[Rhum et Littérature] Adios Hemingway, de Leonardo Padura

LA DERNIÈRE ENQUÊTE DE MARIO CONDE

Pour se plonger de plein fouet dans les entrailles de l’âme cubaine, rien ne vaut les enquêtes de Mario Conde, le détective privé immortalisé par Leonardo Padura.

L’histoire de cette ultime aventure policière de notre héros clôt le cycle des Quatre Saisons (Passé Parfait, Vents de Carême, Electre à La Havane et L’Automne à Cuba). Qui d’autre qu’Hemingway pouvait trouver sa place dans la série « La littérature ou la mort », à laquelle son éditeur brésilien lui propose de participer ? Leonardo Padura avait entretenu avec ce monstre sacré une relation tumultueuse. C’est à partir de la découverte mystérieuse d’un cadavre dans la maison de l’auteur américain à La Havane qu’est né Adios Hemingway. Et même si tout cela est passé par le filtre de la fiction, cette histoire courte et palpitante nous entraîne non seulement dans les bas-fonds de la ville, mais, plus surprenant, dans les méandres de l’écriture du romancier. Il semblerait que Leonardo Padura en connaissait tous les secrets dont Mario Conde, son alter ego, se fait le porte-parole. On finit même par se laisser convaincre que cette histoire aurait très bien pu être vraie… C’est là toute la force de la littérature.
Adios Hemingway, de Leonardo Padura, éditions Points Poche, 6,60 €.

santiago de cuba 8

LE RHUM QUI VA AVEC : SANTIAGO DE CUBA

Les rhums légers dits rones ligeros, il semblerait bien qu’ils aient été les rhums favoris de Mario Conde, à commencer par ceux de Santiago de Cuba de la région d’Oriente. La filtration au charbon de bois et la distillation continue en alambic vertical à colonne, voilà pour les bases de ce rhum de pure tradition cubaine élaboré à partir de mélasse issue de cannes à sucre 100 % cubaines – l’une des meilleures au monde – ce qui lui vaut l’appellation DOP Cuba. Il est ensuite vieilli en fûts de chêne blanc dans le chai Don Pancho, réputé pour être la « cathédrale » du rhum cubain. Côté assemblages, certains fûts utilisés ont presque 90 ans. Le 8 ans d’âge est sans conteste l’un des piliers des roneras (distilleries) Santiago de Cuba, fondées en 1862. Nul doute que le détective privé savait l’apprécier tout autant que Carta Blanca, sa version non vieillie, qu’il cite à plusieurs reprises. Au nez, des notes de miel, de vanille et de cacao. La bouche est souple, évoluant sur des saveurs de fruits tropicaux et une finale douce s’étirant sur des notes délicatement épicées.
40 % – 70 cl – 32 €.

EXTRAIT

« – Hé la Pipe, deux doubles rhum, cria le lieutenant Manuel Palacios en tendant le bras vers le barman, qui servit les verres sans ôter sa bouffarde de la bouche.
Le Torreón était un bar encore plus mal éclairé que sale, mais on y trouvait du rhum, du silence et les ivrognes y étaient peu nombreux. Depuis sa table, le Conde pouvait continuer à contempler la mer et les pierres décrépites de la tour de guet coloniale qui avait donné son nom à l’endroit. Sans se presser, le barman s’approcha de la table, disposa les verres remplis, ramassa ceux qui étaient sales en les coinçant entre ses doigts aux ongles noirs et regarda Manolo.

– La pipe, c’est pour ta mère, dit-il lentement. Et ça prétend être flic.

– Merde, la Pipe, le prends pas mal, lui dit Manolo d’une voix douce. C’était pour de rire.

Le barman s’éloigna en faisant la gueule. Il avait déjà lancé au Conde un regard mauvais quand celui-ci avait demandé s’ils servaient des “Papa Hemingway”, le daiquiri que l’écrivain avait l’habitude de boire, avec deux mesures de rhum, du jus de citron vert, quelques gouttes de marasquin, beaucoup de glace pilée et pas du tout de sucre.
– De la glace, je n’en ai plus revu depuis l’époque où j’étais pingouin,
avait répondu le barman.

– Et comment tu savais que tu me trouverais là ? demanda le Conde à son ex-camarade après avoir englouti d’un coup la moitié de son verre.

– Je suis flic, oui ou non ?

– Arrête de me piquer mes expressions.

– Elles ne te servent plus à rien, Conde… tu n’es plus flic, dit en souriant
le lieutenant enquêteur Manuel Palacios. Non, c’est juste que comme je te connais bien, je me suis dit que je te trouverais sûrement là. Je ne sais pas combien de fois tu m’as raconté l’histoire du jour où tu as vu Hemingway. Il t’a vraiment dit au revoir, ou tu l’as inventé ? »