[Dossier] L’éveil du rhum au Japon

Par Fabien Humbert, avec Javier Herrera, Jean-Jacques Bacci, le 1802, Jerry Gitany
et Tom Chegaray (illustration).

Les rhums japonais sont peu connus en France. Il existe pourtant plus de 20 distilleries en produisant au pays du soleil levant : pur jus de canne, mélasse, miel de canne, assemblage des uns et des autres… souvent tirés d’alambics hybrides. Cela donne des spiritueux intéressants, agréables, bousculant les habitudes. À découvrir en tout cas!

Le Japon est une terre d’esthètes et de gastronomes qui ont su développer leurs propres boissons alcoolisées. Notamment le saké, une boisson fermentée à base de riz qui titre en moyenne à 17 %, le shōchū, un spiritueux distillé à partir de diverses matières premières (riz, patate douce, sarrasin…), ou l’awamori (distillat de riz)…

Mais qui se sont aussi emparés avec succès de boissons alcoolisées mondialisées, comme en témoigne la hype entourant le whisky japonais. Ce qui est moins connu, c’est que le Japon est aussi une terre à rhum, et ce depuis plus d’un siècle. Même si cela est sujet à controverse.

Ainsi pour Atsushi Nakayama, le créateur du Bar Lamp in Tokyo et de Japan Rum Society, « le premier rhum en tant que tel a été produit au Japon dans les années 1960 pour les soldats américains dans la région d’Okinawa occupée par les États-Unis. La production à grande échelle a débuté dans les années 2000. » Il s’agissait de la distillerie Helios Shuzo, qui est toujours en activité.

Mais pour Sayumi Oyama, Japanese Business Developper chez Whisky du monde, « l’archipel est connu pour sa culture de la canne à sucre, appelée “uuji” qui est apparue avec les premiers colons au XIXe siècle. Le manque d’eau dans cette région semi-tropicale rend plus difficile la culture du riz, les habitants se sont donc tournés vers la plantation de cannes à sucre locales. »

Des distillats de jus de canne, de sucre ou de mélasse ont dû préexister. Ce que confirme Taisei Aoki pour les rhums Boso. « Lorsque les îles Ogasawara (archipel situé à 900 km au sud de l’île principale NDLR) sont devenues un territoire japonais en 1876, la production de canne à sucre et la fabrication de sucre ont commencé, et le premier rhum a été fabriqué au Japon à partir de la mélasse produite dans le cadre de ce processus. »

L’entretien des champs de canne chez Arcabuz, sur l’île de Tanega Shima dans le sud du Japon.

DE PLUS EN PLUS DE DISTILLERIES, UN MARCHÉ RESTREINT

Ce qui est sûr, c’est que de nos jours la production de rhum se développe au Japon. Grâce à Atsushi Nakayama, Rumporter a pu répertorier au moins 20 distilleries produisant du rhum à partir de différentes matières premières issues de la canne à sucre : jus de canne, mélasse, sirop de canne ou sucre de canne. Certaines se consacrent intégralement à la production de rhum, d’autres élaborent d’autres produits comme le saké, le sucre, l’awamori, le vinaigre de canne…

Les distilleries de rhum japonais se trouvent plutôt dans la partie sud de l’île principale de l’archipel, Honshu (et même aux portes de Tokyo avec Aracabuz). Et jusqu’aux confins du pays puisque l’archipel d’Okinawa, situé à 1554 km à vol d’oiseau au sud-ouest de Tokyo regroupe une forte concentration de distilleries et de marques : Koyomi, Teeda (Helios), Cor Cor (distillerie Grace), Ogasawara, Santa Maria (IE Distillerie Okinawa), Taragawa et Nine Leaves (qui a fermé ses portes).

Et la tendance est à l’expansion du phénomène. «Plusieurs distilleries sont actuellement en train d’être mises en place, signe que les Japonais s’intéressent de près au succès de ce spiritueux sur la scène mondiale, révèle Youlin Ly, fin connaisseur du Japon et Saké Samouraï, cependant le rhum reste assez peu connu et consommé dans le pays.»

Les Japonais consomment en effet surtout de la bière, des prémix, du whisky, un peu de saké (moins de 10 % du marché)… et donc très peu de rhum pour l’instant. D’ailleurs plusieurs distilleries que nous avons contactées disent viser prioritairement un marché export.

Champs de canne chez distillerie Boso

UN ADN À DÉFINIR

Il est difficile de résumer en quelques lignes la production de deux dizaines de distilleries, surtout que nous n’avons pas pu déguster tout l’éventail de leurs gammes, et qu’on y trouve des rhums issus de différentes variétés de cannes, terroirs et même matières premières (jus de canne, mélasse, sirop de canne). Mais on y retrouve souvent des arômes assez peu communs dans les Caraïbes, telles des fragrances de litchi, de melon, de riz, de champignons…

Mais le mieux, c’est toujours de laisser la parole à ceux qui savent, c’est-à-dire celles et ceux qui produisent ou distribuent le rhum japonais, et à celles et ceux qui ont eu la chance de se rendre sur place.


Interviews

Le rhum au Japon vu par Atsushi Nakayama, le créateur du Bar Lamp – Tokyo

Ryoma vu par Séverine Vernier – Chef de groupe marketing pôle Asie chez Whiskies du Monde

Taragawa vu par Sayumi Oyama – Japanese Business Developper chez Whiskies du monde

Arcabuz par son créateur, Atsuhiro Kato

Boso par son créateur, Taisei Aoki


Focus

Santa Maria, les rhums pur jus Iejima

Nine Leaves, vie et mort d’une légende japonaise