Devant le succès du Tres Hombres, Les Frères de la Côte se sont lancés dans la rénovation d’un nouveau navire, le Zeehaen, qui pourra transporter, à la voile bien sûr, encore plus de rhum. Mieux, vous pouvez en devenir actionnaires : explications avec Raphaël Mangin (RM) co-fondateur et Grégory Girardin (GG), responsable financier et logistique de La Compagnie des Frères de la Côte.
Parlez-nous du Tres Hombres et des débuts ou plutôt renouveau du transport de rhum à la voile
RM : Tout commence avec le Tres Hombres, un navire dont la coque a été construite en 1943 en Pologne. En 2007, trois passionnés, officiers de la marine marchande hollandaise, Arjen van der Veen, Jorne Langelaan et Andreas Lackner, le rachètent et le rénovent. Ils se séparent de son moteur et le bateau devient un deux-mâts de 32 mètres.
Arjen, Jorne et Andreas ont voulu montrer que c’était possible de faire du transport de marchandises à la voile et ils ont créé la société Fairtransport Shipping & Trading. Depuis, le Tres Hombres transporte des marchandises (cacao, chocolat, rhum…) à la force du vent, mais c’est aussi un bâteau-école qui forme ses propres marins.
L’équipage de 15 personnes est composé à moitié de marins professionnels et à moitié de stagiaires qui embarquent pour l’aventure. Certains rejoignent même l’équipage.
Quelle est la part du rhum dans les marchandises transportées par le Tres Hombres ?
RM : Le Tres Hombres peut convoyer environ 35 tonnes de marchandises dont 60 fûts de rhum de 225 litres, 10 tonnes de café, 10 tonnes de cacao. Cette année 40 barriques étaient transportées sous la marque Tres Hombres et 20 sous la marque Frères de la Côte en Brut de fût.
Et vous avez comme projet d’armer un nouveau navire ?
RM : Le rhum se vend avant même que le bateau soit rentré en métropole. C’est pourquoi nous avons commencé à réhabiliter un autre navire pour faire grandir à la fois Tres Hombres et Les Frères de la Côte.
Le Zeehaen ou « coq des mers » en hollandais, qui chez nous correspond au grondin. Il pourra transporter entre 100 et 120 tonnes. Soit entre 150 et 200 barriques par an.
Mais vous êtes encore à la recherche de financement ?
GG : Nous avons investi dans ce nouveau projet, ainsi que nos familles, nos amis et Fairtransport. Mais pour le mener à bien, nous avons besoin de plus d’argent, c’est pourquoi nous avons souhaité ouvrir le capital de la société par actions que nous avons créé à tous les passionnés qui le souhaitent.
Concrètement, nous avons besoin de 1 350 000 euros au total. La levée de fonds est de 1 million et nous en avons récoltés 300 000 €. Nous sommes donc à la recherche de 700 000 €, soit 700 personnes à 1 action chacune !
Donc vous proposez aux passionnés de devenir actionnaires du Zeehan avec vous !?
GG : C’est ça ! Chaque part vaut 1000 euros, et comme dans chaque entreprise où on détient des parts, cela donne droit à un droit de vote, des dividendes, à la participation à l’assemblée générale (AG).
Comme on vise comme port d’attache La Rochelle pour le Zeehaen, l’AG se ferait là-bas. On réfléchit aussi à des rabais sur les rhums au bénéfice des actionnaires, à sortir des cuvées spéciales…
D’ailleurs une cuvée va être embouteillée pour les actuels investisseurs. Certains sont de gros amateurs de rhums qui aiment notre façon de travailler, d’autres sont des amateurs de voile, en plus des amis et de la famille.
Comment se déroule un voyage du Tres Hombres, et bientôt du Zeehaen ?
RM : Le Tres Hombres fait une rotation de l’Atlantique tous les hivers et le Zeehaen suivra son modèle. Il part de son port d’attache en Hollande en novembre, s’arrête en France pour charger des produits qui n’existent pas en Martinique (pour ne pas concurrencer les produits locaux) comme le pineau des Charentes, le cognac, l’armagnac… Et nous convoyons aussi des barriques de seconde main qui ont abrité ces spiritueux.
Puis il fait une halte au Portugal pour charger de l’huile d’olive et des barriques de seconde main (porto, madère, oloroso…). Il fait ensuite escale aux Canaries (à La Palma) où nous avons un partenariat avec la famille Quevedo.
Ensuite le Tres Hombres traverse l’Atlantique, va aux Caraïbes, à la Barbade, aux Antilles. Puis c’est retour en Europe en avril/mai où il décharge son rhum, son café et son cacao.
Ensuite le bateau est affrété par un Danois pour transporter du vin français à Copenhague (en été). Et le cycle continue chaque année depuis 13 ans !
Parlez-nous un peu de l’élevage dynamique que vous pratiquez sur les rhums ?
GG : Le rhum est complètement différent. Au départ, on a prélevé du rhum dans les fûts et on l’a mis en bouteille pour comparer avec celui resté dans les tonneaux le temps de la traversée. On s’est rendu compte que l’alcool était beaucoup mieux intégré dans ce dernier.
On a fait déguster les résultats de l’expérience aux maîtres de chai. Le plus gros facteur selon eux c’est le mouvement du spiritueux dans la barrique pendant plusieurs mois. Ça crée une suroxygénation et une meilleure intégration alcoolique. Les rhums sont moins agressifs, ont une autre palette aromatique et une meilleure ouverture.
L’élevage dynamique joue aussi sur l’affinage, qui est plus complet. Le rhum est en contact permanent avec les différents tanins des douelles provenant du cognac ou du porto par exemple.
On essaie d’ailleurs d’anticiper ce finish sur le rhum qu’on sélectionne car on sait que l’alcool précédent va ressortir dans le produit final. Chez nous les finish ne sont pas là pour décorer !
Enfin le rhum vieillit plus rapidement. Notamment les blancs. Par exemple, nous avons transporté une nouvelle cuvée la Favorite 2022 et le rhum a tellement travaillé que c’est devenu un “vieux rhum“ en seulement 6 mois. C’est normalement un ESB mais il a déjà les notes gourmandes d’un rhum plus âgé…
Avec la crise énergétique et le réchauffement climatique, est-ce que l’idée de transporter du rhum à la voile ne prend pas encore plus de sens ?
GG : L’objectif premier de Fairtransport était de retrouver un transport écologique. Avec la raréfaction des ressources fossiles, l’augmentation du prix de transport par conteneur… cet objectif prend en effet d’autant plus de sens, mieux ça devient une opportunité économique.
Le Tres Hombres est désormais rentable et nous voulons dupliquer le modèle. Le coût de l’énergie des bateaux à voile est stable, alors le coût de l’énergie du transport conventionnel ne fait qu’augmenter et de façon incontrôlable.
Bientôt les courbes vont se croiser. Pour vous donner une idée, le prix du transport d’une bouteille via le Tres Hombres est de 2,5 euros, alors qu’avant la crise il était de 15 ou 20 centimes pour un transport en porte-conteneur. Désormais c’est 1 euro et ça ne fait qu’augmenter. Il ne fait aucun doute qu’un jour transporter en porte-conteneur coûtera plus cher que de transporter à la voile.
Est-ce qu’un transport maritime à 100% alimenté par le vent est possible ?
GG : Tout le monde tape sur l’avion en ce moment, mais il ne faut pas oublier que 90% des marchandises sont transportées par voie maritime en porte-conteneurs, et que c’est responsable de 2,8% des émissions globales de gaz à effet de serre.
Cependant ce serait impossible de revenir à 100% de transport maritime à la voile. Mais revenir à des échanges plus circulaires et éviter des schémas où on envoie un fruit qui a poussé en Argentine en porte-conteneurs en Chine pour être coupé et packagé et qui sont renvoyées aux USA pour être conditionnées et enfin en Europe pour être commercialisées…. Ça c’est possible et même souhaitable.
Finalement, est-ce que le transport à la voile n’est pas le chaînon manquant du développement durable et du bio qui sont en train de monter en puissance dans le rhum ?
GG : Oui, le grand oublié du bio et du commerce équitable c’est le transport. Importer une banane bio d’Equateur dans un porte- conteneur qui pollue n’a pas de sens. Bio ne veut pas forcément dire écolo.
Pour investir dans le projet : www.investir-lesfreresdelacote.fr