Rhum en Crime est une série d’histoires vraies présentées de manière romancée, dans lesquelles le rhum joue un rôle. Ces courts récits évoquent aussi bien des meurtres que des affaires de fraudes.
À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’armée française possède des quantités considérables de rhum non écoulé. Malgré la baisse des cours du rhum déjà entamée sur le marché libre, la Grande muette décide de se débarrasser des stocks. Cela provoque un effondrement des prix qui conduira à la mise en place de la loi sur le contingentement. Pour l’heure, la base française de Salonique, en Grèce, créée en 1915, cherche un acheteur pour ses 11 000 hectolitres de rhum.
Robert Nègre, négociant bordelais qui se trouve en Grèce, se porte acquéreur. Oui, mais pour combien ? L’intendance fixe le prix à 5 Francs 21 le degré et l’affaire est conclue.
Quelques temps plus tard, l’intendance s’aperçoit que le pesage de l’alcool a été sous-estimé, et fait arrêter Robert Nègre, rentré en France depuis. Le négociant est accusé d’avoir allongé d’eau les échantillons de rhum utilisés pour évaluer le taux d’alcool. De plus l’intendance n’ayant pas l’instrument de mesure adéquate, celui utilisé par l’accusé est suspecté de défaillance.
Les gendarmes lui indiquent qu’il doit être traduit devant le Conseil de Guerre de Salonique – rien que ça. Arguant d’une santé de fragile et en échange du financement du voyage, escorte policière incluse, on lui accorde de se rendre en Grèce par voie terrestre. Avec deux gendarmes, il traverse le nord de l’Italie, l’Autriche et arrive à Budapest où il tombe malade.
Il est dans l’incapacité de poursuivre son périple. L’escorte ne peut pas continuer sans le prisonnier qui est par ailleurs le bailleur de fonds… Celle-ci est rappelée en France et fait l’objet de sanction disciplinaire pour ne pas avoir pris soin de M. Nègre. Quant à ce dernier, il est libéré sous caution mais toujours convoqué à Salonique où il finit, trois mois plus tard, par se rendre. Alors qu’il pense y être jugé, il apprend que le Conseil de guerre a été entre temps dissous, et le dossier transféré à Marseille, où il comparait enfin le 26 juillet 1922, après une instruction d’un an et demi, avec son employé Victor Olivier (ou Ollivier), représentant à Salonique de Robert Nègre au moment de l’achat.
Dans la matinée, les avocats des co-inculpés, après avoir rappelé que les soldats de Salonique ayant participé au pesage de l’alcool, accusés eux-aussi de complicité de fraude, ont été finalement amnistiés, tentent de démontrer que le Conseil de Guerre de Marseille est incompétent pour juger cette affaire.
Selon eux, l’accusation porte sur des délits de droit commun opérés après la cessation des hostilités. L’après-midi, le Commissaire du Gouvernement tente de son côté de convaincre, au contraire, du bien-fondé de la procédure. Le président du Conseil de guerre tranche en faveur du dernier intervenant.
Lors de la deuxième journée d’audience, les accusés s’affrontent. M. Nègre affirme qu’il n’a jamais, au grand jamais mouillé les rhums, et que si une erreur, dont l’intendance ne serait rendu-compte que tardivement, a pu avoir lieu, celle-ci aurait été tout à fait fortuite.
M. Olivier, de son côté assume parfaitement avoir mouillé les rhums, sans savoir que cela était repréhensible, et ce, sur demande de son chef, Robert Nègre, ce que celui-ci conteste. Quant à l’instrument de mesure, il était en parfait état de fonctionnement selon lui.
Les avocats entrent en scène et celui de R. Nègre, étant trop intelligent pour plaider avec outrecuidance non-coupable, eut cette phrase magnifique : « mon client est honnête avec subtilité et avaricieux avec passion ».
Quant à l’accusation, elle demande habilement d’effectuer la distinction entre Messieurs Nègre et Olivier concernant leur responsabilité.
Le conseil se retire et moins d’une heure après, le verdict tombe. Robert Nègre est condamné à trois mois de prison et 5000 francs d’amende ; Olivier à trois mois de prison avec sursis.