Ce Martiniquais amoureux de son île et de son rhum a consacré sa vie à accompagner la bluffante progression qualitative de Trois Rivières et de la Mauny. Un engagement consacré par le titre de meilleur maître de chai du monde en 2019. Mais Daniel Baudin n’est pas seulement la « statue du commandeur » du rhum martiniquais, il est aussi une légende bien vivante qui continue d’apporter sa touche soyeuse et équilibrée aux marques du groupe Campari (depuis 2019), et vient de nous enchanter avec un nouveau Triple Millésime et un XO.
Monsieur Baudin, première question, quand avez-vous commencé votre carrière dans le rhum ?
En 1985, le destin est intervenu et m’a orienté vers le monde du rhum. J’ai eu l’occasion de travailler dans un laboratoire lié à une distillerie de rhum et je me suis retrouvé dans l’environnement idéal pour approfondir l’art de l’assemblage et les nuances complexes de la dégustation, en travaillant aux côtés du célèbre maître assembleur, Roberto Soto.
Dès le début, j’ai su que j’avais trouvé ma voie. Bien que d’autres spiritueux aient sans aucun doute leurs propres mérites, c’est l’art de la fabrication du rhum qui m’a captivé.
Ayant rejoint Trois Rivières en 1991, j’ai eu le privilège d’assister à son évolution remarquable au cours des 33 dernières années. Je suis né et j’ai grandi en Martinique, et l’importance du rhum agricole a été ancrée en moi toute ma vie.
Trois Rivières occupe une place particulière dans mon cœur, car cette marque représente l’essence même de ma patrie et de sa tradition, que j’ai le plaisir de continuer à explorer à travers un objectif créatif afin d’innover tout en conservant son authenticité.
Depuis que je travaille pour Trois Rivières, j’ai reçu le prix du « meilleur maître de chai du monde » lors de la conférence internationale sur le rhum qui s’est tenue à Miami en 2019, ce qui m’a permis, ainsi qu’à la marque, d’atteindre de nouveaux sommets. C’était un moment merveilleux pour moi en tant que maître de chai, que j’ai beaucoup de chance d’avoir vécu.
En quoi consiste votre travail de maître de chai ?
Le travail, c’est tout d’abord de la patience, du partage et de la passion. Le maître de chai est en quelque sorte un chef d’orchestre et qui met en musique les rhums, les fûts, le vieillissement… Il choisit les fûts en fonction des rhums, de la cuvée qu’il souhaite réaliser et enfin de leur évolution pendant le vieillissement.
Il goûte les fûts très régulièrement, et les assemble le cas échéant. Il met tout en œuvre pour que ses rhums soient les meilleurs possibles, et dans le cas de cuvées de la gamme permanente que leur goût soit le même d’année en année. Enfin, c’est aussi l’ambassadeur d’une marque.
Comment travaillez-vous avec les autres responsables de la production : en charge de la culture des cannes, en charge de la distillation ?
Nous faisons des réunions de campagne hebdomadaires où nous échangeons sur la qualité du sol, et on discute du choix des cannes. Une fois que la canne est réceptionnée et broyée, j’échange avec le responsable labo sur la fermentation, le taux d’acidité…
Le vesou est ensuite distillé. Tous les lots qui entrent sont ensuite dégustés par l’équipe. Une fois arrivés au chai, on remplit les fûts jusqu’au volume souhaité par l’AOC.
Êtes-vous aussi chargé de la maturation des rhums blancs premium ?
Oui nous assurons la qualité des rhums maturés, on brasse juste ce qu’il faut. Et on travaille sur plusieurs méthodes de réduction :
La classique : on ajoute de l’eau sur une semaine à 15 jours jusqu’à l’obtention du degré désiré.
Le goutte à goutte, infusion : réduction plus longue qui va garantir la concentration
Lorsque vous sortez une nouvelle cuvée, est-ce vous qui la proposez, où est-ce que cela peut-être une demande du service marketing ?
Il y a deux options possibles. Pour certains produits, on propose nos choix : par exemple un rhum vieux qui nous paraît intéressant, on va proposer une cuvée exceptionnelle sur ce lot.
Selon les marchés, il peut y avoir des demandes particulières, car ils n’ont pas les mêmes goûts, besoins, interprétations.
Comment définiriez-vous l’identité des rhums Trois Rivières et celle des rhums Maison la Mauny ?
Trois Rivières ce sont des rhums sur la puissance, structurés, équilibrés. Qui ont du corps. Qui s’affirment en quelque sorte. Leurs marqueurs aromatiques sont : épices, poivre, minéral. Une des marques de fabrique des rhums Trois Rivières, c’est aussi de pouvoir devenir des millésimes.
Les cannes se trouvent tout au sud de la Martinique. Le terroir est balayé par les embruns de la mer, ce qui donne d’ailleurs un côté soyeux au rhum. Et chaque année, les rhums sont sensiblement différents. Maison La Mauny a un côté plus soyeux, plus dans la dentelle.
Ses marqueurs sont la délicatesse, le fruité, les épices orientales, le pain d’épice, voire des notes douces et florales. C’est davantage un rhum d’assemblage. Mais aussi un produit du terroir, car les cannes proviennent d’une petite vallée entourée de montagnes et d’une forêt primaire.
Comment choisissez-vous les rhums qui feront l’objet d’un vieillissement ?
Il faut qu’il ait du volume, de la mâche et de la structure. Ensuite, on va surtout travailler sur le choix des fûts, de la chauffe, et aussi son emplacement dans le chai. Cet ensemble de paramètres ne donne pas le même profil organoleptique.
Comment choisissez-vous les fûts qui accueilleront les rhums en vieillissement ?
Tout d’abord, on se rapproche des tonneliers en France ou aux USA. Le tonnelier se rapproche du merrandier. La grume est coupée en petites lattes. Elle va être lessivée : une latte se vide de son tanin à hauteur de 1 cm par an.
Je choisis des lattes qui ont entre 24 et 36 mois. Le tonnelier va ensuite aller au cœur de la latte du bois. Puis il va faire des chauffes. Nous allons lui demander des chauffes spécifiques développées pour Trois Rivières :
– chauffes à l’américaine char 1 à char 4 ou 5
– des chauffes à la française plus ou moins poussées.
La chauffe poussée : Notes de café/cacao, Moka et note vanillée (avec le chêne américain).
Le fût de chêne français apporte des notes plus rondes, plus gourmandes que le chêne américain.
Je travaille également sur la contenance, avec des fûts de 170 litres, ce qui est unique au monde ! Mais aussi des 200 L et des 400 L. Selon la taille du fût, les échanges ne sont pas les mêmes et donc donnent une typicité.
Quelles sont les caractéristiques des chais de La Mauny et Trois Rivières ?
En fonction de la pluviométrie, les années de vieillissement diffèrent. C’est aussi cela qui donne son caractère à un millésime. Le chai 1 est très ancien, en briques et a comme particularité d’être comme semi-enterré, car bordé d’un mur de 3 m.
Cela crée un microclimat assez frais. J’y place essentiellement des fûts de 400 l sur 7 niveaux. Le chai 2 est bien exposé au soleil couchant, donc plus sec. j’y mets des fûts plus petits et sur moins de niveaux (moins de part des anges).
Combien de fûts y a-t-il en vieillissement ?
C’est mon secret !
Comment faites-vous pour assembler les rhums et faire en sorte que le goût et la qualité soient les mêmes, année après année ?
Pour pouvoir avoir une continuité dans la dégustation, je travaille en biseau, c’est-à-dire que je ne puise pas la totalité de la cuve. Ainsi, je garde une trame du précédent. Je dis souvent, « on n’applique pas une recette, on déguste et cherche la continuité ».
Comment décidez-vous qu’un rhum fera l’objet d’un millésime ?
On le choisit uniquement par la dégustation et en fonction d’un profil particulier.
Pouvez-vous nous expliquer le principe des triples millésimes ?
L’idée est de nous permettre d’aller chercher tout ce que j’ai décrit précédemment concernant les fûts de chêne français ou américains. Puis la dégustation prime. On sélectionne 3 millésimes en fonction de leur historique. Puis on vérifie que l’assemblage fonctionne. On peut jouer avec différents lots de la même année afin d’affiner le produit.
Comment avez-vous eu l’idée de produire des triples millésimes ?
On voulait mettre en valeur les caractères de nos anciens millésimes associés aux caractères plus frais et fringants de nos jeunes millésimes. Avoir un jus plus tendre avec cette association. Pourquoi trois millésimes ? Pour avoir un équilibre parfait de l’assemblage. Et tenu de compte d’âge intéressant et au niveau gustatif intéressant et des arômes volatiles des jeunes rhums et généreux. Le fait d’en avoir trois amène un équilibre tout en harmonie.
Quelle place occupent les Triples Millésimes dans la gamme ?
Le Triple Millésime étant considéré comme l’une des pierres angulaires de notre gamme, la sixième et dernière édition de ce rhum vieux très rare est issue de l’assemblage de trois nouveaux grands crus d’exception : les millésimes 2006, 2014 et 2016.
D’une année sur l’autre, son marqueur essentiel est la minéralité et les épices orientales. Mon objectif est que le liquide tienne dans le temps. Le millésime 2016, issu de fûts ex-Bourbon de 200 L, apporte de la fraîcheur, mêlé à la complexité aromatique rare du millésime 2014, assemblage égal de fûts Ex-Bourbon de 200 L et fûts ex-Cognac de 160L.
Le tout associé à la juste rondeur et l’aimable profondeur du millésime 2006, maintes fois primé, vieilli en fût français de 400 L dont environ 30 % de neuf et des ex-Cognac. Je voulais mettre en avant le côté du plus vieux du vieux millésime. Ce Triple Millésime incarne parfaitement l’identité des rhums Trois Rivières, au profil frais et épicé.
Dans l’actualité de Trois Rivières, il y a aussi le XO, que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
Trois Rivières XO incarne l’essence de notre terroir martiniquais le plus méridional, réimaginé sous l’angle d’un XO. Méticuleusement élaboré, il commence par la sélection minutieuse de six lots de rhum de canne pur vieilli.
Les fûts neufs et les anciens fûts de Cognac, soigneusement choisis, contribuent à conférer au rhum une harmonie exquise. Ce mode de vieillissement en fûts 100 % français – une première pour Trois Rivières – confère au rhum un profil organoleptique d’une remarquable élégance, particulièrement apprécié pour une X. O.
De plus, notre sélection rigoureuse de fûts de chêne français de 400 litres offre un rapport surface/volume parfait, assurant un équilibre entre l’extraction et l’élégance. L’environnement chaud et humide de nos chais joue en notre faveur en apportant une touche de douceur, tandis que le choix judicieux des fûts rehausse le profil aromatique global du XO.
Comment recommandez-vous de déguster Trois Rivières XO ?
Trois Rivières XO se déguste comme un rhum à siroter, pour profiter pleinement de ses arômes exquis et les découvrir. Son profil doux et sa complexité aromatique en font la boisson idéale pour rehausser toutes les occasions de boire.
Pour apprécier pleinement la profondeur de Trois Rivières XO, nous recommandons de le déguster pur. Versé dans un verre, il permet au rhum de respirer et de libérer ses arômes avant d’offrir au palais un mélange d’épices et une longue finale marquée par des notes de réglisse et des accents minéraux.
Le caractère complexe et raffiné de ce rhum à siroter se marie également très bien avec la nourriture. Son profil de dégustation se marie à merveille avec un dessert au chocolat noir ou une pâtisserie élaborée aux notes tropicales, rehaussant ainsi toute expérience de gourmandise.
Pour les connaisseurs aventureux, ce rhum de canne pure de haute qualité peut également être dégusté avec des plats salés tels que de délicats tartares de poisson ou même des coquilles Saint-Jacques, qui se marient parfaitement avec les notes minérales, fruitées et végétales du liquide.
Chaque gorgée de Trois Rivières XO est une invitation à l’exploration et à l’élévation de votre voyage gustatif. Qu’il soit apprécié seul ou associé à un plat, le Trois Rivières XO est polyvalent et peut convenir à toutes les occasions.
Parmi les deux gammes (Trois Rivières et la Mauny), quelles sont vos cuvées préférées, celles que vous buvez en tant qu’amateur ?
Chaque cuvée est appréciée à un moment précis. Par moment on a envie d’écouter du classique et à un autre du jazz. C’est la même chose pour le rhum. Par exemple, le XO est une cuvée assez douce mais en même temps, elle a du corps, du caractère. Je peux avoir aussi envie d’une cuvée, car elle me rappelle un souvenir. Ou alors, parce qu’elle s’accorde bien avec une mignardise.
Vous êtes connu pour produire des rhums élégants et complexes, mais avec un degré relativement bas. Pourquoi ce choix ?
On réduit nos rhums vieux à des degrés qui sont parfaitement adaptés à la dégustation et qui conviennent au plus grand nombre, novices comme connaisseurs. Garder la puissance et le corps d’un rhum réduit à 40 ou 43 % demande un travail de création et d’assemblage encore plus minutieux.
Cependant, on a aussi des rhums à plus fort degré, comme le Rhum Blanc 55 Origines. Ce rhum est puissant et approprié pour le palais d’un connaisseur qui cherche toute l’expressivité de la canne à sucre comme matière première, où on apprécie notre savoir dans la création des rhums agricoles AOC de la plus haute qualité.
Quelles sont vos inspirations parmi la culture (musique, livres…)
Je trouve que la gastronomie est une excellente source pour aller chercher des nouvelles manières qui peuvent accentuer avec les saveurs, profils et textures d’un rhum via le food-pairing.
Je suis toujours curieux de découvrir des food-pairings qui vont en parité ou en opposition avec nos rhums agricoles et qui ont le potentiel de rehausser l’expérience de la dégustation. Je cite par exemple notre X. O, qui peut être associé à un dessert au chocolat noir ou à une pâtisserie aux notes tropicales.
Il peut également accompagner des plats salés tels que de délicats tartares de poisson, ou même des coquilles Saint-Jacques, grâce à ses notes légèrement minérales.
Quelles évolutions avez-vous constatées dans l’industrie du rhum au cours des dernières années ?
Ces dernières années, notre chère industrie du rhum a connu des transformations remarquables. Aujourd’hui, la qualité est au cœur du monde du rhum, avec une demande toujours croissante de rhums vieillis et de rhums de spécialité.
En tant que personne qui apprécie depuis longtemps le prestige de l’industrie du rhum, je suis très heureux de constater l’évolution de la façon dont le rhum est perçu. Je suis ravi de constater que le rhum est de plus en plus reconnu comme un spiritueux de qualité supérieure, qui jouit désormais de la même estime que les whiskies ou les cognacs de qualité, l’accent étant mis sur la dégustation de ce liquide exquis à l’état pur.
En outre, l’expansion de la culture des cocktails, la distribution mondiale et l’évolution des préférences des consommateurs ont contribué à l’augmentation de la demande de rhum, en particulier dans ces expressions diversifiées et de qualité supérieure. Ces changements et ces considérations ajoutent une dimension passionnante à mon rôle, car ils font de l’industrie un domaine en constante évolution et dans lequel il est gratifiant de travailler.
Quel avenir voyez-vous pour Trois Rivières ?
J’envisage un avenir où nous continuerons à créer et à élaborer des rhums exceptionnels qui inspirent et ravissent. Notre engagement inébranlable en faveur de l’innovation et notre profond respect pour notre terroir continueront à nous guider dans cette aventure passionnante.
Avec chaque expression que nous développons avec soin, notre objectif est de partager le goût et le caractère unique de Trois Rivières avec les amateurs du monde entier. En repoussant sans cesse les limites et en recherchant l’excellence, nous aspirons à créer des rhums vieillis qui laisseront une impression durable et contribueront à l’héritage de Trois Rivières dans le monde de l’appréciation du rhum.
Travailler aux côtés de nos jeunes talents et des nouvelles générations de passionnés de rhum, comme Lionel Barrel, maître de chai adjoint, me procure une joie immense. Avoir le privilège de leur transmettre mes connaissances et mon expertise est un véritable honneur, et je suis ravi de constater l’enthousiasme et le dévouement dont ils font preuve ».