Une toute nouvelle distillerie a ouvert ses portes il y a deux ans, loin du climat tropical habituel des distilleries, mais au fin fond d’une jungle urbaine, à savoir la ville de New York. C’est à Brooklyn, plus précisément, que Bridget Firtle a installé sa distillerie. Elle nous a accordé une interview pour nous expliquer son parcours et faire connaître son projet et son produit.
Je suis une grande admiratrice des distilleries artisanales
pendant l’époque de la prohibition.
Quand et comment vous est venue l’idée de produire votre propre rhum?
Je suis issue de la branche financière. Après un MBA, j’ai commencé à travailler pour un fond d’investissement et je me suis spécialisée dans le marché global des boissons alcoolisées. Après quatre années, j’ai remarqué que j’étais plus excitée à faire partie de l’industrie directe et j’ai voulu produire et travailler dans ce secteur, plutôt que de seulement y investir. J’ai ensuite eu l’idée ou plutôt une sorte de vision où je me voyais ramener l’art de distiller du rhum dans ma ville natale de New York. J’ai toujours eu une sorte de fascination et d’amour pour le rhum et son histoire aux Etats-Unis et c’est donc tout logiquement que j’ai quitté le fond d’investissement pour me consacrer à mon projet, qui était de créer une distillerie dans cette ville afin de mettre en avant un produit de grande qualité et l’art de la distillation. C’est finalement en 2012, que j’ai produit mes premières bouteilles.
Pourquoi ouvrir une distillerie à Brooklyn? Était-ce un vrai challenge pour vous?
Je suis née à Brooklyn, j’ai grandi dans le Queens et j’ai fait mes études à Manhattan. J’adore donc la ville de New York. Je n’avais pas spécialement planifié d’ouvrir ma distillerie à Brooklyn, mais plusieurs choses m’y ont amené. Tout d’abord, toute ma famille y vit et je suis une descendante de plusieurs générations d’entrepreneurs de Brooklyn. Ensuite, je souhaitais également à ce que ce soit rapidement accessible pour moi, via les transports en commun, de plus que Brooklyn est le seul quartier de New York qui dispose d’autant de vieux entrepôts avec autant d’espace disponibles. Finalement, la population de Brooklyn et surtout la communauté des petits entrepreneurs sont un public parfait pour encourager et lancer un nouveau produit représentant une certaine transparence, qualité et authenticité. Bien évidemment, il est plus difficile de monter une distillerie dans un milieu urbain que dans un milieu rural, sans même parler de tout le volet administratif, mais au final, je ne me verrai nulle part ailleurs, que dans ma ville natale.
Pourquoi avoir appelé votre produit OWNEY’S RUM? Etes-vous une fan d’Owen Madden? Pourquoi l’avoir choisi lui et non un autre gangster new-yorkais?
Je suis une grande admiratrice des distilleries artisanales pendant l’époque de la prohibition. C’était d’ailleurs la dernière fois, jusqu’à récemment, que des gens distillait de l’alcool dans cette ville. Malgré le fait que ce soit illicite, il y avait des milliers d’alambiques à New York à cette époque, dans des maisons et des arrières boutiques. C’est dans cette partie de l’histoire que je cherchais un nom pour mon rhum. C’est cependant avec Owen Madden que j’avais le plus de points communs. Il était un entrepreneur qui n’hésitait pas à aller de l’avant pendant la prohibition et qui avait occupé tous les niveaux de ce marché, du trafiquant de bas étages, jusqu’au grossiste. Il opérait d’ailleurs dans le quartier où j’ai grandi, à Rockaway Beach, dans le Queens. Il y avait un entrepôt, le long de la côte, via lequel il faisait transiter le rhum directement arrivé de la caraïbe. Il était un des plus importants gangsters de cette époque et s’est fait tirer dessus à maintes reprises et a survécu à chaque fois. C’est ce qui me motive en me disant que malgré ce qui peut arriver, je dois continuer pour atteindre mes objectifs.
Vous faites du rhum de mélasse. Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet de l’origine de votre mélasse, comment vous la choisissez et votre procédé de production?
Nous utilisons de la mélasse de premiers choix, entièrement naturelle, que nous faisons venir de chez de petits agriculteurs sucriers en Floride et en Louisiane. Je voulais d’entrée de jeu utiliser une mélasse ayant un taux élevé en sucre, pour me rapprocher le plus possible de la canne fraîche et obtenir une meilleure fermentation. Durant la phase d’expérimentation, j’ai utilisé trois types de mélasse de fournisseurs similaires, mais avec des taux de sucre différents. C’est la mélasse qui avait le plus haut taux de sucre (+/- 80%) qui l’a emporté. Nous n’utilisons que 3 produits pour produire le rhum Owney’s : de l’eau filtrée newyorkaise, de la mélasse et des levures locales. Il n’y a aucun additif, colorant ou arôme ajouté. Notre philosophie est de créer un produit qui n’ait ni besoin de ces ajouts, ni même de fûts pour avoir du goût et du caractère. Notre fermentation à froid de 5 jours est extrêmement contrôlée et produit beaucoup de goût, d’arôme et d’éther. Ensuite nous distillons la vinasse dans des colonnes hybrides et obtenons un alcool à 82%, ce qui est très faible pour un rhum blanc, mais nous trouvons que ceci respecte exactement ce que nous attendons de notre produit et permet de préserver son goût.
Actuellement, vous produisez du rhum blanc. Est-ce que vous prévoyiez également de produire des rhums vieux dans le futur?
Oui, nous avons actuellement des fûts qui reposent dans notre chai et comptons en ajouter d’autres dans les années à venir. Chaque production sera très limitée et aura des caractéristiques bien distinctes, basées sur différents types de bois et de temps de maturation. Pour l’instant, nous prévoyons d’utiliser des fûts de chêne américain, mais également des fûts de sherry ou encore des fûts de vin.
On peut constater que de plus en plus de femmes se font remarquées dans l’industrie du rhum, un peu partout sur le globe alors que le secteur est encore essentiellement dominé par la gente masculine. Qu’en pensez-vous? Est-ce que ça vous a amené des difficultés dans vos affaires?
Je n’ai pas réellement d’avis à ce sujet. J’ai toujours travaillé dans des industries et sociétés essentiellement masculines par le passé. Je suppose qu’un psychologue devrait faire une analyse de ma personnalité (rires), mais je ne pense pas qu’être un homme ou une femme rende les choses plus simples ou plus difficiles. Il y a beaucoup de femmes talentueuses dans le secteur des spiritueux et je pense qu’elles ont toutes travaillé dure pour avoir autant de succès.
Vos produits sont actuellement disponibles à New York. Est-ce qu’ils seront disponibles partout aux Etats-Unis, voire même en Europe?
Notre rhum est pour l’instant exclusivement disponible à New York depuis un an et demi, mais à partir du premier octobre de cette année, il sera également disponible dans le New Jersey et dans le Connecticut. Nous prévoyons cependant de nous agrandir progressivement sur le territoire américain et devrions atteindre 8 à 10 nouveaux états l’année prochaine ainsi qu’une exposition en Europe et en Asie.