Eminente ou la redécouverte du rhum cubain

Le groupe Moët-Hennessy, incontournable pour ses marques de cognac et de champagne mais aussi pour ses single malts écossais cultes Ardbeg et Glenmorangie, se lance dans la catégorie rhum avec la création d’une marque cubaine, Eminente.

Alors que la plupart des marques actuelles et des créations récentes sont des joint-ventures avec des sociétés cubaines, cette marque est produite par la société Cuba Ron pour le compte de Rum Entreprise, filiale dédiée du groupe Moët-Hennessy dirigé par Jacques Mantz, l’instigateur de ce projet original et directeur financier du groupe de vins et spiritueux.

L’ambition affichée est de séduire les amateurs de dégustation et de mixologie pointue avec des assemblages inédits de rhum cubain en s’appuyant sur la fameuse aguardiente, le cœur aromatique de ce style qui a fait école dans la plupart des pays latinos. Rencontre avec l’équipe française qui a collaboré avec leurs homologues cubains pour créer cette nouvelle marque.

Interview de Julien Morel, Camille de Dominicis et Briac Dessertenne, qui ont travaillé plus de deux ans sur ce projet et managent la marque de rhum cubain Eminente pour Moët-Hennessy.

(En toute transparence, nous vous informons qu’Alexandre Vingtier, rédacteur en chef et Co-fondateur de Rumporter, a collaboré à l’élaboration de ces produits.)

Eminente rhum cuba

Fabien Humbert : Comment est né le projet Eminente ?

C’est un projet sur lequel nous travaillons depuis deux ans et demi avec les équipes de Moët-Hennessy avec un partenaire cubain, Cuba Ron. Chez Moët-Hennessy, nous connaissons bien la distillation, l’assemblage, le vieillissement de spiritueux de qualité, notamment à travers le cognac. Nous voulions trouver tous ces critères dans des eaux-de-vie cubaines. Nous recherchions un partenaire avec lequel ce serait possible de créer un rhum de qualité, et nous l’avons trouvé à Cuba.

FH : Est-ce que vous avez directement posé vos bagages à Cuba, ou est-ce que vous avez essayé d’autres destinations ?

Le monde du rhum est foisonnant, on en produit dans environ 80 pays, donc nous avons essayé des rhums de divers pays. Nous avons décidé de miser sur le rhum de type hispanique, donc de mélasse, plutôt que le rhum de pur jus de canne ou rhum agricole. Si ce dernier est très présent en France grâce à notre lien culturel avec lui, il l’est en revanche moins à l’international. C’est à Cuba que nous avons trouvé les rhums que nous recherchions pour nos assemblages, ce qui n’est pas étonnant car c’est le berceau des rhums hispaniques. Il y avait véritablement deux axes de recherche : la qualité des eaux-de-vie et le potentiel de marché. Le rhum hispanique est la catégorie qui croît le plus avec le gin et la tequila. Ce qui est intéressant aussi avec le rhum hispanique, c’est qu’on peut à la fois travailler le cocktail et le rhum de dégustation. Et évidemment, Cuba est une destination naturellement évocatrice.

Lire aussi : apparition du rhum cubain dans la mixologie

A priori Cuba est peu connu pour ses rhums de dégustation, en tout cas en Europe.

C’est justement ce qui nous a plu, Cuba est extrêmement connu pour ses rhums destinés à être bus en cocktails depuis le début du XXe siècle. Nous voulions montrer tout le savoir-faire des maîtres rhumiers cubains dans l’art de créer des rhums de dégustation. C’est de cette volonté qu’est véritablement né Eminente Reserva 7 ans, même si nous avons aussi un rhum de cocktail avec notre Ambar Claro 3 ans. C’est pourquoi nous avons fait appel à César Martí.

FH : Rendons à César ce qui lui appartient, parlez-nous de votre collaboration avec lui.

Il y a dix maîtres rhumiers chez Cuba Ron. César est le plus jeune d’entre eux, il a mis seulement neuf ans à être confirmé à ce poste et a été formé par José Pablo Navarro, le premier Maestro Ronero cubain. Avec lui, nous voulions remettre sur le devant de la scène les rhums de dégustation cubains, tels qu’ils étaient à la fin du 19e siècle et la généralisation des rhums légers.

Eminente rhum cuba

FH : Comment produit-on un rhum de dégustation cubain ?

Le rhum cubain est beaucoup plus divers et complexe qu’on le croit. Il y a plus de 100 variétés de canne à sucre, dont 70 sont exclusives à l’île. La mélasse cubaine est connue pour être une des meilleures au monde, avec une proportion de sucre totaux élevée, une faible acidité et naturellement pauvre en éléments soufrés. Nous avons notamment utilisé de l’aguardiente, c’est-à-dire du rhum de mélasse très aromatique distillé à 74% environ (un peu comme dans le rhum agricole) et non à plus de 90% comme dans les rhums légers. La plupart des rhums cubains ont autour de 10% d’aguardiente dans leurs assemblages. Pour notre Reserva, qui est notre produit phare, il y en a 70%. Et 30% dans notre rhum pour cocktail. D’où une grande complexité, une belle intensité et une large palette aromatique.

Lire aussi : Une petite histoire des rhums cubains

FH : D’où viennent les rhums que vous avez utilisés dans l’assemblage ?

Eminente rhum cubaUne notion de terroirs est en train de se mettre en place à Cuba. Il y a tellement de variétés différentes de canne, d’aires de production, de possibilités d’assemblage et de façon de distiller. Les Cubains ont défini trois grands styles / aires de production. Près de la Havane, on parle d’un style occidental avec des rhums riches et secs. Près de Santiago dans la partie occidentale, ce sont des rhums plus fruités et doux. Nous avons cherché à capter les qualités de ces deux identités. Notre distillerie se situe au centre du pays à Santo Domingo, donc à leur carrefour. Ce qui nous permet d’avoir des rhums au style versatile dit type central, d’une belle complexité mais encore méconnu en dehors de Cuba.

FH : Parlons un peu technique, vieillissement, compte d’âge, sucre…

Les levures sont locales et naturelles. La fermentation dure entre 25 et 30 heures. La distillation se fait en colonne simple pour l’aguardiente et multiple pour le rhum léger. L’aguardiente est vieillie dans des barriques ayant accueilli précédemment du bourbon puis du whisky écossais ou irlandais. Elle y reste 2 ans minimum. Seulement après cette première étape peut commencer l’assemblage. On peut la mélanger avec du rhum léger et continuer le vieillissement dans des barriques plus ou moins grandes. Dans notre Reserva, le rhum le plus jeune a 7 ans au minimum par exemple.

Concernant le taux de sucre, dans ce Reserva, nous respectons la DOP cubaine et intégrons entre 6 et 8 grammes par litre (la réglementation locale autorise jusqu’à 20 grammes de sucre par litre). Pour notre référence destinée à la mixologie, c’est entre 8 et 10 grammes avec un vieillissement minimum de 3 ans et une proportion d’aguardiente de 30%. Nous voulions vraiment proposer un rhum peu sucré mais qui conservait un côté plaisant à la dégustation, à la fois pour les néophytes et les experts. Nous avons eu d’excellents retours lors de nos dégustations en avant-première avec les professionnels.

FH : Justement, quelle est la cible de vos deux références ?

Eminente rhum cubaQuelqu’un qui apprécie les spiritueux qui ont une complexité et richesse aromatiques certaines. C’est pour cela que nous nous lançons sur plusieurs marchés à la fois. D’abord Cuba bien sûr. Et quatre marchés en Europe : la France, le Royaume-Uni, la République Tchèque et l’Allemagne. A cause de l’embargo, nous n’avons pas pu viser le marché américain bien évidemment.

FH : Où trouver les rhums Eminente en France ?

Nous avons opté pour une distribution sélective chez les cavistes indépendants surtout. Une centaine en France et quelques bars. Nous voulons construire la notoriété de notre marque sur le long terme. Il sera aussi possible de se faire livrer gratuitement vos bouteilles si vous les achetez sur notre site internet eminente.com qui sera lancé mi-septembre. Le prix public conseillé sera de 47 euros la bouteille pour le Reserva 7 ans.

FH : Un petit point packaging ?

En fait, les Cubains disent que leur île a la forme d’un crocodile, c’est pourquoi vous retrouvez la carte de Cuba sur l’étiquette et que le flacon a comme des écailles de crocodile. Nous souhaitons aussi que la bouteille devienne un objet qu’on peut réutiliser comme carafe ou comme vase, une fois le rhum terminé bien sûr.

Eminente rhum cuba

FH : Et rayon développement durable ?

Nous sommes engagés sur ce chemin avec notre partenaire Cuba Ron, avec les normes ISO, le traitement des eaux usées, l’utilisation du photovoltaïque sur le site de production, une faible utilisation des pesticides (de manière générale dans l’île). Ce n’est pas parfait, mais nous avançons, nous regardons par exemple du côté de l’agriculture biodynamique pour accompagner des projets de ce type sur l’île.

FH : Et que nous réserve le futur ?

Nous allons continuer d’innover avec d’autres références qui seront lancées, probablement avec davantage de vieillissement. Ça prendra du temps ! Pour le moment nous faisons appel aux stocks déjà vieillis de notre partenaire Cuba Ron, mais dans le futur nous pourrions avoir notre propre chai de vieillissement.