Comment Barbancourt fait face à la crise en Haïti

La célèbre marque, synonyme de rhum en Haïti, fait face, comme l’ensemble du pays, à une situation qui se dégrade fortement, notamment à cause de la violence exercée par des gangs armés. Delphine Gardère qui dirige Barbancourt avec un grand courage et une détermination à toute épreuve, nous en dit plus.

La situation est tendue, voire dramatique à Haïti, mais on a du mal à se faire une idée précise. Pouvez-vous nous la décrire depuis l’intérieur ?

La situation en Haïti est effectivement très grave. La violence imposée par les gangs affecte tous les domaines du quotidien : besoins primaires (logement, nourriture, eau…), éducation, santé et travail. Aujourd’hui plus 4,35 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire (IPC3+) et plus de 1,4 million de personnes se trouvent en insécurité alimentaire aiguë IPC4.

Chaque jour, l’étau se resserre davantage autour de Port-au-Prince : la capitale est encerclée par les gangs, ce qui entraîne une restriction importante de la libre circulation des biens et des personnes. Au début de l’année, une attaque sur les communautés résidantes autour de Barbancourt a fait des dizaines de morts et plus d’une quarantaine de nos employés ont eu leurs maisons incendiées ou pillées.

Cette situation nous a même contraints à fermer temporairement la fondation Barbancourt dont la clinique traitait jusque-là gratuitement plus de 800 patients par mois.

A quelles difficultés la distillerie est-elle confrontée au quotidien au niveau de la production du rhum ?

Depuis 2021, nos opérations sont devenues difficiles : nous avons eu fin 2021 plus d’une dizaine d’employés qui ont été enlevés par les gangs en allant récupérer la canne.

Cependant, nous avons toujours réussi à faire fonctionner nos opérations avec beaucoup de créativité. Aujourd’hui l’aggravation de la situation prend un tournant qui s’approche d’une situation proche de l’embargo qu’Haïti avait vécue dans les années 1990, mais avec la violence en plus.

Ainsi, notre approvisionnement en canne n’est pas le seul domaine où nous sommes impactés : il est parfois impossible de livrer nos clients. Nos distributeurs de provinces ont, depuis longtemps, toutes les peines du monde à venir s’approvisionner. Les techniciens internationaux ont peur de venir en Haïti.

Nos crédits fournisseurs sont suspendus. Toutes nos opérations jusqu’à l’entrée et la sortie de nos employées sont rendues difficiles et certains jours impossibles. Ces difficultés ne sont malheureusement pas nouvelles. Depuis 2021, Haïti connaît une descente progressive aux enfers. La réalité est qu’Haïti est en état de délabrement avancé depuis plusieurs années sans que personne ne s’en soucie réellement.

Quelles sont les solutions mises en place par Barbancourt ?

Nous devons faire preuve de grande ingéniosité pour garder nos opérations à flot. Nous avons une équipe aussi soudée que courageuse et téméraire. Grâce à eux, nous avons fait des années records en 2022 et 2023.

Ces dernières années, nous avons en dehors des investissements sur la production, investis aussi énormément dans la sécurité et la santé afin d’accompagner nos employés dans cette période difficile. Nous nous mettons aussi au télétravail dans la mesure du possible.

Le port et l’aéroport sont fermés, d’où des difficultés pour importer et exporter, y a-t-il des risques de pénuries de rhum Barbancourt ?

Un de nos plus gros soucis est effectivement aujourd’hui la fermeture des lignes maritimes et aériennes desservant Port-au-Prince. Il y a un mois, le port principal de Port-au-Prince a été pillé et depuis les navires ne souhaitent plus desservir les ports de la capitale.

Les routes menant aux provinces sont tenues par les gangs. Port-au-Prince est, de fait, coupé du monde.La conséquence est que depuis plus d’un mois, nous ne pouvons plus exporter et surtout nous risquons, malgré nos stocks importants, de manquer de packaging si ces blocages persistaient au-delà de quelques mois.

Heureusement, depuis plusieurs années, nous recommandons à nos distributeurs internationaux de faire des couvertures de stock importantes en prévision de périodes difficiles comme celle que nous vivons. Ils avaient suivi nos conseils et avaient constitué ce stock, ce qui devrait éviter toute rupture.

Sur un plan plus joyeux, y a-t-il des nouveautés dont vous souhaiteriez nous faire part ?

Malgré les difficultés du pays, nous continuons à moderniser notre outil de production. À travers un partenariat récent avec la Banque Interaméricaine de Développement (BID Invest), Barbancourt va devenir l’un des premiers rhums décarbonés grâce à la combinaison d’une turbine alimentée par la vapeur issue de la bagasse, que nous avons implémentée depuis 2016, une nouvelle usine de recyclage et l’installation d’un champ solaire de 1,5 mégawatt.

Le savoir-faire ancestral de la maison donne aussi de nouveaux produits qui seront bientôt disponibles. Nous vous invitons à venir les découvrir à notre stand au Whisky Live en septembre prochain.

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