Pour les 10 ans de votre magazine favori 20 personnalités décryptent les 10 dernières années, et donnent des pistes de réflexion pour les 10 prochaines…
Comment le marché du rhum a-t-il évolué au cours des dix dernières années ?
Le problème de répondre à ces questions est de savoir de quel marché on parle.
En effet celui du local n’a rien à voir avec celui de l’export en métropole, et moins encore avec ce qu’on appelle le Grand Export. On pourra dire que le rhum est sur une pente ascen- dante avec des amateurs découvrant ce spiritueux de grande qualité qu’ils méconnaissaient, avec un produit issu de la canne à sucre qui se boit blanc, aussi bien que vieilli avec des millé- simes vieux extraordinaires.
Quand on sait que le rhum grâce à la climatologie, hygrométrie, etc., de nos régions tropicales vieillit 3,5 fois plus vite qu’un spiritueux ayant vieilli en métro- pole… Qu’il y a eu un peu trop de dérives voulant surfer sur la vague du rhum alors que les distillateurs d’origine, que nous connaissons ont mis 50 ans à améliorer, pour faire reconnaître la qualité de nos productions, avec des rhums produits un peu partout, des vieillissements en métropole, et j’en passe.
Pas que nous ayons peur de la concurrence, qui, bien au contraire, stimule le marché, mais nous craignons que le consommateur soit désorienté devant tant de nouveautés et ne sache plus iden- tifier et apprécier les produits d’origine que nous distillons. Une explosion aussi d’assemblages de marques, dont parfois certains laissent même entendre qu’ils produisent le rhum, alors qu’ils ne font que l’acheter et les assembler !
Nicolas Legendre : Hervé a bien résumé l’évolution du marché. J’ajouterais qu’à la profusion d’origines (plutôt une bonne chose à mon avis pour le dynamisme du marché du rhum) se sont ajoutées deux tendances à mon avis moins favorables. D’abord l’apparition pléthorique de nouveaux faiseurs (embouteilleurs indépendants et microrhu- miers), pas toujours au fait des réglementations en vigueur et qui, entraînés par leur élan, mettent sur le marché des produits aux appellations non conformes ou carrément usurpées.
Les ODG doivent s’astreindre à un travail de veille perpétuelle pour identifier ces opérateurs et leur rappeler les règles. Dans l’intervalle, la communication effectuée risque d’embrouiller le consommateur. Ensuite les dérives marketing qui, dans le but de se différencier et de se démarquer, amènent certaines marques à proposer des produits incompréhensibles pour les consommateurs, voire aux allégations fantaisistes, bien que pas illégales.
À mon avis, la montée en gamme du rhum ne se fera, ni en tentant d’imiter le cognac ni en imitant les lessiviers. L’identité du rhum « produit de luxe » reste à construire, c’est un chemin très long et très difficile qui est incompatible avec un objectif de ventes annuel.
Comment va-t-il évoluer ces 10 prochaines années ?
Nicolas Legendre : Après l’euphorie des années Covid, les ventes sont en net repli, notamment dans l’hexagone. Cette tendance, directement liée aux problématiques de pouvoir d’achat, va durer.
La consommation statutaire de spiritueux, qui devient quasi inexistante en Europe, va en revanche se développer encore davantage aux États-Unis, dans les pays émergents et… sur les marchés locaux, à l’instar du Cognac et du Champagne. Il y aura donc de belles perspectives, à la fois pour ceux qui auront pu construire un réseau de distribution à l’international performant, mais aussi pour les producteurs bien implantés dans leur terroir d’origine.
Ce sera difficile, en revanche, pour les producteurs dont le réseau de distribution et la légitimité seront incertains et basés uniquement sur le marketing et la communication.
Avez-vous une actualité dont vous souhaitez nous faire part ?
Nous avons lancé en 2023 deux gammes de produits qui s’adressent à deux clientèles différentes : le rhum blanc «l’Expérience 69», en 50 cl à 69°, issu d’une distillation en colonne créole effectuée en mars 2017, et qui a été ramené de son degré de distillation (88°,) à 69° pendant 4 ans, donc très lentement.
Ensuite, ce rhum a reposé pendant 6 ans en cuve inox avant d’être embouteillé. Pas de vieillissement donc, mais un rhum très aromatique et accessible à tous en dépit de son degré élevé. Et le rhum vieux «15 ans d’âge», qui s’inscrit parmi les clas- siques dont la maison Damoiseau a le secret, dans la lignée des millésimes 1989, 1991 et 1995. Un rhum puissant et aromatique qui séduira les amateurs de produits authentiques et tradition- nels.
Dans un tout autre registre, nous avons lancé le cocktail « Pas-Loma », boisson alcoolisée gazéifiée à base de rhum agricole Damoiseau et de jus de pamplemousse. Nous sommes là dans un univers festif qui s’adresse aux festivaliers, aux vacanciers ainsi qu’aux Guadeloupéens lors de leurs sorties du week-end.
Que représente Rumporter pour vous ?
En 10 ans, Rumporter est devenu un magazine incontournable du monde du rhum, avec ses articles fouillés et documentés, et son esprit critique qui, sans tomber dans l’ultra-purisme ou l’élitisme, remet l’église au milieu du village.