Par Louis Lamamy
L’évocation du nom « Batavia Arrak » n’est sans doute pas inconnu pour les plus aguerris d’entre vous, mais qu’en est-il du Swedish Punsch ? Partons à la découverte de cette liqueur à base d’arrak (« cousin » du rhum produit en Indonésie), véritable monument culturel en terre scandinave, plus particulièrement en Suède.
Au 17e siècle, alors que les puissances européennes exploraient l’Asie pour y établir des routes commerciales, les Néerlandais, les Britanniques et les Français furent parmi les premiers à s’installer en Indonésie. En 1602, les Néerlandais fondèrent la célèbre Compagnie des Indes orientales, qui joua un rôle clé dans l’introduction de produits exotiques en Europe, notamment l’Arrak, un spiritueux « cousin » du rhum, produit de la fermentation unique de mélasse de canne et de riz rouge, à l’instar du koji utilisé au Japon pour la fabrication de shochu.
Cette fermentation produit des arômes distincts grâce aux enzymes naturelles du riz. La distillation du Batavia Arrak repose sur un processus traditionnel utilisant des alambics en bois ou en cuivre à repasse.
Bien que la Suède ait tardé à entrer dans cette course en raison de ses guerres et de son économie fragile sous le règne de Charles XII, elle fonda en 1731 sa propre Compagnie suédoise des Indes orientales.
Le premier navire de la Compagnie suédoise des Indes Orientales à débarquer dans le port de Göteborg, le Fredericus Rex Sveciae, revint de ce long périple en 1733, chargé de marchandises précieuses comme la porcelaine, les épices, le thé, mais surtout une grande quantité d’Arrak. Ce spiritueux allait jouer un rôle fondamental dans l’élaboration du Punsch suédois, une boisson certes déjà existante à cette époque, mais qui allait marquer l’histoire du pays.
LE PUNSCH, UNE TRADITION BIEN ANCRÉE
Le Punsch, une boisson chaude à base d’Arrak, de thé, de citron, de sucre et d’eau, devint rapidement populaire dans les cercles aristocratiques suédois. Bien que l’Arrak fût moins coûteux que d’autres spiritueux comme le cognac, les ingrédients exotiques nécessaires à la préparation du Punsch restaient chers, ce qui en faisait une boisson réservée principalement aux élites au 18e siècle.
Au fur et à mesure que sa popularité grandissait, de riches inves- tisseurs suédois qui avaient misé sur la Compagnie des Indes orientales firent de gros profits grâce à l’importation de l’Arrak. Certains d’entre eux, comme Nichlas Sahlgren et William Chalmers, réinvestirent leurs gains pour contribuer au dévelop- pement de la ville de Göteborg, en fondant respectivement l’Hôpital Universitaire Sahlgrenska et l’Université de Technologie Chalmers. Ces institutions sont aujourd’hui des piliers de l’éducation et de la santé en Suède, témoignant de l’impact économique et social de l’Arrak dans l’histoire suédoise.
L’INDUSTRIALISATION ET L’HÉRITAGE DU SWEDISH PUNSCH
En 1845, un événement transforma la manière dont le Punsch était consommé. Johan Cederlund, revenant d’Europe, introduisit l’idée de commercialiser du Punsch prémélangé en bouteille. Cette innovation simplifia sa consommation, le rendant plus accessible à toutes les classes sociales. De plus, les versions moins coûteuses du Punsch remplacèrent certains ingrédients onéreux comme le citron par du vinaigre, et l’Arrak fut mélangé à des alcools neutres. Cette transformation déclencha une véritable explosion de l’industrie du Punsch en Suède.
Entre les années 1860 et 1870, les Suédois consommaient environ 5 millions de litres de Punsch par an, un chiffre impressionnant pour une population de taille équivalente. Le Punsch devint si populaire que même l’armée suédoise instituait des pauses obligatoires pour en consommer, et les partisans du mouvement de tempérance autorisaient son usage sans restriction. Cependant, l’arrivée du mono- pole suédois sur l’alcool en 1916, suivie des guerres mondiales qui perturbèrent les importations d’Arrak, porta un coup à l’industrie du Punsch.
UN MARQUEUR CULTUREL PERSISTANT
Dans un registre plus actuel, l’ouverture à l’Europe en 1992 n’a pas forcément été d’une grande aide au renouveau de la catégorie. Les alcools étrangers en vogue inondaient le marché tandis que la consommation de Punsch continuait de régresser.
Aujourd’hui, bien que la consommation de Swedish Punsch ait drastiquement diminué par rapport à son apogée, il reste un symbole fort de la culture suédoise. Avec 15 marques encore disponibles sur le marché, le Punsch continue de rappeler l’histoire fascinante des échanges culturels et commerciaux entre la Suède et l’Asie, en espérant, bien sûr, un engouement futur pour cette catégorie.