C’est la nouvelle étoile montante du cocktail à Paris. Retenez bien son nom : Robin Le Texier. Né dans une ville qui aime le rhum, Saint-Malo, ce jeune Breton de 30 ans coule dans ses veines un sens extrême du goût et de l’esthétisme.
Chef barman au Breizh Café de la rue Montorgueil, il vient de remporter la finale de la nouvelle édition du concours Bartenders Online Challenge, avec un cocktail très conceptuel à base du rhum cubain Eminente.
Pour cette rentrée, cette nouvelle belle matière grise du bar a lancé sa nouvelle carte de cocktails baptisée « La couleur des émotions ». Une thématique réfléchie qui met à l’honneur plusieurs créations autour du rhum, parfaitement ciselées, à déguster avec une cuisine fusion nippo-bretonne. Rencontre avec ce nouveau génie du shaker créatif et perfectionniste.
Laurence Marot : Quand a débarqué sur ton chemin la passion du cocktail ?
Robin Le Texier : À l’origine, je me destinais à une carrière professionnelle dans le basketball. Je suis parti à Quimper pour démarrer une formation sport-étude. Je me suis rapidement rendu compte que je ne pourrai pas atteindre un niveau professionnel.
J’ai donc bifurqué vers le domaine de la cuisine. Je viens d’une famille de restaurateurs qui m’a éduqué sur le goût. Mes grands-parents avaient un établissement dans la ville de Bédée près de Rennes, repris quelque temps par l’un des frères de mon père. Un de mes oncles est également « cuisinier de maître ». C’était un grand espoir de la cuisine française, il a officié dans des restaurants étoilés.
J’ai suivi un an de cours à l’École Ferrandi mais le rythme soutenu en cuisine et le manque de vie sociale ne me convenaient pas. Pendant quelque temps, je me suis cherché professionnellement entre des jobs dans l’évènementiel et la mode à Paris.
À 23 ans, j’ai fait mes premières gammes dans le monde du bar traditionnel (au « Cœur fou »). J’appréciais son ambiance conviviale mais je n’avais pas cette passion qui m’animait comme dans la cuisine et dans le basket.
En 2016, lassé de la vie parisienne, j’ai décidé de retourner sur les terres où j’avais grandi. C’est à ce moment que mon ami François Carpentier, responsable du bar La Fabrique, premier bar à cocktails de St-Malo, m’a contacté pour un poste de barman. Je ne connaissais pas cet univers mais j’ai tout de suite dit oui. Le déclic tant espéré est arrivé.
J’ai retrouvé cette fameuse passion du goût dans le liquide, un univers aromatiquement et historiquement riche, grâce à François qui m’a transmis ses connaissances. Celui-ci m’a dit un jour « Si j’avais à refaire les choses pour la Fabrique, j’aurais pris des gens plus expérimentés ». Cette phrase m’a poussé à travailler encore plus, à lire des ouvrages sur les cocktails et à essayer d’être le meilleur.
J’ai commencé à participer à des concours comme Les Trophées du Bar. J’étais le seul Breton à être qualifié pour la finale. C’était mon premier contact avec le monde cocktail français. Une très belle expérience. J’y ai rencontré Sara Moudoulaud qui a remporté cette édition en 2017.
LM : Quels sont tes mentors ?
RLT : Bien sûr François Carpentier mais aussi Jean Muños pour qui j’ai beaucoup d’affect. Toujours du côté des Français, Nico de Soto pour sa recherche autour des ingrédients et Remy Savage pour la technique.
À l’étranger, le travail pointu de Toni Conigliaro à Londres et Luke Whearty, ex-chef-barman d’Operation Dagger à Singapour sont de belles sources d’inspiration. Ce qui m’intéresse c’est toute la réflexion autour des boissons.
LM : Te rappelles-tu ta première rencontre avec le rhum ?
RLT : Le rhum a toujours été présent dans mon environnement depuis mon enfance. J’ai grandi à Saint-Malo, ville historique du rhum et aujourd’hui célèbre pour sa course « La route du rhum » qui démarre du port jusqu’à la Guadeloupe.
Mais mon premier vrai souvenir remonte à mes débuts à La Fabrique. Ce bar à cocktail était une ancienne rhumerie et réunissait à l’époque une quarantaine de références, ce qui est beaucoup pour ce type d’établissement. Je n’avais pas d’appétence particulière pour ce spiritueux avant de déguster les rhums et les clairins haïtiens.
Pour la première fois, j’ai ressenti de réelles émotions. Je n’avais jamais goûté ce genre de choses, un rhum très aromatique et explosif en saveurs de canne à sucre. J’ai découvert ensuite la maison Neisson qui m’a déclenché le même choc.
LM : As-tu eu l’occasion de visiter des distilleries de rhum ?
RLT : J’ai eu la chance d’aller en Martinique. J’ai visité l’habitation Neisson. Un grand moment ! Je suis un fan de son rhum Profil 105 et je suis très sensible à leur démarche bio. J’ai également découvert Depaz, une distillerie installée dans un endroit sublime au Nord de l’île.
LM : Tu es aujourd’hui le chef barman du seul bar à Paris de l’enseigne Breizh Café, la crêperie bretonne aux influences japonisantes. Tu as fait un grand saut depuis tes débuts à la Fabrique. Le monde du rhum t’a aussi suivi ?
RLT : J’ai intégré la structure en mai 2019. J’ai découvert que son fondateur Bertrand Larcher habitait à 500 mètres de chez mes parents. J’ai la chance d’avoir ici totalement carte blanche sur mes créations.
Nous ne n’avons pas de licence IV, les cocktails sont toujours consommés avec des plats et crêpes de la maison. J’ai référencé peu de spiritueux car notre clientèle ne fréquente pas le lieu pour de la dégustation. Je propose environ 6 références de rhum comme ceux de Clairin et Santa Teresa 1796.
J’ai le projet d’étoffer la collection avec des rhums japonais. Je pense à des rhums comme Ryoma 7 ans de la distillerie Kikusui située sur l’île de Shikoku ou la distillerie Nine Leaves.
LM : Tu es le vainqueur de la deuxième édition du concours Bartenders Online Challenge, premier concours en présentiel depuis la crise sanitaire. Tu as séduit le jury avec ton cocktail à base d’Eminente Ámbar Claro, « Le Parfum de ma mère ». Es-tu un connaisseur de rhum cubain ? Qu’est-ce que cette compétition t’a apporté ?
RLT : François Carpentier m’a contacté parce que Yoann Demeersseman, le co-organisateur, souhaitait que je participe à cette deuxième édition de Bartenders Online Challenge. C’était en plein confinement. J’ai beaucoup douté sur mon avenir de barman pendant cette période.
Ce concours m’a permis de me remettre sur les rails. J’avais déjà une connaissance du rhum cubain car j’avais participé en 2018 à la finale France du concours Grand Prix Havana Club où je suis arrivée à la seconde place. J’avais effectué un certain nombre de recherches sur ce style de rhum et sur le musicien Roberto Fonseca.
J’ai une grande sensibilité pour le rhum cubain. Son côté versatile ouvre sur de nombreux horizons créatifs. Concernant ma création « Le Parfum de ma mère » lors de Bartenders Online Challenge, c’était la première fois que je travaillais avec ce produit. Je ne le connaissais pas. La finesse et la robe de ce rhum m’a évoqué le parfum de ma mère que je sentais plus jeune dans ses flacons. C’est pourquoi j’ai imaginé une création cocktail symbolisant le parcours de ma rencontre du goût en tant qu’enfant jusqu’à ma vie d’adulte.
J’ai fait le lien avec le lait maternel, mon premier contact vis à vis du goût et son côté vanilline pour amorcer ma réflexion en y ajoutant le patchouli présent dans le parfum de ma mère. C’est un peu un genre de frise chronologique gustative et olfactive, coordonnée par le lien mère fils, et le passage de l’enfance, de l’adolescence à la vie d’adulte. Je pense que cette victoire m’a donné une crédibilité vis-à-vis de la communauté de bar et apporté plus de confiance et de visibilité dans mon travail.
LM : Tu as lancé en septembre ta nouvelle carte de cocktails au Breizh Café sur le thème « La couleur des émotions » qui représente ta sensibilité et ton style. On y trouve 3 cocktails au rhum sur les créations. Le rhum est pour toi une source d’inspiration ?
RLT : Cette carte constitue un labeur de longue haleine. J’ai envoyé un questionnaire autour de la perception des émotions à une cible de Bretons et de Japonais pour me guider vers une direction gustative, une colorimétrie et des atmosphères.
Sa vocation : définir par émotion deux couleurs, deux gouts, une atmosphère ou un souvenir. J’ai travaillé plus de 2 mois sur toutes les données que j’ai récupérées. C’était un gros travail de fond pour réunir huit émotions dans cette nouvelle carte. J’aime imaginer des textures et travailler sur une architecture du goût.
Je passe 85 % de mon temps à plancher sur papier avant de passer à l’exécution. Mes inspirations ? Je les puise dans des ouvrages artistiques autour de la Bretagne et du Japon (« Voyage d’un peintre breton au japon », « Eloge de l’ombre ».). Cette dernière carte sera réactualisée tout au long de l’année en travaillant avec un céramiste pour les récipients qui prolongeraient l’émotion du cocktail.
J’ai également sollicité mon frère musicien pour qu’il enrichisse l’expérience de dégustation en additionnant un QR code à chaque recette. On y entendra une musique d’une trentaine de secondes en lien avec l’émotion et le cocktail.
En effet, on trouve 3 cocktails à base de rhum dans la carte dont un à base de cachaça, le rhum brésilien. Pour cette carte, j’ai travaillé avec la marque Plantation, mais pour cet article avec Rumporter, j’ai réadapté les recettes avec d’autres rhums pour obtenir des profils aromatiques plus complexes.
LM : Parle nous ces trois créations à base rhum.
RLT : Pour le premier, « Peur », un milk punch suave et aromatique, j’ai remplacé Plantation Original Dark par un blend de Santa Teresa 1796 et du Plantation overproof OFTD. J’aime travailler sur des blends pour obtenir une complexité aromatique. Je cherchais ici un côté Umami en mêlant l’air noir et la tomate noire de Crimée au mélange. Le blend de rhum apporte ici beaucoup de richesse et des arômes fruités, associé à un blend de vodka EOR et de vodka Nikka Coffey infusé aux algues. Ce mélange amène une neutralité et l’identité franco-japonaise.
Pour le second cocktail à l’esprit aérien et rassurant, « Calme », j’ai mis en premier plan la cachaça au lieu de la poire. Ce rhum brésilien apporte une belle fraîcheur sans le côté canne à sucre d’un rhum agricole. Le cocktail est dressé dans un bol en céramique. Enfin pour la troisième création, « Amusement, » un long drink accessible aux saveurs acidulées et fruitées, j’ai remplacé Plantation Three Stars par le Clairin Communal pour apporter des saveurs végétales.
LM : Tes projets pour l’année 2022 ?
RLT : Direction Londres ! J’ai prévu en septembre 2022 de travailler sur Londres pour afficher sur mon CV une expérience anglo-saxonne. J’aimerais idéalement me former dans un des bar londoniens The World’s 50 Best Bars qui intègre une vraie direction sur la recherche et le développement autour du gout.
3 recettes cocktails signées Robin Le Texier
Peur (Milk Punch d’environ 12 L)
Ingrédients :
– Blend de 0,95L de vodka EOR et 0, 95L Nikka coffey
– Blend de 2L de rhum Santa Teresa 1796 et 50cl Plantation OFTD
– 2,7 L de sirop d’épices Roellinger à l’eau de de coco et au lait de soja
– 75 cl de vermouth blanc
– 1,2 L de jus de tomate noirs de Crimée centrifugé
-1,4 L de jus de nectarine banche centrifugé
– 0,75 cl de jus de pomme
-1,10 L de jus de citron jaune
– 1 L de lait entier caillé et 1,25 l de lait ribot infusé à l’ail noir
Réalisation :
Préparer le milk punch. Passer la totalité du mélange en superbag jusqu’a clarification complète du mélange. Pour un verre, mettre 125 ml de la préparation avec 5 gouttes de teinture de shichimi dans un verre à mélange rempli de glaçons. Refroidir 5 secondes puis servir dans le verre. Décoration : utiliser un citron jaune pour humidifier le bord du verre et faire un rim avec un gomasio (mélange de sésame et sel) préalablement toasté.
Préparation du sirop d’épices :
Dans 1 L d’eau de coco et 1 L de lait de soja mettre, 1 gousse de vanille, 1 g badiane, 30 g zeste de citron jaune, 25 g zeste citron vert, 25 g zeste orange, 13 g de poivre noir, 6 g d’allspice (piment de Jamaïque), 5 g de fenouil, 1 g de tonka, 6 g de citronnelle, 1,5 g de poivre vert, 2 g de poivre de cassis, 15 g de poivre du monde « Olivier Roellinger », 2 g de macis, 5 g de gingembre.
Une fois l’ébullition atteinte, ajouter 12 g de thé Earl Grey et 15 g de thé Sencha, puis 1 kg de sucre blanc, mélanger jusque dissolution. Filmer et laisser infuser au frais pendant 72 h à 8 degrés.
Préparation de la teinture de Togarachi :
Mettre 10 g de mélange Shichimi Togarachi dans 2 cl de rhum Wray And Nephew à infuser sous vide pendant 12 h à 45 degrés. Filtrer puis mettre en pipette.
Calme
Ingrédients :
– 30 ml de cachaça Yaguara Infusé à la vanille Fraîche et gingko Biloba (1)
– 10 ml d’eau-de-vie de poire Sab’s
– 15 ml de vin de pomme basque Bordatto Txalaparta
– 67,5 ml d’infusion de mélisse fraîche et de fève tonka (2)
– 12,5 ml de solution acide (3)
– 15 ml de sirop simple
– Emulsion d’eau de coco (4)
Réalisation :
Mettre tous les ingrédients dans un verre à mélange et le refroidir en opérant 5 tours de cuillère à mélange puis le verser dans le bol préalablement refroidi avec un block de clear ice en son centre.
Décoration :
Déposer l’émulsion d’eau de coco délicatement autour du block ice, puis poser sur celle – ci des feuilles de bourrache et des ronds de mélisse à l’emporte-pièce.
(1) Pour 75 cl de cachaça mettre une gousse de vanille et 7,5 g de feuille de gingko biloba sous vide à 50 °C pendant 24 h.
(2) Pour 1 L d’eau mettre, 25 g de mélisse fraîche avec une demi-fève tonka à infuser sous vide à 80 °C pendant 3 h. Filtrer puis ajouter par litre 12,5 % de sucre blanc ainsi que 3 g d’acide malique et 1,5 g d’acide citrique. Réserver au frais.
(3) Pour 40 cl d’eau, mettre 4 g d’acide tartrique avec 3 g d’acide citrique.
(4) Ajouter 5 % de sucre à la quantité d’eau de coco puis mettre de la lécithine de soja afin de créer une belle émulsion avec un mixeur à main.
Amusement
Ingrédients :
– 40 ml de clairin communal
– 7,5 ml de yuzushu
– 7,5 ml de shochu Osuzuyama (patate douce)
– 30 ml de cordial de jus de citron vert
– 1 feuille de shiso vert
– 1 blanc d’œuf
– 35 ml de ginger beer Luscombe
Réalisation :
Dans un shaker rempli de glaçons, verser tous les ingrédients. Shaker énergiquement pendant 10 secondes. Filtrer la préparation dans une petite timbale. Puis shaker une seconde fois sans glaçon 15 secondes. Double-filtrer en versant dans le verre. Compléter avec la ginger beer Luscombe. Dressage : saupoudrer de poudre de betterave déshydratée et satsuma imo (patate douce japonaise).
Préparation du cordial bêta-carotène et galanga :
Centrifuger 25 cl de jus de carotte. Rajouter 85 % de sucre au liquide (pour 250 ml/212,5 g de sucre). Compléter avec 1 g d’urucum, 2,5 g de galanga, 0,75 g d’acide malique et 0,25 g d’acide citrique
Mélanger l’ensemble jusqu’à la dissolution complète des différents éléments. Filtrer puis réserver au froid.