« Une des choses que j’aime dans la peinture est qu’elle ne me concerne pas. C’est l’expression d’une image et d’une émotion évoquée. Je peins principalement ce que je vois, mais je peins aussi pour l’effet visuel, et particulièrement la couleur et la lumière. Lorsque j’ai vendu mon premier tableau, je n’ai pas pu dormir pendant trois nuits. Je voulais rester au lit à imaginer quelqu’un, qui ne me connaissant pas, était entré dans la galerie, et parmi tous les tableaux exposés dont ceux d’autres artistes reconnus, avait choisi le mien. C’était si inattendu et si exaltant, que je suis encore dans cet état. »
Kisten Dear nous a été présentée par Larry Warren de Saint Nicholas Abbey. Norvégienne issue d’une famille d’artistes et d’architectes, elle fut d’abord contrôleur de gestion, et vit maintenant entre la Barbade et la Norvège. Ses peintures à l’huile aux couleurs et lumières éclatantes nous transportent à la Barbade et nous font donc rêver encore et encore… Merci Kirsten !
« L’art n’est pas la nature » Pierre Bonnard
Anne Gisselbrecht : « De la Norvège à la Barbade… » Kirsten, quelle est votre histoire avec la Barbade, quand avez-vous découvert cette île ?
Kirsten Dear : Je suis arrivée à la Barbade pour la première fois en 1986. Mon père était parti d’Oslo vers la Caraïbe en voilier et je l’ai rejoint en vacances pour deux semaines. Quand les vacances se sont achevées, mon père
qui faisait du charter touristique sur son bateau manquait d’équipage. Il m’a demandé si je voulais rester une semaine de plus pour l’aider. Cinq mois plus tard, j’étais toujours sur le bateau.
AG : Qu’elle est votre relation avec cette île, ses habitants?
KD : La Barbade est une très belle île, et la plupart des gens sont les plus sympathiques et les plus beaux que l’on puisse imaginer ! Je me ballade souvent dans notre vieille voiture pour photographier la vie quotidienne dans l’île. La plupart sont vraiment heureux d’être photographiés sur leurs bateaux ou parmi leurs étals de fruits. Parfois, je prends des photos très tôt le matin, quand la lumière est douce quand il n’y a personne. C’est juste une île magnifique… A ce moment-là, je remercie mon «statut» de peintre, qui me permet d’être témoin de la Beauté, et à la Barbade, elle est toujours au rendez-vous !
AG : Il y a une différence de luminosité entre la Norvège et la Barbade. Le sweet spot est court à saisir à la Barbade, d’où votre travail d’après des photos. Par contre, les changements de luminosité en Norvège sont plus lents. Y a-t-il une différence fondamentale entre ces deux approches du point de vue de l’artiste ?
KD : Le changement de lumière en Norvège est très progressif. En été, c’est très lumineux, évoluant vers le bleu légèrement plus foncé de la nuit. «L’Heure Bleue» est envoûtante et dure plusieurs heures. Ce sont des conditions idéales pour peindre, impossibles pour dormir. Cette lumière est magique à peindre !
Par contre, à la Barbade, les changements de lumière sont très rapides, le «sweet spot» : cet instant, à l’aube et au crépuscule, où la lumière est douce et que les couleurs vibrent, disparaît en quelques minutes. La journée, l’intensité lumineuse écrase les couleurs. Il est donc très difficile de travailler en temps réel – je ne peux pas peindre assez rapidement avec la peinture à l’huile – alors je prends des photos pour travailler à partir de celles-ci.
AG : La peinture à l’huile, c’est une technique pour vos peintures, mais aussi une relation sensuelle avec l’odeur, le pinceau, les pigments..
KD : Il me suffit d’ouvrir ma boîte de peinture et je suis heureuse ! Je ne sais même pas si je suis heureuse, je remarque juste que je souris. J’aime tout dans la peinture à l’huile : les brosses, la toile, les pigments incroyables. J’aime la façon dont les peintures sèchent lentement et me permettent de travailler, j’aime leur odeur. Quand je peins, je suis dans mon propre monde, loin de moi-même. Je n’entends plus rien.
Mes grands formats sont une véritable séance d’entraînement physique, parce que je dois prendre du recul, je fais donc beaucoup d’allers-retours, pour observer et réfléchir. Après ça, je suis très fatiguée. Quand je travaille sur une toile, elle ne quitte plus mon esprit, Je vais même la voir pendant la nuit. J’adore être peintre mais je suis de mauvaise humeur et frustrée si je ne trouve pas l’alchimie.
AG : Vous êtes issue d’une famille d’artistes dont beaucoup d architectes, d’où votre intérêt pour les intérieurs d’époque, parlez-nous de votre rencontre et votre travail avec Saint Nicholas Abbey ? Connaissez-vous leur travail sur le rhum ?
KD : Mon mari, grand-père et deux oncles sont tous des architectes passionnés de bâtiments historiques, et cela a naturellement déteint sur moi. Les bâtiments anciens étaient mon sujet favori quand j’ai commencé à peindre la Barbade. Je voulais les peindre et les immortaliser avant qu’ils ne disparaissent, décrépis. Le travail de restauration entrepris par Larry Warren, lui-même architecte, à l’abbaye de Saint-Nicholas (l’une des trois dernières demeures Jacobines du XVIIème siècle de l’hémisphère nord) en fait un sujet parfait pour les peintres et les amateurs de bâtiments historiques.
Il a été restauré avec soin, à peine retouché, et tout ce qui a été possible de laisser intacte, l’est encore. J’ai rencontrée Anna, la femme de Larry par hasard dans une galerie de peinture. Depuis je suis une habituée de l’Abbaye. Les intérieurs sont charmants et chargés d’histoire, un plaisir à peindre. Depuis qu’il a racheté la plantation en 2006, Larry Warren s’investit avec passion dans la production d’une eau-de-vie qui rende hommage et respecte les 350 ans d’histoire du rhum à la Barbade.
Ses plantations sont cultivées avec soin et les cannes récoltées à la main sont d’une variété qui est propre à l’Abbaye. Les cannes sont ensuite chargées, toujours à la main, dans un moulin à vapeur et c’est le vesou cuit qui est mis en fermentation. La distillation se fait en alambics à repasse par petits lots aussitôt enfutés pour vieillir dans le chai de l’Habitation que l’on peut voir sur l’une de mes peintures. Malheureusement, les fantastiques arômes du lieu ne peuvent être perçus à travers la toile et j’encourage tous les amateurs de rhum à se rendre directement sur place !
AG : Le rhum fait il parti d’un art de vivre à La Barbade tel qu’il l’est dans les Antilles françaises, où il fait partie du patrimoine et de l’histoire ?
KD : Le rhum fait partie de la vie quotidienne et de la culture de la Barbade. A chaque coin de rue, il y a une échoppe à rhum où vous pourrez prendre un verre à tout moment de la journée. Avant de venir à la Barbade, je ne connaissais pas le rhum, mais maintenant, c’est aussi ma boisson ! Un punch à la plage ou un rhum et soda à la maison avant le dîner, une douce eau-de vie de canne à siroter… Et comme la plupart des Bajans je cuisine aussi au rhum : bananes flambées, poulet à la sauce rhum ou gâteau au rhum vieux selon la recette de ma belle-mère. Et puis conduire dans les environs de l’île pendant la saison de la culture de la canne, on sent le sucre dans l’air, c’est l’odeur de la Barbade!