Jonathan Chauve, fondateur des chais Malanga et cocréateur des rhums capverdiens Sodade nous narre une aventure qui le mènera lui l’amateur de rhum agricole, à découvrir et tomber amoureux des grogues. Une passion subite pour les nectars, certes, mais aussi pour les paysages, la culture et surtout les gens.
Fabien Humbert : Comment êtes-vous tombé dans le rhum ?
Jonathan Chauve : Ma famille paternelle est antillaise, donc j’ai passé beaucoup de temps là-bas. J’ai été initié au ti-punch par mon père et quand je partais à la pêche à 6h du matin avec mon oncle, il y avait la tradition du décollage. Donc j’ai une sensibilité culturelle pour le rhum agricole.
FH : Quel rhum agricole ?
JC : Neisson !
FH : Comment avez-vous découvert le Cap Vert ?
JC : C’était en hiver 2014. Je cherchais une destination ensoleillée pour me remonter le moral. J’ai pris mon sac à dos, et je suis monté dans l’avion. Je suis arrivé à Mindelo sur l’île de Sao Vincente, puis j’ai pris le bateau pour l’île de Santo-Antao et je suis arrivé dans la vallée de Cha des Pedras. C’est un peu un des greniers du Cap Vert, on y produit des fruits, des légumes, de la canne à sucre, et donc, du grogue.
FH : Quel a été votre premier contact avec le grogue ?
JC : J’ai été très impressionné. C’était un peu comme si je dégustais des rhums agricoles qui auraient été faits avec des méthodes ancestrales. Les gens produisent du rhum comme on devait le faire il y a 100 ans aux Antilles.
J’ai été conquis par le grogue, mais aussi par les paysages et surtout les gens. Je me suis même demandé si je n’allais pas y rester. Finalement j’ai préféré rentrer en France, et j’ai décidé d’y retourner au moins une fois par an, souvent deux (hors période de covid). Un peu comme certains font les vendanges, je partais en vacances là-bas pour ramasser la canne et distiller le grogue.
C’est un travail dur, car le paysage est très escarpé et les cannes sont cultivées en terrasse. Donc tout se fait à la main, à la force de l’homme. Bien sûr on faisait aussi la fête le soir… Au fil du temps ces gens, notamment João et Manuel, sont devenus comme ma famille.
FH : Comment êtes-vous devenu distributeur de grogue ?
JC : A force, avec Manuel et João nous avons eu envie de vendre leur grogue en France, de faire connaître ces produits exceptionnels. Le problème c’était qu’ils me paraissaient un peu trop bruts pour les palais français. J’ai donc vendu ma maison, pour financer des études de distillation charentaise à Segonzac, de sorte à acquérir une base technique.
En fait on a apporté des techniques de distillation charentaise, les coupes par exemple, aux techniques traditionnelles capverdiennes. L’idée c’est de tirer le meilleur de ce qui existe, pas de tout chambouler.
FH : A quoi ressemblent les alambics capverdiens ?
JC : Nous avons des alambics à repasse, mais bruts. C’est-à-dire qu’ils sont fabriqués en pierre et en inox !
FH : Donc vous êtes retourné là-bas pour mettre en pratique vos nouvelles connaissances ?
JC : Eh non car le covid est arrivé. Donc j’ai créé un cahier des charges et mes amis sur place ont suivi mes recommandations.
FH : Comment se passe la relation à distance avec vos producteurs justement ?
JC : Plus que mes producteurs, ce sont mes associés moraux, mes partenaires. On a un lien amical, et presque familial. Concrètement, j’ai un contrat d’exclusivité à l’export. Mais ça implique que je fasse des choses pour eux, notamment en leur achetant leurs produits à un bon prix. En moyenne 9,3% du prix TTC de mes grogues retourne au producteur associé.
L’idée c’est qu’ils puissent se servir de cet argent pour développer la qualité des produits et aussi le tourisme, qui était une des leurs activités principales, mais qui a été mise à mal par le covid. Mon but sur le long terme, c’est qu’en goûtant à l‘aveugle un de mes produits, les gens reconnaissent qu’il ne s’agit ni d’un rhum agricole, ni d’une cachaça, mais bien d’un grogue.
FH : Justement, vos grogues comment goutent-ils ?
JC : Alors déjà, même si c’est bien du grogue, je le vends en tant que rhum du Cap-Vert. C’est plus facile car les gens ne connaissent pas forcément le grogue. Et puis il répond à toutes les exigences légales ou sanitaires du rhum selon la loi européenne. Ceci posé, mes produits sont vraiment entre la cachaça brésilienne et les rhums antillais.
Je l’ai envoyé à des dégustateurs chevronnés tels que Benoit Bail et Jerry Gitany et ils ont été frappés par ces goûts de levures sauvages typiques du Cap Vert. Mais cela reste aussi très accessible. Par exemple, mon rhum de canne rouge est très gourmand, on a presque l’impression qu’on y a ajouté du sucre alors que ce n’est pas le cas.
FH : Comment naît la typicité des rhums du Cap Vert ?
JC : Cela s’explique par le processus de production. On ne travaille qu’avec des variétés de canne endémiques (donc peu productives) capverdiennes, une canne rouge et une canne blanche. On presse la canne et on n’y rajoute pas d’eau. La fermentation dure entre 12 et 15 jours (contre 48 heures dans les Antilles), ce qui permet de développer des arômes très spéciaux. La distillation se fait dans des alambics à repasse capverdiens. Et le rhum sort à 40, 45° des alambics. Il n’y a pas de réduction, ce sont des bruts d’alambics en fait.
FH : Parlez-nous de votre gamme justement.
JC : Pour mes premiers produits et dans l’idée de faire découvrir ces pépites du Cap Vert, j’ai opté pour des rhums blancs, l’un fait à partir de canne blanche (Sr. Manuel) et l’autre fait à partir de canne rouge (Cana Rocca). J’ai aussi du Sang Dragon. C’est du rhum capverdien auquel on ajoute de la sève de dragonnier, un arbre qu’on trouve aussi aux Canaries, à Madère ou en Asie… Sa sève a la texture et la couleur du sang.
J’ai aussi une liqueur de grogue du Cap Vert (Isalia), avec 30% de sirop de canne à sucre caramélisé au chaudron en pierre, qu’on appelle sirop de batterie dans les Antilles, et 70% de rhum. Il est très intéressant en mixologie, je le propose notamment en kir, ou comme un picon. Pour finir, j’ai fait un blend épicé avec mon rhum de canne blanche, ma liqueur et des épices. Et dans le futur nous allons probablement travailler le vieillissement.
FH : Est-ce que vos rhums sont bios ?
JC : Ils n’ont pas la certification, donc on ne peut pas dire qu’ils sont bios. Mais le Cap Vert est une île qui n’a jamais connu de produits chimiques en agriculture, donc on peut dire qu’ils sont sans pesticides. Ensuite je fais très attention à sourcer tout mon packaging et mes goodies en commerce équitable. Et les bouteilles sont en verre recyclé.
FH : Où peut-on trouver vos rhums ?
JC : Via mon site www.sodade-rhumcapvert.fr gironde et pays cognaçais. Et les noms et adresses des cavistes qui vendent mes produits sont consultables dans la rubrique « me déguster ».
FH : Pour terminer, quel est le sens de Sodade ?
JC : C’est le mot qui décrit un état d’esprit nostalgique, un moment où on se rappelle les bons moments passés. C’est le mot que mes amis me répétaient lorsque je partais après 15 jours parmi eux.
Une vidéo qui montre le terroir du Cap Vert :