Neil Mathieson était le blender de la maison de négoce britannique Mezan qui commercialise des rhums rares. Issu d’une famille de négociants en whisky depuis plus d’un siècle, Neil est également à la tête de la société d’import et de distribution Eaux -de-vie à Londres, spécialiste des spiritueux rares et d’exception.
Alexandre Vingtier : Quelles catégories de spiritueux travaillez-vous?
Neil Mathieson : Bien évidemment le rhum avec la gamme Mezan que j’ai créée et les produits de la distillerie Foursquare de la Barbade dont la marque Doorly’s que j’importe pour l’Europe, mais j’achète également des stocks d’armagnac commercialisés sous la marque Clos Martin et bientôt des pineaux de Charente. Je travaille également sur deux futures distilleries écossaises de whisky de malt pour le groupe Mossburn Distilleres, l’une sur l’île de Skye (ndlr : où se trouve Talisker) et une autre dans les Lowlands. Elles auront une capacité totale de production de 2,5 millions de litres d’alcool pur par an. L’installation des Lowlands nous permettra d’y faire vieillir les rhums que nous achetons et de maîtriser entièrement le processus de mise en bouteille.
AV : Comment avez-vous créé la gamme Mezan ?
NM : En 1998, j’ai voulu créé un assemblage de moi-même et pour moi-même. J’avais une idée du goût que je recherchais et je n’ai pas changé d’avis depuis. Ainsi est né notre Jamaica XO, la référence phare de notre gamme, un assemblage de rhums distillés exclusivement dans des alambics pot stills et ayant le même niveau d’esters, un niveau moyen/léger car je trouve les rhums jamaïcains high esters trop âcres. J’achète aussi bien des rhums non vieillis que déjà vieillis, mais dans ce cas exclusivement en anciens fûts de bourbon parce que c’est le type de fût que je préfère : le chêne américain a moins d’influence sur l’eau-de-vie. Une partie reste à vieillir sur place tandis que l’autre est expédiée en Grande-Bretagne pour poursuivre son vieillissement pendant sept à dix années. Le vieillissement en Europe est très intéressant car il est moins oxydatif et permet d’éviter une trop forte concentration en esters. Nous sommes des baby blenders et non des masters blenders car nous apprenons constamment, comme pour la condensation des acides… l’assemblage requiert une bonne connaissance, la maîtrise de techniques, l’envie d’apprendre et surtout un bon nez, ce que les chimistes ne possèdent pas forcément.
AV : Comment vous procurez-vous vos rhums jamaïcains ?
NM : Je travaille directement avec deux distilleries. Pour le XO, j’achète des stocks environ deux fois par an qui correspondent au double de la quantité que je commercialise car après dix années de vieillissement, l’évaporation de l’alcool ou part des anges s’élève à 40% environ. Donc pour produire 5000 bouteilles de 70cl à 40% chaque année, il me faut acheter 5000 litres à 67%, degré de mise en fût. J’achète également des fûts de chêne américain très brûlés à l’intérieur, surtout de Jack Daniel’s, qui ont été rincés et entièrement vidés même de la partie contenue dans les douelles, pour avoir le moins d’influence possible du whiskey.
AV : Quelle est la philosophie de la gamme Mezan ?
NM : La réponse est très simple : des rhums purs, singuliers, exprimant leur origine, leur distillerie, la spécificité d’une cuvée sauf dans le cas de notre Jamaica XO bien entendu. Pour cela, il ne faut pas que l’eau-de-vie ait été « travaillée » dans des fûts spéciaux ou avec des additifs comme le sucre.
AV : Et comment déniche-t-on de tels rhums ?
NM : Encore une fois en travaillant directement avec les distilleries ou leurs brokers attitrés, comme dans le cas de Demerara Distillers au Guyana. Mais il est de plus en plus difficile de trouver la qualité que nous cherchons : malheureusement une grande partie des stocks de vieux rhums a déjà été soit aromatisée, édulcorée, colorée ou encore pré-assemblée pour des grandes compagnies, donc à l’opposé de notre démarche. Aussi nous n’achetons pas de rhum vieux qui ont été influencés par des fûts de vins. Les rum factories, ces grandes usines à rhum, peuvent rester indépendantes mais elles produisent essentiellement des ingrédients pour les assemblages quand elles ne produisent pas tout simplement de l’éthanol. Si elles produisent des cuvées singulières, elles préfèrent dorénavant se les réserver pour les propres marques qu’elles ont ou vont créer. A ma connaissance, seule la compagnie Demerara Distillers peut encore fournir des cuvées très spécifiques car ils peuvent produire de très nombreux styles de rhum depuis très longtemps. L’individualité est une chose de plus en plus rare et de moins en moins accessible pour nous autres petits négociants. Il m’arrive régulièrement de me battre sur un même lot avec mes confrères de Bristol. Heureusement je pense que l’on va voir apparaître de plus en plus de boutique distilleries produisant moins de un million de litres d’alcool pur dans les prochaines années. Aussi, comme nous importons les rhums de Richard Seale (Doorly’s, Sixty Six), nous n’achetons pas de rhum de la Barbade mais nous lui achetons tous les ans quelques fûts commercialisés sous l’étiquette Foursquare Single Cask.
AV : Pourquoi embouteillez-vous tous vos rhums à 40% ?
NM : Je sais bien que beaucoup d’amateurs de whisky ne jurent que par les embouteillages non filtrés à froid à 46% ou les bruts de fûts à 55-60% mais personnellement je reste convaincu que 40% reste un excellent équilibre pour avoir les arômes sans être agressé par l’alcool, tant au nez qu’en bouche. Par exemple, je n’apprécie pas les rhums jamaïcains à fort degré. Quant à la filtration, comme je cherche à conserver le caractère entier du rhum, je ne pratique qu’une filtration mécanique légère. L’image que j’utilise le plus souvent est celle du sachet de thé, les arômes sans les résidus.