La production baisse un peu partout, et même comme à la réunion, s’effondre. À l’exception notable de la Guyane.

Que ce soit à la Réunion, en Guadeloupe, ou en Martinique, la situation de la filière canne à sucre n’est pas au beau fixe. En Martinique, en 2024, 206 431 tonnes de cannes ont été récoltées, soit une baisse de 1,05 % par rapport à 2023, sur 4 013 ha. Une légère décrue, qui s’apparente à l’arbre qui cache la forêt. « Les taux de sucre dans les cannes sont très bas, si bien que sur certaines parcelles, le taux de brix était inférieur à 16 %. On n’avait jamais vu de taux aussi bas ! » raconte Marc Sassier, le président de l’AOC.
Un problème pour les distilleries quand on sait que, pour faire du rhum, un brix aux alentours de 20 % est préférable. Un problème aussi pour les planteurs, dont la paie est souvent corrélée au taux de brix. Un problème surtout pour l’usine sucrière du Galion, qui est structurellement en déficit et qui cherche chaque année des cannes à sucre.
En Guadeloupe, la situation n’est guère plus reluisante. En juillet 2025, la campagne sucrière a même dû être prolongée pour espérer remplir les quotas. Au total, ce sont près de 426 000 tonnes qui seront récoltées pour cette campagne 2025 alors que plus 455 000 tonnes étaient attendues à l’usine du Gardel (la seule sucrerie encore en activité hors Marie-Galante).
À cela s’ajoute une richesse saccharine également inférieure aux attentes. À la Réunion, la situation est carrément catastrophique étant donné que 972 000 tonnes de cannes à sucre sont espérées, alors que la filière rhum a besoin de minimum 1, 5 millions de tonnes pour fonctionner normalement. Là encore, les usines sucrières (qui envoient leur mélasse aux trois principales distilleries) sont en sous-régime. Si la filière sucre (Galion en Martinique, Gol et Bois Rouge à la Réunion) venait à s’effondrer, la situation deviendrait réellement critique, notamment pour les rhums de sucreries (voir l’interview d’Emilie Marty).
Des problèmes structurels et conjoncturels
La situation de la filière canne dans les DROM s’explique d’abord par des facteurs structurels. La population de planteurs est vieillissante et ne se renouvelle pas bien. Le métier n’attire pas. Il est jugé trop dur et trop peu rémunérateur. Même chose pour les emplois saisonniers comme coupeur de canne.
Les rhumiers mettent aussi en cause depuis des années la baisse du nombre de « molécules » autorisées, c’est-à-dire les désherbants de synthèse qui leur permettent notamment de protéger la canne à sucre des « mauvaises » herbes (la filière canne n’utilise presque pas de fongicide ou d’insecticide).
Corollaire de ces difficultés, nombre de parcelles destinées à la canne sont redirigées vers d’autres cultures. Quand ce ne sont pas des habitations qui prennent sa place (mitage). Dans certaines parties de la Guadeloupe et de la Martinique, on peut aussi pointer du doigt le manque d’eau (sécheresse), ou au contraire des inondations fréquentes. S’ajoute à ces défis structurels des phénomènes plus ponctuels, mais dont la répétition laisse à craindre qu’ils ne s’installent sur la durée.
Notamment des cyclones et tempêtes tropicales beaucoup plus fréquents et violents. Et une tendance à la pluie lors de la saison sèche est observée ces dernières années. Résultat, le sucre peine à se concentrer dans les cannes, la végétation repart… Bref les rendements baissent. Ces phénomènes étant à l’évidence dus au changement climatique, ils ne risquent pas de s’atténuer avec le temps, au contraire.
Une prime au rhum agricole
La situation n’est pas désespérée pour autant. Lorsque les distilleries et marques disposent de leurs propres champs, la récolte semble être moins impactée. Dans certains territoires français, comme la Guyane ou la Polynésie, on plante même de la canne à sucre et la production augmente.
« En Guyane, nous exploitons aujourd’hui la seule distillerie de rhum agricole du territoire. Nous travaillons avec une quarantaine de petits planteurs que nous accompagnons pour améliorer les rendements et accroître les surfaces cultivées, explique Grégoire Gueden, le directeur de la branche spiritueux du groupe GBH. Dans une logique de développement ambitieux, nous avons également acquis 180 hectares de terres sur le plateau des Mines, à quelques kilomètres de la distillerie, où nous avons démarré nos propres plantations.
À terme, notre modèle reposera sur une double source d’approvisionnement : les cannes des planteurs partenaires et celles issues de nos propres cultures. Notre ambition est d’atteindre une production annuelle de rhum nécessitant 15 000 tonnes de cannes. » Mais il s’agit pour le moment d’une goutte d’eau dans l’océan.
Dans l’ensemble, le rhum agricole semble mieux armé pour résister à la baisse du tonnage de canne à sucre disponible. Beaucoup de distilleries disposent, il est vrai, de leurs propres parcelles. Quand elles s’approvisionnent ailleurs, elles peuvent imposer leur cahier des charges, nouer des contrats de longs termes avec les planteurs et mieux valoriser la canne.
C’est sans doute là que l’effort devrait se porter pour pérenniser la culture de la canne à sucre. Mieux valoriser les planteurs, les mettre en avant et surtout, mieux les payer, un peu sur le modèle des vignerons en métropole, permettrait de redonner un coup de boost à la profession.
À ce titre, le projet Papa Rouyo (Guadeloupe) avec ses cuvées qui rendent hommage à des planteurs est très intéressant. En tout état de cause, les distilleries agricoles maîtrisent mieux leur approvisionnement que les distilleries de mélasse qui sont tributaires des soubresauts de l’industrie sucrière.
Si cette dernière devait péricliter, les rhumiers utilisant la mélasse comme matière première pourraient toujours se rabattre sur la production de rhum agricole. Ils possèdent en général le matériel (hors moulins) et le savoir-faire, mais ce serait au prix d’une histoire et d’une culture qui a perduré pendant des siècles.