« On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment de notre mort. Est-ce le poids de notre âme ? » Tel est le pitch du film du réalisateur Alejandro Gonzáles Iñárritu sorti en 2003. Et telle sera la limite à partir de laquelle un rhum perdra son âme dans l’Union Européenne…
En effet selon le règlement sur les spiritueux, à partir de mai 2021, il y aura enfin une limite à l’édulcoration du rhum. Jusqu’ici, la seule limite connue était celle des 100 grammes de sucre par litre (soit 10%) à partir de laquelle on passe dans le monde des liqueurs.
Désormais, entre 20 et 100 grammes, on ne sera qu’une boisson spiritueuse à base de rhum. Si l’on regarde les autres grandes catégories de spiritueux vieillis, on constate que le whisky ne peut en aucun cas être édulcoré, on y retrouve ainsi le plus souvent que des traces de sucre extrait du chêne et parfois du précédent contenu du fût, notamment pour les vins moelleux, liquoreux ou de liqueur (on peut atteindre dorénavant 2 à 4 grammes de sucre par litre tout de même). Le whisky est donc un spiritueux généralement sec, parfois légèrement arrondi.
Quid du cognac ? La règle est un peu plus complexe : on y autorise quatre degrés d’obscuration, c’est-à-dire une différence de 4 degrés entre la mesure par densité et le taux réel : cela inclue aussi bien le sucre que les extraits de chêne… Cela revient à fixer une limite de 15 grammes par litre pour l’édulcoration, dans la pratique cela tourne autour des 7-8 grammes pour les cuvées les plus populaires. Et il y a souvent toute une science derrière, avec des sucres intégrés lors du vieillissement.
Pour le rhum, la limite a donc était fixée à « 20 grammes par litre de produits édulcorants ». Cela implique que des cuvées qui ont grandement contribué à la popularité des rhums vieux dans les années 2000, comme Zacapa 23 et Diplomático Reserva Exclusiva, affichant historiquement de 30 à 45 grammes par litre, vont devoir évoluer.
Pour les rhums agricoles, aucun changement car ceux-ci ne peuvent être édulcorés. Comment cette limite a-t-elle été fixée ? Probablement par le lobbying des grands alcooliers européens qui ont des intérêts de plus en plus importants dans le rhum. Organoleptiquement, un léger ajustement permet parfois de doper la complexité aromatique, surtout en finale, ensuite la présence de sucre se fait ressentir en bouche autour des 6 à 10 grammes, masquant l’amertume de l’alcool jeune et parfois du bois, et au-delà le sucre lisse le profil des rhums avant de l’étouffer.
Avec tous ces éléments en tête, on comprend mieux pourquoi il fallait donc une limite, arbitraire certes, pour que le rhum vieux conserve sa crédibilité dans l’univers des grands spiritueux, alors même que la répression des fraudes chasse les additifs décriés comme la vanilline et le glycérol.
Dans tous les cas, cela induit une nouvelle phase de maturité pour l’industrie rhumière dont nous ne pouvons que nous féliciter !
RUMPORTER
Édition Novembre 2019
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