Embouteilleur indépendant, Philippe Madkaud nous parle d’Opportune 1791, une gamme de rhums qui magnifie des jus de Martinique, mais aussi d’Amérique Centrale et du Brésil (cachaça). Une marque qui monte, et qui n’oublie pas le passé, y compris celui lié à l’esclavage.
A quoi fait référence le nom de la marque ?
Opportune était esclave en 1791 sur une plantation au Lorrain en Martinique. Ses deux parents étaient des Africains qu’on a déracinés, mais nous ne savons pas de quel pays. J’ai voulu lui rendre hommage à travers la marque parce que je suis un de ses descendants directs. Mais ma famille a connu une ascension sociale jusqu’à posséder deux distilleries dans le nord Atlantique et nord Caraïbe de Martinique, aujourd’hui fermés. Du côté de mon père, nous descendons de deux familles de rhumiers.
Comment est-on passé du statut d’esclave à celui de propriétaire de distillerie ?
On ne sait pas exactement comment s’est opérée cette ascension, sans doute par des mariages, des mélanges comme cela se fait beaucoup en Martinique. Et puis il y a dû y avoir des opportunités lors de la transition brutale entre une économie basée sur le sucre et l’économie basée sur le rhum.
Et vous, quel est votre parcours ?
Je suis ingénieur en électricité et énergies renouvelables. J’ai travaillé dans les Caraïbes, l’Amérique Latine, et aujourd’hui je suis basé aux USA. J’avais depuis longtemps au fond de moi ce projet de travailler dans le rhum, ça fait partie de ma mémoire en quelque sorte. Il y a trois ans, j’ai sauté le pas, et je me suis lancé dans la création de cette nouvelle marque, Opportune 1791.
Comment ça s’est passé ?
J’avais déjà un réseau professionnel bien étoffé, que ce soit en Martinique ou à l’international. Ça n’a pas été simple, car rien de l’est. On a notamment lancé la marque en plein covid. Et puis Opportune 1791 fait référence à l’esclavage, qui est clivant, que ce soit en Martinique ou en Métropole. Mais il faut parler de ce passé, aussi lourd qu’il puisse être. Il fait partie de l’identité de notre pays. Et pas seulement, cette histoire liée à l’esclavage s’est répétée un peu partout dans les Caraïbes et en Amérique Latine.
Et le rhum dans tout ça ?
Le but d’Opportune 1791 c’est d’apporter aux amateurs un panel de rhums d’origines différentes, avec bien sûr un focus particulier sur la Martinique et son AOC. Dans cette gamme, nous avons le blanc, l’ambré, le VSOP, le XO. Et nous avons aussi des rhums qui viennent d’Amérique Latine : une cachaça du Brésil, des jus du Panama, du Nicaragua, du Guatemala. Et nous faisons aussi des assemblages de rhums de différentes origines.
Parlez-nous de ces assemblages
Par exemple un blend de Panama, Nicaragua, et Guatemala, trois pays d’Amérique centrale, mais qui ont des profils bien différents. Ce sont des rhums âgés de 3 à 5 ans. Et sacrilège ! Nous avons assemblé un rhum agricole de Martinique avec un rhum de la Barbade, que nous avons embouteillé à 63%. C’est vraiment une explosion d’arômes. C’est notre cuvée Chabine Dorée.
Quelle est la valeur ajoutée d’Opportune 1791 ?
Nous avons des partenariats avec des distilleries pour leur acheter du rhum. Mais ça n’a pas été facile, car c’est un milieu assez fermé. On sélectionne des rhums de dégustation qui apportent une curiosité, qui se démarquent de ce qui se trouve dans le commerce. On travaille aussi un peu avec des traders sur les origines hors Martinique. Mais la demande est croissante. On s’oriente vers une premiumisation des produits.
Et puis de plus en plus d’acteurs apparaissent, ce qui tire les prix vers le haut. Enfin, les distilleries sont obligées de raréfier. Nous sortirons aussi des séries limitées, des jus âgés de 12 à 15 ans. Ces fûts proviennent du Bélise, Guyana, Rép. Dominicaine, Jamaïque, Trinidad, El Salvador, Barbade, Brésil, Venezuela, Antilles Françaises et ont déjà été rapatriés dans nos stocks.