Matthieu Lange : Bonjour Laurent, pourrais-tu dresser ton portrait rhumier ?
Laurent Bussert : Bonjour Matthieu. J’ai 35 ans. Je suis tombé dans le rhum en 2007 lors d’un premier voyage en Guadeloupe. Je l’ai découvert chez Longueteau et Karukera qui sont sur le même site. Contrairement au cheminement de beaucoup de monde, je suis tombé dans le rhum par l’agricole, et par ce côté un peu puriste qui est présent dans les Antilles françaises.
C’est seulement deux ou trois ans plus tard que j’ai commencé à découvrir le type hispanique, et plus tardivement encore, ce fut au tour du rhum de type britannique comme la Barbade, et la Jamaïque, qui est un style que j’apprécie tout particulièrement. De manière générale, je n’ai pas de style préféré et ne suis puriste dans aucun d’eux. J’ai moins d’attirance à priori pour les rhums hispaniques mais certains sont très travaillés, et cela dépend beaucoup du contexte, du moment de dégustation.
Tous les styles sont représentés dans ma cave à rhum, de manière relativement homogène. J’accorde particulièrement d’importance au plaisir, à l’émotion et à la sensation que le rhum produit.
Etant technicien de formation dans mon activité professionnelle et ayant eu la possibilité de visiter techniquement plusieurs installations, je prends plaisir à chercher l’influence des techniques utilisées sur les caractéristiques gustatives, comme par exemple le type de canne utilisé, les types de fermentation (durées, levures utilisées) ou les composants chimiques olfactifs du rhum et leurs influence dans le produit final.
ML : Pourquoi avoir créé un Rhum Club et quelle est la particularité d’en créer un dans un territoire de rhum ?
LB : Nous sommes deux à avoir créé le Rhum Club, avec Florian Bossart. D’un point de vue historique, nous avons rencontré plusieurs professionnels du secteur pour savoir si l’idée était intéressante, pour « met’ les rhums péi en lèr » (ndrl : faire connaître les produits de l’île). Le premier objectif est de fédérer du monde et de créer des moments de partage autour du rhum. S’il y a des gens qui souhaitent augmenter leur niveau de connaissances et que d’autres sont plus avertis, alors on peut créer de l’échange. Chacun peut mettre sa pierre à l’édifice.
Pour ma part, avant d’arriver à la Réunion, j’étais membre du Rhum Club en Alsace, dont je me suis rapproché assez tardivement pour raison professionnelle. Lorsque j’ai découvert la Réunion, il y a plus de cinq ans, une chose m’a étonné, à savoir qu’il n’y avait pas de Rhum Club alors qu’il y en a un quasiment dans chaque région de France. Au fil des voyages que j’ai effectué, j’ai échangé avec pas mal de personnes sur le sujet, et très modestement, j’ai constaté que la culture rhum, assez ironiquement à mes yeux, n’était pas très présente à la Réunion, à l’exception du rhum arrangé, véritable institution sur l’île !
Il y a plusieurs raisons à cela. Par exemple l’octroi de mer qui taxe les importations d’alcool à plus de 30% rend les prix des rhums non réunionnais très chers. J’ai donc essayé humblement de créer le Rhum Club dans l’idée de développer une culture et le partage autour du rhum.
La seconde raison est la suivante : il y a trois grandes distilleries sur l’île, pourtant des amis réunionnais, natifs de l’île, n’ont jamais entendu parler ou goûté de rhum Savanna par exemple. Ce qui m’a toujours surpris, c’est de voir que pour beaucoup de Réunionnais, le rhum était souvent résumé à Charrette, et au rhum arrangé pour raison culturelle. Cette culture et l’échange autour du rhum arrangé sont assez extraordinaires et très intéressants, que ce soit sur le travail, les recettes, la manière de faire qui sont souvent transmises de génération en génération.
La culture du rhum vieux est beaucoup moins présente et tout comme encore la plus récente culture du rhum blanc « premium » bu sec. Le but d’un Rhum Club étant de faire connaître le rhum au sens très large, toutes les sortes de rhum ont leur place.
ML : Dans ta réponse tu as parlé des professionnels. Concrètement penses-tu en inviter pour présenter leur rhums ?
LB : Clairement oui, c’est un but recherché. Nous devons à la fois développer la dégustation et l’aspect culturel. Si on peut faire des visites d’installation, nous le ferons.
On souhaite aussi organiser des Master Class avec les distilleries réunionnaises. Il faudra que cela reste dans le cadre du partage, et c’est ce qu’on espère aussi. Nous avons déjà contacté des producteurs dans cette optique.
Nous avons par ailleurs rencontré des cavistes pour présenter le Rhum Club. Nous avons été très bien accueillis. Cependant dans un devoir de neutralité, le but n’est pas de faire la promotion d’un caviste en particulier.
Il y a un autre objectif, plus difficile à expliquer : du fait de l’octroi de mer et de la consommation assez limitée de rhum vieux à la Réunion, on ne trouve que très peu de références dans le commerce. De grandes maisons de distribution, qui possèdent un beau catalogue en métropole, ne proposent pas tous leurs rhums, notamment les vieux, à la Réunion. En développant la culture rhum, on aimerait aussi inciter les distributeurs locaux à en importer d’avantage, sans pour autant concurrencer le rhum réunionnais. La culture du rhum vieux doit aussi se développer avec les distilleries de l’île.
ML : Quelles ont été les démarches concrètes effectuées pour créer le Rhum Club 974 ?
LB : Je suis arrivé sur l’île pour une installation définitive le 10 juillet 2019. Le projet de rhum club macérait avec Florian depuis le mois de mars. Florian vit ici depuis deux ans et demi. Avant de se lancer à corps perdu dans cette aventure, nous avons créé un groupe Facebook, qui s’intitule « Rhum Club 974 », en expliquant le projet, pour voir si la mayonnaise prenait. Pas mal de gens sont venus. Au bout de quatre mois nous avions une centaine de membre du groupe. L’accueil en amont a été très bon tant de la part des amateurs que des professionnels.
ML : Ensuite arrive la question de l’organisation. Comment se structurer ?
LB : Nous avons le 15 novembre fait notre première soirée de lancement, à l’Etang Salé où s’était réunis 13 personnes, clairement intéressés par le club. Pour un démarrage c’est bien et la dynamique est enclenchée. Le groupe était assez éclectique et les parcours, les connaissances assez diverses. La première thématique était l’initiation au monde du rhum.
On trouvait un rhum du Panama, un de Guadeloupe, deux réunionnais et deux jamaïcains. Nous voulions poser la base technique du rhum (Les types de rhum, les grandes familles, le vieillissement, mais aussi le vocabulaire du rhum…etc). L’idée était d’apporter des informations essentielles pour aller plus loin, et chacun se fait son idée.
Auparavant nous avions fait une pré-soirée car tout le monde ne peut pas venir à une date précise. Et l’idée à creuser serait d’effectuer une thématique sur deux dates. La question du lieu est importante également car circuler à la Réunion peut prendre beaucoup de temps… Donc il faut viser le plus pratique pour tout le monde.
Nous allons monter une association. Nous serons amené à demander une cotisation aux membres pour couvrir l’achat des bouteilles pour la dégustation. Les thématiques seront choisies sur proposition et votes des participants. On ne pourra pas satisfaire tout le monde à la même date, mais il y a assez de thématiques pour faire un certain nombre de soirées. Aujourd’hui, rien n’est gravé dans le marbre, nous sommes à l’écoute des membres qui sont dans le club. Par exemple, lors de la soirée du 15 novembre, il y eu une discussion pour connaître l’influence de la variété de canne dans le rhum.
Cela pourra faire l’objet d’une thématique d’autant qu’on en trouve à la Réunion. Par ailleurs, le but n’est pas de proposer que des rhum réunionnais, donc on pourra faire découvrir des rhums Antillais également, comme le mono-variétal Canne bleue par exemple.
Pourquoi pas également, dans le futur, faire un rhum trip à l’île Maurice à côté, pour visiter les installations et découvrir ce qui se fait sur l’île soeur.
Quoi qu’il en soit, nous essaierons de proposer des produits que l’on trouve déjà à la Réunion. Il n’y a rien de plus frustrant pour un amateur que de goûter un rhum que l’on ne peut pas avoir. Avoir rencontré les distributeurs auparavant, nous aide justement à approvisionner le Rhum Club et à tenir cette ligne.