Tim Synésius, à la recherche du patrimoine cannier de Guadeloupe

Le rendez-vous est à 9h, un mardi matin, à l’Habitation Néron, située au Moule. Nous attendons dans la voiture, puis apercevons un tracteur s’approcher et s’arrêter à notre hauteur. Sa roue arrière fait deux fois la taille de notre Suzuki Swift de location. Nous saluons Tim Synésius avant de pénétrer dans l’Habitation. La voiture suit lentement le tracteur et nous nous arrêtons devant la maison de maître afin d’y chercher un peu d’ombre.

Tim Synésius Papa rouyo

La canne en héritage

Tim Synésius est planteur de canne, comme l’était son père. Il est intarissable sur son travail. En 2017, il cofonde, avec Joris et Judes Galli et Jean-Marie Gobardhan, la société Distillerie Papa Rouyo. L’objectif est non seulement de sauver la canne en lui assurant un débouché, mais aussi de valoriser le travail des planteurs qui, historiquement, dans la production du sucre et du rhum, ont souvent été cantonnés en bas de l’échelle sociale.

En raison d’un blocage culturel, historique et racial, son père n’avait jamais osé franchir le cap de la production de rhum. Ce n’était pas pour eux, simples agriculteurs, pensait-il. À l’époque, les cannes étaient vendues à l’usine. Cinquante tonnes étaient conservées pour être vendues directement aux distilleries afin d’obtenir un revenu rapide. Nous sommes dans les années 1970-1980.

Changement d’époque

Tim Synésius a voulu aller au-delà, tout en retournant aux sources. Né en 1965, une année avant la cessation d’activité de l’Habitation Néron, il a vécu plus de 50 ans de transformation de la canne à sucre. Il a vu la recherche agronomique chercher sans cesse la performance, créer des variétés et les distribuer aux planteurs sans que ceux-ci aient réellement leur mot à dire.

Le Centre technique de la Canne à sucre organisait la distribution des variétés de canne. Il y eut celle surnommée la « canne 11 000 », car elle produisait, selon le langage amusé des planteurs, 11 000 % de sucre ! Elle fut suivie de la canne bâtard 11 000, nommée ainsi en raison de sa similitude avec la précédente. Elles avaient de bons rendements, et tous les cinq ans, elles étaient replantées.

Dans les années 1990, « la Guadeloupe produisait environ 1 million de tonnes de cannes, aujourd’hui c’est 500 000 tonnes », nous dit Tim Synésius, accoudé à son tracteur. Cette période est marquée par la reconstruction de l’industrie de la canne à la suite du cyclone Hugo. La Guadeloupe a bénéficié de la mise en place d’une politique d’irrigation. La canne B8008 est devenue le symbole de ces années de redressement. Elle était parfaitement adaptée à la mécanisation. Aujourd’hui, ce temps est révolu.

Recherche sur la canne

L’entreprise Papa Rouyo est une occasion pour Tim de revisiter le patrimoine cannier de la Guadeloupe. Il cherche les cannes qui ont façonné la région, réalise des essais, et analyse la réaction des variétés à différents sols et climats.

Les cannes sont sélectionnées avant tout en fonction de sa propre curiosité. C’est là son moteur principal. Selon lui, les critères de performance doivent être réévalués. La chute de la production au cours des trente dernières années ouvre paradoxalement des perspectives.

Mais les planteurs ont encore du mal à se penser autrement que comme « petits et isolés » regrette-t-il. Les coopératives qui existent ne vont pas de soi pour tout le monde. Dans l’immédiat, ces cannes d’antan ne sont pas récoltées pour la distillation du rhum Papa Rouyo. Mais peut-être le seront-elles un jour.

Les choix que Tim Synésius fait en faveur de la canne semblent aujourd’hui dictés par une vision à long terme, ce temps où le métier de planteur s’est transformé, où il s’est rétréci tout en se réinventant. Il s’est battu toute sa vie pour la dignité des planteurs et des agriculteurs. Il avait été à l’origine de la création du marché du Moule, où les planteurs venaient vendre directement leurs produits. Depuis, le marché a pris une autre forme. Mais Tim Synésius, lui, poursuit toujours les mêmes objectifs à travers Papa Rouyo