Le parcours d’Audrey Eschemann est loin d’être un long fleuve tranquille. Après des études d’art du spectacle, cette jeune femme créative et passionnée, découvre le monde de la mixologie grâce à un cours de cocktail offert par des amis. C’est l’electrochoc ! Audrey part immédiatement faire ses armes auprès de belles pointures, Marc Battais et Romain Chassang et enchaîne les expériences derrière le comptoir de prestigieux établissements à Paris, (le W Hôtel Opera, les Bains Douches), New-York et Buenos Aires. Véritable globe-trotter du shaker, Audrey Eschemann officie aujourd’hui à Hong-Kong comme « group mixologist » pour quatre restaurants basés dans un seul immeuble de ZS Club du groupe ZS hospitality. Interview de cette barmaid passionnée de rhum qui va marquer son empreinte dans la scène cocktail asiatique.
Vous venez de participer à la finale de Marie Brizard Masters et vous avez remporté la seconde place au concours Angostura 2016, allez-vous tenter votre chance pour être en haut du podium en 2017 ?
Angostura était mon premier concours. Je me suis décidée à la dernière minute pour celui de Marie Brizard. Après Bacardi Legacy (top 8 finalistes), j’avais pris la décision d’arrêter les compétitions, moi et le stress….Mais Emile Chaillot consultant de Marie Brizard m’a convaincu et c’était une expérience incroyable d’aller jusqu’à la finale mondiale (Audrey a imaginé une recette à base de Rum Mount Gay infusé au poivre long et de l’anisette Marie Brizard). Je ne suis pas sûre de m’engager dans d’autres compétitions, mais peux être, qui sait, un jour je serai en haut du podium mais ce n’est vraiment pas mon but ultime. Mon podium c’est tous les jours que je le gagne quand je surprends un client avec une création ou un produit, ou quand je découvre quelque chose de nouveau…Ma compétition c’est celle avec moi-même afin de me surpasser tous les jours et rendre fière mon équipe.
Vous êtes aujourd’hui chef mixologiste de 4 bars-restaurant de ZS Hospitality Group à Hong-Kong, le travail de barman est très différent en Asie en Europe ?
Oui et non. Oui parce que c’est une culture complètement différente avec des horaires de travail chargés. Je comptabilise 60/65 heures par semaine dont 11 heures par jour et parfois plus .La culture du bar n’est pas la même à Hong Kong même si elle commence à vraiment bouger malgré son retard par rapport aux USA ou la France. Mais le travail de barman, peu importe le pays, reste identique : servir, écouter, mixer des drinks avec en plus la routine de la politesse vis à vis du client : plateau verre d’eau a chaque commande. La France et l’Asie ont vraiment un rapport différent au niveau service à cause de standards éloignés . Former le staff ici n’est pas facile mais si on s’écoute on arrive a un tres beau résultat.
Quelles expériences vous apporte le monde du bar asiatique ?
Une nouvelle culture ! J’apprends tous les jours les us et coutumes de consommation et parallèlement, je découvre des légumes, des fruits et des épices incroyables. D’autres part, je dois travailler d’une autre façon mes cocktails car les palais asiatiques aiment les saveurs très sucrées et pas vraiment l’amertume. Hong Kong est connu comme un gros mix de population, du coup on a aussi un mix de goûts différents. Ici, on marche à la débrouille contrairement à la France ou New York où tout est très facile à se procurer. On s’entraide beaucoup grâce aux groupes Whatsapp comme celui des barmen à Honk-Kong, car les gens sont dingues de téléphone.
Quel type de cocktails réalisez-vous ? Et pour quels types de consommateurs ?
Je suis en charge de quatre bars au concept totalement distinct, alors j’adapte les cocktails à l’esprit du lieu. Pour Mamasita cantina le bar style cubain, je propose des twists de margarita, de daïquiri, de mojito ou del presidente. Pour Lee Lo Mei, le petit dernier du groupe dédié à la « Hong Kong food and drink fusion », j’essaie de conjuger la culture du cocktail européenne, de l’Argentine et de New York avec les saveurs « made in Hong Kong ». Mon style tend vers l’esprit old school, car je suis une adepte des classiques que je revisite pour mes différentes créations.
Quelle place a le rhum sur le marché asiatique comparé aux autres spiritueux ?
Le rhum a pris un bel essor malgré certaines difficultés à percer sur le marché asiatique. Ce spiritueux a une vraie place à prendre et il doit être poussé par un travail éducatif auprès des barmen et de la clientèle. Max Traverse, le propriétaire de Honi Honi et Mahalo deux tiki bars à Hong Kong a particulièrement contribué au développement de ce spiritueux dans la ville. Aujourd’hui, on remarque une nette préférence pour des rhums spéciaux avec des finish par exemple. D’ailleurs, j’ai donné un coup de pouce à mes amis distributeurs de spiritueux et vins francais Natural FNB pour le rhum HSE et le finish Sauterne qui connait maintenant un joli succès !
Que pensez-vous des rhums produits en Asie comme les thaïlandais Issan ou Chalong Bay ?
Le rhum Issan est encore méconnu ici mais Chalong Bay est une jolie découverte que j’ai faite il y’a quelques mois. C’est un produit équilibré et très intéressant à travailler en cocktail, d’ailleurs il marche très bien à Hong Kong. La richesse du terroir asiatique en terme d’épices et de climats, permet d’offrir une palette de rhums d’une très grande qualité et diversifiée : le Tanduay des Phillipines dont le 21ans, les merveilleux Nine Leave et Ryoma Rhum du Japon. L’Asie n’a rien à envier aux Caraïbes et à la Martinique.
Quel type de catégorie de rhum utilisez-vous dans vos différents établissements ? Et quel type de rhums trouve-t-on chez vos confrères à Hong Kong ?
J’ai à ma disposition une grosse sélection de rhums, des marques classiques d’entrée de gamme comme Bacardi, Havana Club et Mulata, aux maisons plus premium comme HSE, Chalong Bay, La Compagnies des Indes…A Mamasita Cantina, j’essaie de développer la carte des rhums et d’offrir un pairing cigares. Quant à mes confrères sur Hong-Kong, le bar Honi Honi offre une sélection incroyable, mais généralement, les bars à cocktails propose un choix de rhums prestigieux a contrario des bars plus basiques se cantonnant principalement à des rhums comme Havana ou Bacardi.
Quels cocktails à base de rhum fonctionnent le mieux dans vos 4 bars restaurants ?
Le « A Ee da lee », un expresso martini avec le rhum Eldorado 5 ans et le « A my tai tai » mon cocktail « Despicable Pineapple » à base de rhum ananas Plantation 3 stars, triple sec, kaffir lime et citronnelle plait beaucoup. Pour le bar du Lee Lo Mei, je prépare un nouveau menu avec un fat wash de beurre de cacahuète dans un spiced rum black magic et sur un cocktail avec Chalong Bay à base du thé Osmantus (un thé à base de fleurs jaunes parfumées) et des saveurs d’Asie….Pour Mamasita Cantina, le Cuban Mojito est notre best-seller de la carte ainsi que le Black Magic Storm (twist de Dar’n Stormy) au jus de calamansi, un agrume exotique ressemblant au citron vert mais plus puissant.
Ou serez-vous dans un an ?
Bonne question…..Probablement encore à Hong Kong pour une année de plus, puis de retour en France peut-être. Et un jour avoir mon bar et ma propre distillerie – un rêve pour moi -. Mais une chose est sûre comme on dit «Tous les chemins mènent à RHUM ! »