La longue marche des femmes pour se faire une place dans l’industrie du rhum

Les femmes dans le rhum

En commençant cette enquête chez Rumporter, nous nous demandions si les femmes seraient l’avenir du rhum. Très vite, nous nous sommes rendu compte que nous avions un train de retard. Et non seulement, les femmes seraient l’avenir du rhum, mais qu’elles en étaient également le présent.

Ainsi, au fil de nos entretiens, nous avons pu brosser un tableau général de la place des qu’elles occupent dans l’industrie. Si, lorsque les iconiques Joy Spence (Appleton) et Lorena Vasquez (Zacapa) ont débuté, les femmes n’étaient que très peu présentes dans les distilleries et encore moins à des postes de responsabilité… les choses ont évolué dans le bon sens au fil du temps.

En effet, les femmes occupent désormais des places de choix dans tous les aspects de la production et de la commercialisation du rhum : dirigeantes d’entreprises (Matha Miller, NRJ en Jamaïque), dirigeantes de marques (Florence de Coriolis pour Grays à l’île Maurice), spécialistes du marketing et de la communication, ambassadrices de marque (Marie El Hanafi pour Millonario ou Juliette Douchement pour Planteray & Canerock), guides dans les distilleries… Bref le spectre est particulièrement large.

De plus en plus de femmes dans les métiers de la production

Même si les métiers liés à la production en tant que telle, comme maîtres de chai ou maîtres distillateurs, restent très masculins, nous avons été frappés par le nombre croissant de femmes occupant ce type de positions à très fortes responsabilités au sein des distilleries.

Côté rhum « britanniques », on pense évidemment à la pionnière, Joy Spence, qui règne sur les destinées d’Appleton (Jamaïque) depuis des décennies, ou à Trudiann Branker (Mount Gay, la Barbade).

C’est cependant dans l’aire hispanique que les femmes semblent s’être le mieux imposées pour le moment : l’iconique Lorena Vasquez (depuis 41 ans !) chez Zacapa au Guatemala, Jassil Villanueva chez Brugal (République Dominicaine), Gabriela Ayala chez Cihuatan (Salvador), Carmen Lopez de Bastidas chez Carupano ou encore Nancy Duarte pour Santa Teresa (Venezuela toutes deux)…

Du côté français les femmes sont encore peu nombreuses dans les rôles opérationnels et du chemin reste sans doute à parcourir. Cependant on peut notamment citer Marie Ferrand qui veille sur le chai et Louise Bouilloux qui a la charge des arrangés et consorts chez Isautier (la Réunion), Anna Ostrovskyj qui, avec sa société de conseil Cœur de Chauffe, opère en Guadeloupe (et Marie-Galante), ou Karine Lassalle, qui, après avoir été maître de chai chez J.M. (Martinique) fait désormais les beaux jours de Rémy Cointreau, Virginie Pouppeville et Nathalie Guillier-Tual qui ont longtemps travaillé pour BBS (Trois-Rivières, la Mauny, Bourdillon…)…

Des axes de progression

Toutes les femmes que nous avons interrogées constatent donc une véritable augmentation du nombre de leurs semblables dans l’industrie. À quelques exceptions près, elles ont été plutôt bien accueillies par leurs collègues masculins, et n’ont en aucune manière été freinées par leur genre.

Par contre, les femmes sont encore peu présentes dans les fonctions liées à la culture et la récolte de la canne à sucre, donc au départ de la chaîne de production et… tout en haut.

Très peu d’entre elles possèdent réellement les distilleries ou les marques pour lesquelles elles travaillent, à l’exception notable de Delphine Gardère pour Barbancourt en Haïti, et peut-être Jassil Villanueva qui fait partie de la 5e génération de la famille dirigeant Brugal.

Pour le dire autrement, elles ne possèdent pas le pouvoir économique, même si elles influent de plus en plus sur les orientations stratégiques des marques et des groupes. Si les femmes que nous avons contactées n’ont pour la plupart pas eu à subir de comportement sexiste de la part d’hommes dans le cadre de leurs fonctions et dans leur travail quotidien, nombre d’entre elles pointent du doigt une ambiance lourde, voire agressive à l’encontre des femmes dans certains évènements autour des spiritueux (masterclass et surtout salons), lorsque l’alcool et l’effet de groupe risquent de jouer.

Certaines confessent même éviter de se déplacer sans un collègue masculin pour les « protéger » en cas de dérapage dans ce type d’évènements.

Une façon féminine de créer et de déguster le rhum ?

Nous avons aussi voulu savoir s’il existait une « façon féminine » de produire du rhum. Les femmes que nous avons interrogées sont partagées. Mais elles estiment a minima que les capacités sensorielles et sensibles des femmes peuvent être supérieures à celles de leurs collègues masculins… ce qui influe sur la façon dont le rhum est produit et ses arômes finaux.

À la question, « pourquoi, selon-vous les femmes consomment moins de rhum de dégustation », ce sont des facteurs comme la pression sociale, un héritage culturel qui sont avancés comme explication. Et toutes disent se battre pour faire changer le regard des femmes sur le rhum, et de la société sur les femmes qui boivent du rhum. Mais le mieux, c’est encore de leur passer directement le micro !