Un groupe de sénateurs a récemment proposé d’instituer un prix plancher pour l’alcool en France. En-dessous duquel il ne serait donc pas légal d’en vendre. La mesure (mise en place il y a cinq ans en Ecosse, LE pays du whisky) n’a finalement pas été votée, mais le débat a de fait été lancé, et devrait revenir régulièrement au Parlement et dans les médias. Bernard Jomier, sénateur de Paris, apparenté au groupe socialiste du Sénat (SER), nous explique les tenants et aboutissants de sa mesure.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre amendement ?
L’amendement que j’ai proposé vise à instaurer en France un prix minimum de l’alcool. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe ! C’est une mesure de santé publique qui s’inspire d’un dispositif législatif qui a été voté en 2012 et entré en vigueur à partir de 2018 en Écosse. Cela fait donc cinq ans que le prix minimum y est appliqué.
Pourquoi faire cette proposition aujourd’hui ?
La première évaluation du dispositif écossais a été publiée cet été. Et on a constaté une baisse des hospitalisations, une baisse de certaines maladies, et une baisse de la surmortalité, liées à l’alcool.
Concrètement, quel impact aurait cette mesure sur le prix de l’alcool ?
D’après le niveau que j’ai proposé, on ne pourrait plus vendre en France une bouteille de vin à moins de 3,5 euros la bouteille de 75 cl, et une bouteille de rhum à moins de 12 euros les 70 cl. Donc si cette mesure aurait un impact sur le vin (et pas n’importe quel vin, nous allons y venir), elle n’aurait pas ou peu d’impact sur le rhum, qui se vend en général plus cher que 12 euros. Elle ne s’appliquerait pas en fonction du type d’alcool, mais bien selon la quantité de molécules d’alcool présentes dans la boisson. Ce dès le premier gramme.
Est-ce qu’il ne s’agit pas encore d’un moyen détourné d’augmenter la fiscalité de l’alcool ?
Pas du tout, d’ailleurs pour bien montrer que cet amendement ne vise pas une hausse de la fiscalité, j’ai proposé de diminuer de 0,1 % la fiscalité sur l’alcool. Donc de fait, au-delà du prix plancher de 12 euros, une bouteille de rhum pourrait même être vendue moins cher.
Quel est l’objectif de ce prix plancher ?
Empêcher la revente à bas coût des produits qui ne représentent pas un terroir, une tradition, mais qui sont souvent des mélanges de plusieurs pays, de plusieurs origines. Ces produits industriels sont avant tout destinés à vendre de la molécule d’alcool. Les petits producteurs de boissons alcoolisées qui défendent réellement une histoire, un terroir, un savoir-faire, pourront même bénéficier de cette mesure. D’ailleurs quand je me suis rendu au salon des Vignerons Indépendants, je me suis rendu compte qu’ils n’étaient pas opposés à la mesure.
La plupart d’entre eux commercialisent leurs vins de pays en premiers prix à 6 ou 7 euros la bouteille. On est loin des 3,5 euros ! Par contre, les industriels qui mettent sur le marché des produits à bas coût seront impactés.
Qui seraient les Français les plus impactés par la mesure ?
Dans notre pays, 80 % de la population a une consommation d’alcool qui suit les recommandations de l’OMS et de l’Agence Nationale de Santé publique (pas plus de deux verres par jours, pas tous les jours, pas plus de dix verres par semaine…), qui ne pose pas de problème de santé publique.
L’idée n’est pas de faire porter le poids de la mesure sur eux, mais plutôt de viser les 8 % de Français qui consomment 50 % de l’alcool absorbé chaque année dans notre pays. Ce sont ceux qui ont une consommation à risque, et qui mettent en jeu leur santé. Les produits à très bas coût sont massivement consommés par cette population.
Est-ce que mettre en place un prix plancher pour l’alcool n’est pas une mesure censitaire qui vise surtout les plus pauvres ?
C’est une lecture socialement injuste. On met à disposition des plus socialement défavorisés des produits alcoolisés à très bas coût, alors qu’ils ont du mal à s’acheter des fruits et légumes, à plus forte raison issus de l’agriculture biologique. C’est se désintéresser du sort de ces populations que de laisser à leur portée de l’alcool à très bas coût. On pourrait par contre baisser la TVA sur certains produits alimentaires nécessaires et bons pour la santé.
Quel serait le champ d’application de la mesure ?
Dans la grande distribution, sur internet… partout où on vend de l’alcool en fait. Cela touchera cependant peu le secteur de la restauration, car il applique en général un coefficient multiplicateur aux boissons alcoolisées.
La mesure n’a pas été adoptée, quel sera son destin dans les mois qui viennent ?
Cette année, le débat a été lancé. Même si la mesure n’a pas encore été adoptée, elle a été reprise par des collègues d’autres groupes, notamment de la majorité présidentielle, tandis que des députés vont s’en emparer. Je me doutais bien que l’instauration d’un prix plancher pour l’alcool en France ne serait pas mise en place immédiatement, mais j’ai bon espoir qu’après un débat, elle le sera dans quelques années.
Il y a d’ailleurs eu beaucoup de retours et de reprises dans les médias. En tout cas, nous la porterons à nouveau au Sénat à la prochaine occasion. De toute façon, c’est le sens de l’histoire. Après l’Écosse, l’Irlande et le Pays-de-Galles l’ont récemment institué.
La hausse de la fiscalité sur l’alcool serait-elle efficace pour faire baisser la consommation excessive ?
On connaît la réponse à cette question depuis longtemps. L’OMS rappelle que la hausse de la fiscalité est un des outils les plus efficaces pour réduire la consommation de substances. On sait aussi comment procéder puisque nous disposons de l’exemple du tabac. Il faut des hausses significatives et régulières. En ce qui concerne le tabac, ça fonctionne en France comme partout ailleurs.
Y êtes-vous favorable ?
Il ne faut pas taxer à l’extrême. Il y a des types de consommation d’alcool, qui concernent 80 % des Français, qui ne posent pas de problème de santé publique. Il ne serait pas juste de les sanctionner par une fiscalité trop rude. Le zéro alcool n’est pas l’objectif. En fait, il faut être plus précis et cibler les consommateurs excessifs, ou les types de boissons alcoolisées les plus consommées.
Lesquelles ?
Le vin. La construction des droits d’accises est politique, et tous les alcools ne sont pas égaux face à eux. Grâce à son poids dans les territoires, ses traditions, son histoire, en tout cas en métropole, le vin est moins taxé que les autres alcools dans notre pays. Alors qu’il représente à peu près la moitié des volumes d’alcool présents dans notre pays, il ne paie que 3 % des droits d’accises.
C’est donc plutôt la fiscalité du vin qu’il faudrait augmenter ?
Dans une optique de santé publique, oui. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au rhum en 2019. Il était moins taxé que les autres alcools dans les DOM, pour des raisons là aussi de traditions, d’histoire… Mais cela n’avait pas de sens en termes de santé publique, et il a été décidé que la fiscalité du rhum rattraperait celle des autres boissons sur une période de 10 ans.
Le vin doit prendre le même chemin, de façon progressive pour laisser le temps aux filières de s’adapter. Et il faut rappeler, comme l’a fait Agnès Buzyn quand elle était ministre de la Santé (ce qui n’avait d’ailleurs pas plu au chef de l’État), que le vin n’est pas bon pour la santé !
Pour faire baisser la consommation d’alcool, une des solutions ne serait-elle pas de faire en sorte que ses alternatives soient moins onéreuses ? Je suis souvent frappé de devoir payer un verre d’eau pétillante 4 ou 5 euros dans des bars à Paris alors que le demi de bière est moins cher…
Bien sûr ! Quand vous allez dans un bar et que vous consommez une orange pressée (qui est très bonne pour la santé), cela vous coûte 4 ou 5 euros. C’est à dire plus qu’un verre de blanc ou un demi. On pourrait imaginer de baisser la TVA pour les alternatives à l’alcool. Nous avons de gros progrès à faire en termes de fiscalité comportementale.
Fact checking : Le rhum aurait peu été touché… en métropole.
Le sénateur Bernard Jomier explique que si elle était appliquée sa mesure n’impacterai pas, ou peu le rhum. Car le prix minimum s’appliquant à 70 cl de rhum serait de 12 euros. Et effectivement, après un rapide scan des offres de rhum en grande distribution, on trouve fort peu de bouteilles de 70 cl à moins de 12 euros, à part quelques références des marques UTC 4 ou Old Nick.
Donc si elle est appliquée telle quelle en métropole, la mesure n’aurait que peu d’impact immédiat sur le prix du rhum. Cela pourrait cependant évoluer si dans le en cas de hausse progressive du prix plancher, de 12 à 13, voire 14 euros. Concernant les DROM, cela aurait été tout autre chose étant donné que les prix du rhum y sont encore plus bas qu’en métropole, malgré le rattrapage qui est en train de s’opérer sur la fiscalité.
Si elle avait été appliquée dès cette année, les prix auraient flambé car aucune exonération n’était prévue. Mais comme le dit Bernard Jomier, la mesure en l’état visait d’avantage à provoquer un débat.