Le réseau de distribution créé par Bernard Baud (Grandes Distilleries Peureux/La Martiniquaise), s’est imposé en quelques mois comme l’un des acteurs majeurs de la commercialisation des spiritueux chez les cavistes indépendants français. Explication et rencontre.
Pour une marque de spiritueux, le choix d’un distributeur est particulièrement crucial car on a beau faire un très beau produit, s’il ne se vend pas, cela ne sert à rien. Beaucoup de facteurs entrent en jeu dans ce choix : les relations personnelles avec le distributeur, l’épaisseur de son catalogue (trop de marques présentes risque de vous noyer, pas assez et il manquera d’attrait), la présence ou non de produits concurrents… et la capacité du distributeur à vous représenter auprès de vos cibles prioritaires : cavistes, restaurants, bars, hôtels…
C’est sans doute ce dernier facteur qui a convaincu 90 marques (rhums, whiskys, téquilas, anisés, liqueurs, gins, mezcals…) de rejoindre Premium Craft Spirits, le réseau créé en moins de deux ans par Bernard Baud, le président des Grandes Distilleries Peureux et de la distillerie Massenez (qui font partie du groupe La Martiniquaise), fort d’un réseau de plusieurs milliers de cavistes indépendants grâce à sa marque iconique : Griottines.
Les marques de la Martiniquaise (Saint James, Rivière du Mât…) ont bien sûr rejoint le mouvement, mais aussi Depaz, Dillon, Kraken… Un nouveau géant de la distribution est né, et est entré dans la compétition avec des acteurs déjà bien implantés comme Dugas, LMDW, Whiskies du Monde.
Rencontre avec Bernard Baud, qui est à l’origine de Premium Craft Spirits
On a l’impression que Premium Craft Spirits est sorti de nulle part en très peu de temps, pouvez-vous nous raconter sa genèse ?
Pour bien comprendre comment tout s’est déroulé, il faut rappeler que je suis président des Grandes Distilleries Peureux en Franche-Comté, une véritable institution dont la fondation remonte à 1875.
Nous produisons des eaux de vie de fruits, et l’iconique marque Griottines. En 2018, en regardant la structure de l’entreprise et en réfléchissant à de nouvelles stratégies, je me suis aperçu que nous avions un vivier de cavistes indépendants qui tous les ans achetaient des Griottines.
Au moins pour les fêtes de fin d’année, avec une constance et une fidélité incroyable, alors que nous n’avions pas d’agents ou de commerciaux pour nous représenter. J’ai donc décidé de leur proposer, aux côtés des Griottines et des liqueurs, deux spiritueux emblématiques du marché : le rhum et le whisky en provenance de distilleries amies.
Comment a été l’accueil ?
J’avais un peu peur que cela déstabilise les cavistes partenaires, mais assez rapidement il y a eu des réponses positives. Il ne faut pas oublier qu’en 2019 les cavistes indépendants étaient dans une position très compliquée, coincés entre les cavistes chaînés et la grande distribution.
Arrive le covid, et en mars 2020 le confinement. Cette période va être un accélérateur pour nous. Parce que notre réseau de cavistes indépendants partenaires va nous demander davantage de spiritueux ! Nous y avons répondu en élargissant notre sélection.
Et à la fin de l’année 2020, je vais organiser véritablement ce mouvement et mettre en place un département identifié sous le nom de Premium Craft Spirits. A partir de ce moment, nous allons nous engager dans un vrai partenariat d’exclusivité avec les distilleries que nous avions associées à notre marque.
Quelles sont les marques qui vous ont rejoint ?
Assez rapidement l’information s’est répandue et d’autres marques sont venues à nous. Il y avait grosso modo deux cas de figure. D’abord des marques amies avec lesquelles nous avions des relations professionnelles nouées dans les salons notamment, et qui n’avaient pas de réseau de distribution chez les cavistes indépendants.
Ensuite des marques qui étaient déjà distribuées, mais qui ont voulu changer de partenaire. Très vite de grands noms comme Kraken, Depaz, ou la tequila Cuervo nous ont contactés pour travailler avec nous. Mais des petites distilleries comme Meyer en Alsace vont aussi se raccrocher au wagon.
Quelles ont été leurs motivations pour vous rejoindre ?
Il faut bien comprendre qu’il est très compliqué de bâtir un réseau auprès des cavistes indépendants, qui sont plus de 4000 en France. Il faut les démarcher un à un, c’est un travail énorme.
Or grâce à Griottines notamment, nous disposions déjà de ce réseau. Et notre volonté dès le départ a été d’accompagner des marques qui n’ont pas forcément les moyens logistiques et financiers d’accéder à la vente auprès des cavistes.
Et donc Premium Craft Spirits a été réellement lancé il y a tout juste un an ?
Nous avons créé notre premier catalogue qui rassemblait les marques que nous distribuions (pratiquement 60 maisons) et nous l’avons lancé le 16 novembre 2021. Ça a été une grosse surprise pour tout le segment.
A partir de janvier 2022 nous avons commencé à distribuer ces marques de spiritueux. Pour animer ce catalogue imposant, nous avons créé un mensuel, The Crafter, où on parle des marques que nous distribuons aux cavistes. Cela permet d’animer le catalogue toute l’année auprès d’eux.
Parallèlement nous avons mis en place une équipe de 8 personnes avec un directeur national des ventes. Pendant ce temps, de nombreuses marques nous ont contacté pour nous rejoindre. Nous avons eu une centaine de demandes, mais nous n’en avons conservé que 20.
Vous refusez donc des marques, comment s’opère la sélection ?
Nous souhaitons représenter des distillateurs qui ont une histoire et qui proposent des produits de qualité. D’ailleurs nous les dégustons tous. Or beaucoup de marques sont venues nous voir alors qu’elles n’avaient rien à voir avec la distillation, l’assemblage…
Donc vous n’acceptez pas d’embouteilleurs indépendants par exemple ?
Nous ne sommes pas fermés. Mais il faut qu’on ait accès à la racine du produit, donc ces marques doivent être capables de nous expliquer où et comment leur produit est distillé, assemblé, vieilli…
Que trouve-t-on dans le nouveau catalogue (qui pour info fait tout de même 400 pages !) ?
Nous avons la chance à la Distillerie Peureux d’être présents dans le monde entier, j’ai donc voulu l’ouvrir à l’international. Par exemple, nous avons accueilli la distillerie Hartshon, qui produit notamment une vodka australienne (Sheep Whey) qui est réalisée à partir de petit lait de brebis.
Plus près de nous, nous avons accueilli la distillerie de Monaco. Il s’agit d’un Irlandais qui a eu l’idée de faire du gin et de la liqueur grâce aux oranges que produisent les 600 orangers de la principauté.
Auparavant elles allaient à la déchèterie. Il a envoyé une lettre à sa majesté Albert II qui lui a donné l’autorisation. Il distille aussi le caroubier, qui est l’arbre emblématique de Monaco.
Et concernant le rhum ?
Nous distribuons, Depaz, Saint James, Bailly, Dillon, Héritiers Madkaud, Père Labat, Rivière du Mât, Offrian, Rum, Rum Runner, El Drake, Gran Chaco Ron, ou encore Kraken ou After Rum.
Parmi les nouveaux venus, il y a Marlin Spike, ou la Distillerie de Montréal. Concernant cette dernière, ça n’allait pas de soi. Le propriétaire est venu en France pour trouver un distributeur et il a rencontré plusieurs acteurs, dont Premium Craft Spirits. Il nous a présenté un rhum arrangé ananas, mais je n’étais pas intéressé.
Il est reparti vexé, mais il est revenu avec un rhum blanc, qui était intéressant. Il m’a demandé si nous voulions travailler avec lui, mais j’ai d’abord voulu venir le voir pour visiter ses installations. Depuis il y a un relationnel très fort entre nous.
Est-ce que vous allez visiter les installations de vos marques partenaires à chaque fois ?
Lorsqu’il y a de nouveaux entrants je m’efforce d’aller sur place même si ce n’est pas toujours possible. La dégustation aussi est importante et si un produit est bon et qu’il y a une histoire derrière, cela peut nous convaincre.
Quelle place tient le rhum dans Premium Craft Spirits (je remarque qu’il arrive en première position dans le catalogue) ?
Quand on a en portefeuille des marques comme Père Labat, Saint James, Depaz… le rhum ne peut être qu’au cœur de notre structure. L’autre pôle principal du catalogue, ce sont les liqueurs et c’est assez inattendu.
La vague de la mixologie et des cocktails a vraisemblablement atteint les cavistes, car des clients viennent chez eux acheter des liqueurs pour faire des cocktails à la maison.
Est-ce que vous envisagez de distiller du rhum aux Grandes Distilleries Peureux ?
Pour l’instant, notre démarche est d’aller à la source, donc ce n’est pas au programme. Par contre, Peureux travaille à l’élaboration d’un whisky français. Il sera particulier et n’aura pas d’équivalent, il apportera vraiment quelque chose de nouveau. C’est un projet que je maîtrise mieux car les céréales ont été récoltées en Franche-Comté. Dans le rhum ce ne serait pas possible. Mais il ne faut jamais dire jamais.
Et devenir embouteilleur indépendant, c’est envisageable ?
C’est possible mais uniquement si on découvre une distillerie qui n’a pas la capacité à embouteiller. Nous agirions alors comme un laboratoire de développement.
Un dernier mot pour la route ?
Après 10 mois d’existence, on peut dire que Premium Craft Spirits est un beau bébé avec 75 maisons, 949 références, 90 marques. Mais c’est aussi un label apposé sur les bouteilles qui se retrouvent chez les cavistes. Il signale au grand public que le produit est de qualité et qu’il a une histoire.