L’imaginaire du Navy Rum, de la réalité à la mythification

Après avoir traité de l’imaginaire du rhum et de la piraterie, puis de celui du rhum et de la prohibition aux Etats-Unis, nous abordons pour ce troisième et dernier article, la Royal Navy. Parmi ces trois imaginaires, celui-ci du rhum dans la Royal Navy est certainement le plus proche de la réalité. Le monde onirique de la Piraterie reposait sur une construction littéraire puis cinématographique, celui de la prohibition sur un militantisme politique et religieux faisant du rhum le père nocif de tous les alcools, alors que l’imaginaire du Navy Rum repose sur une réalité qui a fait l’objets d’études historiques.

Aujourd’hui le Navy Rum parait avoir vécu une histoire linéaire à partir de 1655 qui s’est mystérieusement arrêtée en 1970. Pourtant l’étude des faits montre une réalité fracturée entre les marins d’une part et l’amirauté d’autre part ; nous le verrons en première partie. Nous verrons dans un second temps une réalité mythifiée par les marques, et enfin une réalité détachée de la pratique puis transposée dans la fiction.

Union et Désunion autour du Navy Rum

Les deux premières figures retenues dans l’Histoire du Navy Rum, sont l’Amiral Penn et l’Amiral Vernon, pourtant séparées chronologiquement d’un siècle.

Amiral Nelson
L’Amiral Nelson

Penn est connu pour avoir le premier distribué du rhum à ces marins. En 1655, sa flotteaccoste à la Barbade afin d’y effectuer un ravitaillement. Ses navires se dirigent alors vers l’Ile d’Hispaniola tenue par les Espagnols. L’attaque de l’Amiral tourne court et il se trouve contraint de retrousser chemin. Refusant sa défaite, il met les voiles en direction de la Jamaïque dont il prend possession. Afin de célébrer cette conquête, du rhum est distribué aux soldats.

L’ Amiral Vernon, quant à lui, est connu pour avoir créé et donné son nom au Grog. Vernon, surnommé « Old Grog » à cause de sa veste imperméable composée de laine et de soie que l’on appelait « Grogram », décide en 1740 de couper la ration de rhum avec de l’eau pour lutter contre l’alcoolisme. Par la suite fut ajouté du citron afin de lutter contre le scorbut.

Que se passe-t-il entre 1655 et 1740 ? Le rhum se répand très probablement sur les bateaux britanniques aux Antilles. Mais nous n’en avons pas beaucoup de traces jusqu’en 1731, date à laquelle il rentre officiellement dans le règlement de la Royal Navy, aux côtés d’autres boissons. Au XVIIème siècle, les marins britanniques consommaient de l’eau ou de la bière transportés dans des tonneaux. Mais ces deux denrées devenaient imbuvables au cours de la traversée. Le rhum, lui, en tant qu’eau-de-vie, était beaucoup plus stable. Il est par conséquent devenu une alternative à l’eau, à la bière, mais également aux autres eaux-de-vie, au fil du temps.
Notons les encouragements de l’Amiral Greyhound qui en 1727, proposa de doubler la ration de rhum des marins qui construisaient un quai à Port Royal en Jamaïque. En 1731, l’indemnité journalière fut fixée à une demie pinte. En 1756, le Grog, c’est-à-dire du rhum dilué dans l’eau, apparaît dans le règlement.

Le rhum connait à partir de là, un âge d’or qui perdurera jusqu’aux années 1820. Le revers de la médaille est naturellement la multiplication des cas d’ivresse. La vie de marin est dure, la nourriture est rationnée, une demie pinte de rhum dilué par jour peut provoquer facilement des pertes de repères momentanées. Les médecins doutent fortement des bienfaits du rhum et militent pour la présence de jus de citron à bord afin de renforcer la constitution des marins et lutter plus efficacement contre les maladies. Si les préceptes ont été acceptés par les amiraux, le rhum resta défendu par ces derniers. Dans les faits, le rhum permettait au marin de faire une pause, de se soigner de leurs souffrances et jouait un rôle important pour son moral. Mais l’ivresse était cause de punition pour les hommes d’équipage, qui se voyaient alors donner le fouet. Les Amiraux se trouvaient face à un défi, à savoir trouver le point d’équilibre pour le moral des hommes : le rhum remonte le moral, la punition due à l’ivresse l’abaisse. L’Amiral Lord Saint-Vincent trouve la parade en ne punissant plus ses marins le soir, une fois le grog distribué…

Edward Vernon
Edward Vernon

Par ailleurs, au fil du temps, les amiraux comprirent que le fouet ne suffisait pas à réprimer l’ivresse et qu’il paraissait impossible de supprimer la ration de rhum, tant elle était entrée dans les mœurs des marins. A la fin du XVIIIème siècle, l’amiral Keith qui reconnait dans une lettre avoir durci les punitions en cas d’ivresse, se résout à demander la possibilité de réduire la ration de rhum. Mais l’Angleterre est en Guerre, beaucoup de marins sont mobilisés contre la flotte française révolutionnaire puis impériale. La situation est trop difficile pour risquer de porter atteinte à l’équilibre des équipages.

La fin des guerres napoléoniennes allège le problème puisque la flotte britannique passe de 145 000 marins à 25 000. Le risque de mutinerie apparaît alors plus gérable. En 1823-1824, après de multiples débats au sein de l’Amirauté, la ration de rhum est diminuée. En échange, la ration de viande augmentée. Le marin pouvait aussi recevoir en compensation du sucre ou du thé. Les dirigeants restaient sur leurs gardes, les révoltes restaient possibles. Pour autant, ce n’était pas la fin du rhum bien au contraire car dans le même temps la bière tombait en désuétude, et le vin passait au second plan. Malgré la baisse des quantités distribuées, le rhum règne sans partage et la distribution devint plus ritualisée.

Cela réglait-il les problèmes d’ivresse ? Pas complètement…. Certains échangeaient leur ration de sucre et de thé, contre la ration de grog… Par conséquents des marins recevaient une double quantité. Ils étaient surnommés les « Rum Rats ».

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