Ce mois-ci, notre globe-trotter Javier Herrera nous emmène en Amérique du Sud, plus précisément au Paraguay à la rencontre les rhums de miel de canne de la marque Fortín
Par Javier Herrera de Rumconsultant S.A.
Le Paraguay est un pays situé au cœur de l’Amérique du Sud, sans accès à la mer, mais avec un grand réseau fluvial qui facilite le commerce et la connectivité. Il est bordé par l’Argentine, le Brésil et la Bolivie, et se divise en deux régions : la région orientale, où se trouve la majorité de la population et de l’activité économique, et la région occidentale (Chaco), caractérisée par son climat aride et ses vastes étendues de pâturages. Le Paraguayen est une personne très ouverte et un bon hôte pour les touristes, dans un pays qui vit principalement de l’agriculture et de l’élevage.
De la canne à sucre bio
La canne à sucre a été introduite au Paraguay pendant la colonisation espagnole et s’est parfaitement adaptée au climat subtropical du pays. Au fil des siècles, sa culture s’est étendue et est devenue une source importante d’emplois et de développement économique.
Le Paraguay dispose de milliers d’hectares dédiés à la culture de la canne à sucre, en particulier dans des départements tels que Guairá, Paraguarí, Caaguazú et San Pedro. La production de canne soutient à la fois l’industrie sucrière et celle des spiritueux, étant la matière première pour la traditionnelle Caña Paraguaya et les rhums de haute qualité.
La production de canne à sucre au Paraguay a montré des variations dans la surface cultivée au cours des dernières années. Pendant la saison 2020/2021, la surface totale cultivée en canne à sucre était de 110 600 hectares, avec une production de 6 858 400 tonnes et un rendement moyen de 62 011 kilogrammes par hectare.
Durant la saison 2022/2023, la surface cultivée est restée la même, soit 110 600 hectares, avec une production totale de 6 858 400 tonnes et un rendement moyen de 62 011 kilogrammes par hectare. Le Paraguay a été le premier pays à être reconnu pour avoir des champs de canne à sucre biologique certifiée par divers organismes privés ou gouvernementaux.
La canne à sucre est essentielle à l’économie paraguayenne, utilisée dans la production de sucre conventionnel et bio, d’éthanol et d’aguardiente. Le Paraguay se distingue comme le principal producteur mondial de sucre bio, et une grande partie de cette production est entre les mains de l’agriculture familiale. Son sucre bio atteint de nombreux coins du monde.

Monopole
Jusqu’en 1990, il existait un monopole d’État sur la production et la commercialisation de l’alcool destiné à la consommation humaine, qui a pris fin lorsque le gouvernement du président de l’époque, Andrés Rodríguez, a promulgué la loi 903/81 et son règlement par le décret 10 216/90.
Cette législation a mis fin au contrôle exclusif de l’État sur l’industrie de l’alcool de consommation et a permis l’entrée des producteurs privés sur le marché. Avec la libération du secteur, des distilleries privées ont donc commencé à émerger au Paraguay, ce qui a conduit à une augmentation de la production d’aguardiente, de Caña Paraguaya et de rhum.
Des distilleries comme Santa Ana, La Milagrita et d’autres ont profité de la nouvelle législation pour étendre leurs activités et développer des marques avec une identité propre. Jusqu’à ce moment, toute la production devait être vendue à l’État. Mais c’est un jeune entrepreneur nommé Javier Díaz de Vivar qui va révolutionner le marché du rhum dans ce pays sud-américain.
Avec beaucoup de détermination et d’esprit d’entreprise, il fonde l’entreprise Ron Fortín, dont nous parlerons plus en détail ci-après. Mais avant cela, il convient d’expliquer aux lecteurs la différence entre Caña Paraguaya et Ron Paraguayo.

Caña Paraguaya VS Ron Paraguayo
La Caña Paraguaya a fait l’objet de diverses régulations au fil des ans pour garantir sa qualité et son authenticité. En 1938,les premières réglementations ont défini la Caña Paraguaya comme le produit obtenu à partir du miel de canne à sucre, fermenté et distillé à 50 °GL à 15 °C.
Des normes paraguayennes pour la canne ont été élaborées en 1977 et publiées par l’Institut national de technologie et de normalisation (INTN) en septembre de cette année. Ce travail a été le fruit de la collaboration entre des professionnels de l’INTN, le ministère de l’Industrie et du Commerce, l’Office chimique municipal, l’Administration paraguayenne des alcools (APAL), le Centre des industriels de la canne et de l’alcool (CICAL) et l’Association des embouteilleurs.
En 1984, la norme NP 3 001 84 intitulée « Caña Paraguaya établissant les critères d’identité et de qualité pour la boisson destinée à la consommation humaine est publiée. En 2018 la désignation d’origine « Caña Paraguaya » a été créée en 2018, marquant une étape importante dans la consolidation de l’identité de ce distillat traditionnel.
La réglementation stipule que : c’est un distillat alcoolique à partir du miel de canne à sucre, uniquement de miel. C’est le produit obtenu par distillation du liquide fermenté (guarapo), préparé exclusivement à partir du miel de canne à sucre concentré par chauffage direct dans des évaporateurs ouverts.
La distillation doit être comprise entre 68 % et 72 % en volume à 20 °C. Le coefficient de congénères ne doit pas être inférieur à 131,00 mg/100 ml d’alcool anhydre ni supérieur à 371,00 mg/100 ml d’alcool anhydre. Avec une teneur en alcool de 35 % à 45 % en volume à 20 °C.
Cette boisson doit être vieillie pendant au moins un an dans des contenants en chêne ou en bois paraguayen approprié, qu’ils soient brûlés ou non à l’intérieur, d’une capacité ne dépassant pas 700 litres. Si des contenants plus grands sont utilisés, la durée de vieillissement doit être d’au moins deux ans. L’utilisation de colorants à base de caramel est autorisée.
Le coefficient de congénères ne doit pas être inférieur à 221,00 mg/100 ml d’alcool anhydre ni supérieur à 599,0 mg/100 ml d’alcool anhydre. Le rhum du Paraguay est régi par les normes du Mercosur.
Le Ron Fortín
La famille Díaz de Vivar, dirigée par Gustavo Díaz de Vivar, a parcouru tout le Paraguay pour choisir le meilleur endroit où s’installer, et a décidé de s’implanter à Piribebuy, une ville située à 69,5 km de la capitale, Asunción. En 1976, il crée la distillerie Santa Ana, également appelée Castilla, où il fermente et distille sa propre aguardiente de canne, obligé jusqu’en 1990 de vendre toute sa production à l’État.
En 1989, Javier Díaz de Vivar jeune entrepreneur et fils de Gustavo a construit la distillerie La Milagrita, non loin de la distillerie familiale, où chaque usine a travaillé indépendamment.
En 1993, le jeune entrepreneur décide de se lancer dans le marché du rhum. C’est ainsi qu’il fonde l’entreprise Fortín S.A., qui vieillira et embouteillera tout le rhum produit par la distillerie familiale et sa propre distillerie. La construction de l’usine est annexée aux deux distilleries à Piribebuy. Le nom Fortín rend hommage aux nombreux compatriotes courageux qui ont combattu pour le pays lors de la guerre contre la Triple Alliance, contre l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay.
La bataille de Piribebuy a été l’une des plus importantes de cette guerre et s’est déroulée dans cette ville où l’usine a vu le jour. Le Rhum Fortín est un rhum élaboré à partir du miel vierge de cannes, un miel produit dans des chaudrons ouverts, à pression atmosphérique, où le sucre se caramélise. Ce processus est un spectacle, avec la vapeur d’eau générée qui emplit tout l’espace.
1 100 hectares de cannes à sucre
Fortín possède 1 100 hectares de canne à sucre, avec différentes variétés de canne, ce qui permet une différenciation de l’aguardiente selon la variété utilisée. Le degré Brix est généralement compris entre 20 et 25°, ce qui est élevé pour certains pays, mais normal au Paraguay. Fortín travaille bien ses champs de canne, où le chef des agronomes est un expert reconnu dans ce domaine.
Il utilise des méthodes naturelles, en plantant des cultures qui apportent des nutriments au sol. La récolte de Fortín est pratiquement mécanisée, et la brûlure des champs de canne est évitée.
Les distilleries
La Milagrita, construite en 1989, est située à Piraretá, dans la ville de Piribebuy, au Paraguay. Elle se concentre sur la production de miel de canne à sucre, suivant un processus qui va de la culture de la canne à l’obtention du produit final.
C’est une distillerie à multicolonnes, différente de celle de Santa Ana, avec des colonnes plus grandes pour des productions plus importantes. Elle peut produire de l’alcool rectifié et de l’aguardiente pour le rhum. Elle utilise le même système de chaudrons pour la production de miel de canne.

La distillerie Castilla-Santa Ana, située à Piribebuy, est équipée de quatre colonnes indépendantes, toutes en cuivre, dont trois comportent 19 plateaux et la dernière 23 plateaux, toutes construites au Paraguay. Chaque colonne produit une aguardiente différente, même si certaines sont presque identiques. Elle utilise le même système de chaudrons pour la production de miel de canne.

La bodega
Le chai de Fortín est un spectacle en soi. Il est rare de voir des chais de rhum construits en pierre naturelle, à l’image des anciennes caves à vin d’Europe. Il y a trois caves qui abritent 12 100 fûts de chêne américain, ainsi que des barriques en chêne français en provenance de Jerez ayant contenu des Sherrys.
En plus de cela, il y a plus d’une centaine de « pipons » de 30 000 à 35 000 litres en bois d’encens, un bois très dur qui donne un goût particulier à la Caña Paraguaya. Ces « pipons » sont exclusivement utilisés pour la Caña Paraguaya, qui est uniquement vendue au Paraguay.
Les autres distilleries
Au Paraguay, il existe d’autres distilleries, principalement celle du gouvernement, qui possède encore la marque Aristócrata du groupe Capasa. Il y avait également d’autres petites distilleries, dont plusieurs ont fermé ces dernières années, comme Destilería Filippi Vera et Los Catagninos. Parmi les autres marques de rhums paraguayens que l’on trouve en France, figure notamment El Supremo (Capasa).