HSE, l’habitation multiculture

Photos : © Matthieu Lange

Les rhums de l’Habitation Saint-Étienne (HSE) font aujourd’hui partie des rhums martiniquais les plus reconnus. Une très large gamme de rhums s’offre aux amateurs. Mais en Martinique, l’Habitation Saint-Étienne, en tant que lieu, revêt une importante dimension culturelle. Cette vision qui va au-delà de la production du rhum, est patiemment développée par Florette et José Hayot qui, depuis près de 30 ans, portent haut le rhum et la culture sur leur habitation du Gros-Morne.

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Lorsqu’en 1994, José et Florette Hayot rachètent à la barre du tribunal l’Habitation Saint-Étienne, une ambition culturelle anime déjà le couple. Tous deux ont étudié l’histoire de l’art et la littérature. Lorsqu’ils visitent l’Habitation Saint-Étienne, partiellement en ruine, ils s’y projettent immédiatement et imaginent non seulement de faire revivre les lieux et la marque, mais aussi d’y imprimer une nouvelle identité.

Naturellement l’enthousiasme est rattrapé par les contraintes liées à la reprise excessivement ambitieuse et coûteuse d’un site comme celui de Saint-Étienne. Mais la volonté de faire de l’Habitation le lieu de toutes les cultures, restera intacte.

Démarrage culturel

En 1994, tous les bâtiments sont à l’abandon, les terres sont en friche et la marque Saint-Étienne périclite. Il ne reste plus qu’une petite unité d’embouteillage. Il n’y a plus aucune réserve, sauf un stock de rhum oublié, le fameux millésime HSE 1960.

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Il faut se mettre au travail et se donner des priorités dans la reconstruction du site. La distillerie est remise en route symboliquement pour marquer la reprise de l’Habitation, puis avec le transfert des deux colonnes créoles, la distillation est confiée à la Distillerie du Simon au François qui appartient déjà à la famille Hayot.

Un long travail de restauration des bâtiments va révéler l’un des plus beaux exemples de l’architecture industrielle à la Martinique. L’ancienne distillerie qui date du milieu du XIXe siècle en est le joyau miraculeusement épargné des cyclones qui ponctuent cruellement la vie l’île.En 2006, cet ensemble unique ainsi que le canal empierré et l’aqueduc sont classés Monuments historiques.

Plus récemment Florette et José Hayot ont obtenu la protection de l’outil industriel à savoir les moulins, la machine à vapeur et les chaudières. Cela en fait le seul patrimoine industriel classé à la Martinique. Aujourd’hui il reste à valoriser cet ensemble avec notamment une mise aux normes des infrastructures d’accueil du public.

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Dès le début de cette aventure, de nombreux concerts sont organisés sur le site. « Nous avons accueilli des concerts de jazz, de rock, de reggae, dans des lieux qui n’étaient pas encore restaurés ni adaptés, mais c’était notre façon de marquer notre territoire et d’afficher notre projet » se souvient Florette Hayot.

Les musiques de Kali, Manu Dibango, le Festival de jazz, Mario Canonge, les Malavoi parmi tant d’autres, résonneront dans la grande nef de l’usine ou l’ancienne cour à cannes.

Un lieu d’inspiration

« Quand nous sommes arrivés à l’Habitation, il n’y avait plus la moindre archive sur le site, ce qui était très frustrant », raconte Florette Hayot. Il y avait bien des traces dans les archives départementales, mais rien sur l’histoire de l’Habitation, aucune photo, rien sur les hommes et les femmes qui y ont travaillé, aucune mémoire à transmettre. Nous avons donc pris contact avec tous les anciens travailleurs pour qu’au moins leur parole et leurs souvenirs soient conservés ».

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Cette matière mémorielle a inspiré à Patrick Chamoiseau le merveilleux conte intitulé « Elmire des Sept Bonheurs, Souvenirs d’un ancien travailleur de l’habitation Saint Etienne » . Publié en 1996 chez Gallimard, il est illustré avec les portraits d’anciens ouvriers photographiés par Jean-Luc de Laguarigue .

Un jardin remarquable

À la reprise du site, le jardin n’existe pas. Sur les 400 hectares que comptait Saint-Étienne à l’origine, il n’en reste qu’une cinquantaine. Les 30 hectares cultivables sont replantés, mais l’essentiel de la canne à sucre alimentant la distillerie provient de terres situées à Rivière Salée sur l’Habitation Lapalun.

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Naturellement naît le projet de créer un jardin ouvert au public. Peu à peu, il s’organise en différents espaces : le jardin botanique, le jardin historique, le jardin d’eau, le jardin créole, le verger et la palmeraie. Plus récemment, une cacaoyère a vu le jour le long de la rivière Lézarde qui traverse l’habitation. Le jardin abrite désormais plus 200 espèces botaniques.

En 2015, le ministère de la Culture lui décerne le label « Jardin remarquable ».
Le parc est habité également par trois sculptures monumentales qui traitent de la colonisation. « La Vision des vaincus » et « Le Fer à cheval à la croix » ont été créées par Victor Anicet et « Stairway to Heaven » par Philippe Perrin.

Ces œuvres rappellent que Christophe Colomb découvre les Amériques avec sa flotte de caravelles et que la conquête s’est faite avec le cheval, l’épée et la Croix. « Une manière de forcer le regard sur l’histoire », conclut Florette Hayot.

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Le philosophe Guillaume Pigeard de Gurbert, dans un texte intitulé « Les Jardins habités de l’Habitation Saint-Étienne », écrit : « Qui saura ce qu’auraient dit les Vaincus si on les avait laissés dire ? L’Histoire a raturé toutes ces histoires qui se seraient perdues si les artistes n’en avaient cultivé pour nous le suc ténu.

L’Histoire a tenu l’implacable chronique des conquêtes arrachées l’épée à la main. Elle a célébré les colons, devenant des habitants en perdant le don du tremblement. Elle a planté dans le sol de leurs Habitations ce comble de l’épée que le poète a à peine osé nommer « cachot ».

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Des rencontres intellectuelles et artistiques

En 2010, un ancien chai de vieillissement a été transformé en espace d’expositions et de rencontres. Le grand écrivain martiniquais Édouard Glissant en est le parrain et le lieu devient « Les Foudres Édouard Glissant ».

Dès lors, il s’ouvre à des lectures, des débats et des conférences et accueille écrivains, poètes, penseurs, philosophes et historiens. Au fil des ans, les Foudres accueillent des expositions dont la durée permet d’effectuer un travail pédagogique en profondeur avec les écoles, et d’organiser des rencontres avec les artistes.

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Citons les expositions de Victor Anicet, Ernest Breleur, Jean-Luc de Laguarigue, Titouan Lamazou, Federica Matta et plus récemment Robert Charlotte.

La prochaine exposition sera consacrée au travail conjoint du photographe guyanais Karl Joseph et de l’anthropologue et ethnobotaniste Marc Alexandre Tareau sur les relations des cultures afro-guyanaises à la biodiversité amazonienne.

L’Habitation Saint-Étienne est la réalisation constante d’une idée, d’une promesse, d’un rêve, nés il y a une trentaine d’années. Florette et José Hayot ont su gérer avec raison ce qu’ils avaient acquis avec enthousiasme, pour créer un lieu d’échange, de partage et de création.

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Remerciements
Merci à Florette Hayot ainsi qu’à Marjorie Rousseau.