le but de produire différents spiritueux, dont un rhum.
Rumporter : Mais Yan, c’est tout?
Pour le Québec… Oui! Mais pour le Canada, oh non !
La réalité, étant différente dans les autres provinces du Canada, facilite la conception de nouveaux types de spiritueux dont le rhum. Plusieurs peuvent accueillir les consommateurs à la distillerie dans le but de faire déguster leurs produits. Ceci favorise définitivement le partage de connaissance ainsi que les ventes.
Commençons avec l’Ontario. Une grande tendance se fait voir en matière de rhum dans les distilleries artisanales. Tout d’abord, une jeune distillerie située en plein cœur de Toronto produit un rhum qui sort complètement du lot. Yongehurst produit leur Harbour Rum à l’aide d’une mélasse équitable et organique provenant du Paraguay. Le tout est fermenté à l’aide d’une levure ‘’sauvage’’ spécialement conçue en Ontario à l’aide de pommes. Par la suite, le tout passe à travers deux petits alambics hybrides afin de conserver le maximum d’arômes et de douceur. Dilué à 44% d’alcool par volume, l’Habour Rum offre un côté très végétal et herbacé en premier lieu comme pourrait le faire un agricole. Par la suite, le fruit (poire) se montre d’une très belle façon. C’est à se demander si ce n’est pas une petite eau-de-vie. Présentement, une version repose dans des fûts de bourbon Four Roses.
À quelques kilomètres de cette distillerie urbaine se trouve 66 Gilhead, situéz à Prince Edward County. Cette distillerie est l’une des distilleries les plus lucratives de l’Ontario. Elle produit une bonne gamme de spiritueux dont le Duck Island Rhum. Il s’agit d’un rhum fait à base de mélasse Crosby. Le tout est construit par une levure spécialement conçue aussi par la distillerie. Une fois la fermentation terminée, le tout est distillé dans un magnifique alambic ‘’pot still’’. Par la suite, on fait vieillir le tout dans des barriques neuves fabriquées de chênes 100% canadiens. Avec ses 45% d’alcool par volume, il est bien. Très bien ! L’agrume est bien présente dans ce rhum avec une finale très vanillée.
Un peu plus au nord, à Ottawa, la superbe distillerie North of 7th offre deux rhums très bien réussis. Les deux versions sont fabriquées selon les mêmes principes à l’aide de la mélasse montréalaise Lantic. Leur maturation se fait à l’intérieur de barriques de chêne complètement neuves. Une version est diluée à 40% d’alcool par volume alors que l’autre version est ‘’Cask Strength’’ à 57%. Cette dernière est sublime. Probablement l’un des meilleurs rhums canadiens. Les quatorze mois en barrique se font bien présent. À travers le caramel, la banane flambée, la vanille et le bois ce rhum est un candidat idéal pour un marché mondial. (ndlr : le top du top est de mélanger à parts égales les deux versions pour obtenir un rhum à 48% environ, d’un très bel équilibre, plus complexe et long en bouche).
Lire la suite