Les rhum clubs ont connu leur heure de gloire à la fin des années 2010, et après un petit passage à vide notamment dû au covid, ils semblent aujourd’hui reprendre du poil de la bête. Souvent nés de la matrice de la Confrérie du Rhum, ils ont essaimé un peu partout en métropole, dans les DROM, mais aussi en Belgique, au Luxembourg ou encore au Québec. Les membres, souvent des hommes, y retrouvent d’autres passionnés dans des soirées conviviales autour de bonnes bouteilles, ou dans les ambiances plus studieuses des masterclass. Les marques encouragent ce phénomène en y envoyant leurs représentants munis de quilles, et de plus en plus souvent en sortant des cuvées spéciales réservées aux membres.
Nous avons toutes et tous en mémoire des moments où, au cours d’une soirée nous avons sorti une petite quille de rhum d’entre les fagots, et où avec un sourire en coin et de la gourmandise dans les yeux nous avons dit « goutte moi ça, tu m’en diras des nouvelles ».
Quoi de plus agréable en effet que de faire découvrir un rhum qu’on aime à un(e) néophyte, ou de surprendre un amateur ou une amatrice éclairée avec un jus dont ils n’avaient jamais entendu parler ? Ces moments de partages informels, certains ont décidé de les ritualiser et de les organiser en créant des rhum clubs.
La matrice de la Confrérie du Rhum
Étonnamment, dans une grande majorité de cas, ces clubs ne se sont pas constitués grâce à des rencontres physiques, mais bien via des mises en relation en ligne, sur les réseaux sociaux.
Plus précisément, sur Facebook. S’il existait déjà des pages consacrées au rhum (notamment en langue anglaise), c’est la création par Benoît Bail en 2012 de la Confrérie du Rhum (qui s’appelait alors ministère du rhum), et sa montée en puissance, qui a véritablement permis aux amateurs francophones de rhum de prendre conscience de leur nombre, et de commencer à échanger autour de leur passion.
Ce groupe Facebook où l’on envoie des photos de cuvées qu’on a appréciées, où on partage des notes de dégustation, où on demande des informations, où on s’engueule, parfois… a en effet été une véritable pépinière pour les clubs.
« Au début on était quelques centaines puis très vite ça a pris des proportions énormes, se souvient Jerry Gitany, qui a très vite rejoint Benoît Bail à l’administration de la Confrérie. C’est devenu tellement gros que des groupes Facebook plus petits ou locaux se sont créés, et même des clubs physiques ! Aujourd’hui on compte tout même 50 000 membres à la Confrérie du Rhum. »
Des rencontres amicales
Ces clubs de rhum sont le plus souvent organisés en strates avec une page Facebook et/ou Instagram (parfois une chaîne Youtube) qui réunit des centaines voire des milliers d’aficionados, éventuellement des sous-groupes consacrés à un sujet bien particulier (les samples, les vieillissements en mini-fûts…), et une dimension IRL (in real life), c’est-à-dire des rencontres physiques (ce que ne fait pas la Confrérie, qui n’est pas à proprement parler un club).
Ces réunions (souvent mensuelles) qui mobilisent en général un noyau dur de quelques dizaines de personnes, peuvent prendre plusieurs formes. Au départ, elles se passent souvent chez l’un des fondateurs du club et regroupent une dizaine de participants. Dans ce cas, chacun apporte une quille qu’il veut faire découvrir aux autres.
Il y a aussi des soirées à thème, et il arrive que les amis se regroupent pour faire l’acquisition de bouteilles onéreuses et/ou rares, qui seront ouvertes pour l’occasion. « L’idée c’est de faire des dégustations dans une ambiance conviviale, chez moi près de Namur en Belgique et d’échanger avec un nombre limité de personnes (12 personnes maximum en l’occurrence), raconte Sébastien Bonnechère du Rock & Rhum Club. J’ai eu des propositions de cavistes pour organiser des réunions chez eux, mais ce n’est pas le but, ou de façon épisodique. »
Le casse-tête du local
Mais dès que l’assistance dépasse les 15 ou 20 personnes, la quête d’un local adéquat commence. Tout naturellement, les clubs se tournent alors vers des restaurateurs ou des cavistes.
Mais cela ne va pas toujours de soi, car bien souvent ces derniers espèrent tirer un bénéfice en vendant des menus ou des bouteilles aux participants. Et ils ne veulent pas toujours prêter le local aux jours qui les intéressent.
Mais en y mettant du sien, on peut parvenir à un accord. « Nous avons noué des partenariats avec des cavistes en Aquitaine pour faire des masterclass avec des professionnels. Elles sont ouvertes à tout le monde, mais le fait d’être adhérent apporte des avantages : prix de participation plus bas, sample du rhum qu’ils ont préféré, et parfois des prix avantageux chez les cavistes partenaires », explique Bastien Bodin pour le Rhum Club Aquitaine.
D’autres comme Mathieu Letty du Rhum Club de l’Ouest n’ont pas de problème de place, puisqu’ils possèdent leurs propres locaux. En l’occurrence pour Mathieu, un bar-restaurant dédié au rhum, le Bodegon Colonial qui accueille aussi le Rhum Live Nantes.
Sans en être complètement absentes, les femmes ne sont pas beaucoup représentées aux soirées organisées par les clubs… même si cela évolue. « Dans nos dégustations, nous accueillons toujours quelques femmes parmi nos 20 ou 25 participants, elles sont souvent un peu plus timides, explique Alain Paulauskas, un des animateurs de Rhums of Arnachy. Elles sont aussi présentes sur le groupe Facebook ! »
Les masterclass
Si au départ les clubs se structurent autour d’amateurs particulièrement éclairés, qui ont la passion de la transmission, la plupart font à un moment ou à un autre venir des personnes extérieures pour animer des masterclass thématiques.
Ce sont souvent des représentants des marques (brand ambassadors, embouteilleurs indépendants, maîtres de chais…) qui viennent présenter et expliquer leur production. Certains clubs vont jusqu’à organiser des déplacements et des voyages pour leurs membres… Notamment lorsqu’ils se trouvent sur des territoires fort bien pourvus en distilleries.
C’est par exemple le cas du Rhum Club Guadeloupe, qui rend régulièrement visite aux producteurs de l’île. Mais aussi des membres du Rhum Club Québec. « Nous organisons beaucoup de voyages pour visiter des distilleries, nous rendre à des salons du rhum… confirme Maxime Fortier, un des animateurs. Comme au Québec la SAQ contrôle le marché de la distribution et de la vente des alcools, cela nous permet aussi d’avoir accès à des rhums qui ne sont pas à son catalogue. »
Les cuvées spéciales
Le monopole de la SAQ empêche aussi nos amis québécois de se lancer dans des aspects plus excitants des clubs : la création de cuvées spéciales destinées aux membres des clubs.
Quelque temps après sa création, la Confrérie du Rhum a en effet décidé de revendre à ses membres des cuvées que ses membres les plus actifs avaient préalablement sélectionnées. Après un premier rhum de la Barbade glané chez E&A Scheer, la Confrérie a misé sur un Damoiseau 98, puis un Ti Ced… et sort actuellement deux cuvées par an.
Beaucoup de clubs font désormais de même et lancent une ou plusieurs cuvées spéciales chaque année, le plus souvent selon un système de préventes, qui permet de financer l’achat d’un fût (il n’y en a rarement plus d’un) et la matière sèche (bouteilles, étiquettes avec le logo du club…).
Bien qu’elles soient en général vendues avant même d’être sorties et disponibles en nombre très limité (quelques centaines), ces cuvées de club sont particulièrement intéressantes. Les marques s’en servent en effet pour tester des produits qui seront souvent mis sur le marché un peu plus tard et pour lancer des ballons d’essai.
Parfois même, ce sont les clubs qui poussent les distilleries à se dépasser. « Quand on va déguster des échantillons dans les chais, on sélectionne souvent des rhums atypiques, qui changent de ce que la distillerie fait d’habitude, et il n’est pas rare qu’on leur ouvre les yeux sur le potentiel d’un produit », raconte Yoann Pierrot, du Rhum Club Guadeloupe.
Au bonheur des professionnels
Les marques ont donc tout intérêt à se rapprocher des clubs de rhum, car cela leur permet de toucher un public désireux d’apprendre, ouvert aux innovations, et disposé à mettre la main au portefeuille.
Ce compagnonnage va même plus loin lorsqu’un club de fans d’une marque en particulier s’organise, comme les Planteray Addict ou le Savanna Rum Club par exemple. Cela ne veut pas dire pour autant que les marques enverront leurs cuvées les plus prestigieuses aux premiers clubs venus.
Ceux-ci doivent montrer patte blanche en pouvant s’enorgueillir d’un nombre suffisant de membres, ou avoir des contacts privilégiés avec les dirigeants des distilleries ou des embouteilleurs indépendants. Il arrive aussi parfois que des professionnels soient eux-mêmes membre de clubs, et qu’ils fassent affaire.
C’est par exemple au Rhum Club Provence que Guillaume de Roany et Hugo Randazzo (Rhums du Sud) se sont rencontrés, pour ensuite s’associer ! La création d’un club permet parfois à certains membres de devenir eux-mêmes professionnels du rhum.
Par exemple Benoît Bail-Daniel et Jerry Gitany sont tous les deux devenus des experts reconnus participant notamment à la création de concours ou de salons. Mathieu Letty a créé WikiRum et le Rhum Live Nantes. Benjamin Guthmann, du Rhum Club Paris, a lancé sa propre marque de rhum « Spirit Gallery », qui connaît actuellement un beau succès.
Fin de l’âge d’or ou renouveau ?
Désormais on trouve des clubs de rhums un peu partout en France et dans les pays francophones. Mais de l’avis général, les rencontres physiques sont devenues plus difficiles depuis que le covid 19 est passé par là.
La lourdeur de la gestion quotidienne d’un club, les difficultés à trouver des locaux, le temps que tout cela demande, la vie des uns et des autres qui change, les déménagements de membres, le prix des bouteilles qui explose… tout ceci fait qu’il est parfois difficile d’entretenir la flamme.
La chasse qu’a faite Facebook à tous les sites et pages qui revendaient de l’alcool et donc du rhum, a aussi failli signer l’arrêt de mort de beaucoup d’entre eux. Faute de modération réellement organisée, d’autres se sont abîmés dans des batailles d’ego, des guerres picrocholines entre partisans des rhums de mélasse et rhums agricoles, entre néophytes et geeks, partisans des rhums édulcorés ou non…
Si bien que certains clubs fonctionnent au ralenti ou ont même fermé leurs portes. Mais nous sommes aussi en train de vivre un renouveau de ces clubs, car le rhum ne cesse de recruter de nouveaux consommateurs avides de connaissances et de découvertes. La plupart sont prêts à accueillir ces néophytes avec bienveillance, et en ont fini avec les querelles de chapelles. Leur credo serait même désormais « venez comme vous êtes, avec le rhum que vous aimez ».