C’est une légende du rhum qui tire sa révérence. Après plus de 30 de bons et loyaux services, Robert Peronet a quitté les rhums Clément et pris sa retraite. L’ancien maître de chai a accepté de revenir sur sa carrière, l’identité des rhums qu’il a contribué à forger. A 51 ans, Julien Thimon qui a passé 19 ans à travailler aux côtés du maître, s’apprête à prendre la suite. Le nouveau maître de chai nous explique comment il prépare l’avenir du joyau du groupe GBH.
Robert Peronet, ex-maître de chai chez Clément, à la retraite depuis le 29 avril 2022.
Fabien Humbert : Comment avez-vous commencé votre carrière chez Clément ?
Robert Peronet : J’ai fait des études de comptabilité, puis j’ai été aide-chimiste à l’usine du Lareinty, avant de rejoindre le Centre Technique de la Canne et du Sucre. Au CTCS, je passais dans les distilleries pour effectuer des prélèvements et faire des contrôles de qualité. Et je suis entré chez Clément en Juillet 1990.
FH : Et vous n’en êtes plus jamais ressorti !
RP : Oui, j’y ai travaillé plus de 30 ans. Au départ j’étais responsable magasinier/préparateur.
FH : Et comment êtes-vous devenu maître de chai ?
RP : Ça s’est fait petit à petit en fait. J’ai été formé. D’abord à la dégustation en Martinique, puis à la distillation et au vieillissement à Cognac.
FH : Qu’avez-vous appris à Cognac ?
RP : Nous n’avons pas la même eau-de-vie, mais la méthode de vieillissement reste la même. Nous avons surtout appris à gérer les différents types de fûts, les différentes chauffes… Après, eux travaillent essentiellement avec des fûts de chêne français alors que le profil aromatique de nos rhums est davantage basé sur des fûts de chêne américain, souvent ayant contenu du bourbon.
Aujourd’hui, nos chais sont remplis à peu près à 50% d’ex-fûts de bourbon et de fûts neufs en chêne américain. Cela nous permet de jouer sur les arômes et de trouver l’équilibre de nos rhums.
FH : Vous avez défini la personnalité des rhums vieux Clément depuis plusieurs décennies, comment la décrivez-vous ?
RP : Ils présentent des arômes puissants, mais en même temps nous travaillons pour qu’ils ne soient jamais agressifs. Nous proposons des rhums assez doux, ronds, de façon à ce qu’ils soient faciles à boire. Je suis aussi très attaché à l’équilibre du produit. C’est ça le profil Clément.
FH : Depuis vos débuts, les rhums vieux martiniquais sont devenus des rhums premiums, voire de luxe, comment voyez-vous cette évolution ?
RP : C’est vrai que l’AOC a été l’élément déclencheur pour améliorer la qualité de nos rhums, améliorer nos techniques de préparation, revoir nos recettes… De façon à ce que nos produits soient de grande qualité, et que cette qualité perdure dans le temps. Ce qui nous intéressait c’était qu’on retrouve le nez, la typicité Clément, dans un VO ou un VSOP dégusté il y a 5 ans, dégusté aujourd’hui, et dégusté dans 5 ans.
Après, compte tenu du développement du rhum partout dans le monde, nous avons compris que nous ne pourrions pas nous battre sur les prix, car les coûts de revient sont plus bas ailleurs, mais qu’il fallait nous situer sur le haut de gamme. Donc il nous a fallu nous démarquer de la concurrence grâce à l’AOC, grâce à la qualité de nos rhums.
FH : Vous parliez des cuvées dont il faut reproduire le goût année après année, mais le marché demande de plus en plus de cuvées uniques ou différentes les unes des autres, d’une année sur l’autre, non ?
RP : En effet. Pour les single cask par exemple, il faut savoir où on va dès le départ, se fixer un objectif. On ne peut pas utiliser un fût neuf pour un rhum qui va vieillir longtemps, car le climat fait que le rhum est rapidement marqué. Dans ce cas, il vaut mieux utiliser des fûts roux, qui ont déjà plus de 6 ans de travail.
FH : Il y a des milliers de fûts dans les chais de Clément, est-ce que vous les dégustez tous ?
RP : On les déguste par lots au moment du ouillage, que nous effectuons tous les ans. On sort tous les fûts d’un lot qu’on assemble dans une grande cuve, on effectue un brassage et on prélève un échantillon que nous allons déguster.
Ça nous permet dans un premier temps de vérifier l’évolution du produit, et dans un second temps de voir si on le laisse dans des fûts qui le marquent, ou au contraire si nous l’acheminons vers des fûts plus âgés. Si un rhum a déjà beaucoup d’arômes, de tanins, il va terminer son vieillissement dans un fût usagé.
FH : Vous avez pris votre retraite le 29 avril, est-ce que vous allez continuer à donner des coups de main ?
RP : Je suis toujours à l’écoute de mes collègues, et si on me sollicite pour déguster je serai content, mais je laisse la main à Julien Thimon.
FH : Est-ce que vous allez partir avec des fûts pour continuer à assembler des rhums pendant votre retraite ?
RP : Rires. Non, je ne suis pas organisé chez moi pour faire ça. Je n’ai même pas de place pour collectionner des bouteilles ! Je vais redevenir un simple amateur de rhum.
FH : Justement dans toute la gamme Clément, quelles sont vos références préférées ?
RP : Difficile à dire car il y a quand même beaucoup de cuvées différentes. Mais quand même, j’ai une préférence pour le 10 ans ou le millésime 1976. J’aime bien un rhum blanc de temps en temps en appéritif, et un petit vieux en digestif.
En dehors de Martinique, je trouve en tant que dégustateur qu’il y a beaucoup de produits qu’on appelle rhum mais qui sont trop liquoreux. Je les classerai d’ailleurs plus dans les liqueurs.
FH : Le mot de la fin ?
RP : Rien de spécial, si ce n’est que ma carrière s’est plutôt bien déroulée et que j’ai eu la chance d’être entouré d’une équipe de passionnés, dont Julien qui m’a succédé comme maître de chai.
Julien Thimon, nouveau maître de chai de Clément.
Fabien Humbert : Comment avez-vous fait vos premiers pas dans le monde du rhum ?
Julien Thimon : J’ai travaillé dans la publicité, la décoration d’intérieur, puis j’ai fait l’armée. Je n’y suis pas resté longtemps mais j’ai quand même fait 24 ans de réserve militaire au 35e RIVA. J’ai aussi travaillé dans la menuiserie familiale avec mon frère aîné. Mais j’avais envie d’essayer autre chose, alors en novembre 2002 j’ai effectué une mission d’intérim chez Clément qui devait durer 2 mois… Vous connaissez la suite.
FH : Qu’est-ce qui vous a attiré dans le travail au chai ?
JT : A l’époque les postes étaient très polyvalents. On passait du chai, à la mise en bouteille, ou on touchait un peu à tout, mais très vite ma passion a été le travail en chai. Clément venait de construire un nouveau chai dans le nord et j’ai tout de suite été au contact des barriques. J’ai trouvé ces lieux un peu sombres, remplis de vieilles barriques, magnifiques, peut-être est-ce le bois qui m’a interpellé ?
FH : Quelle formation avez-vous suivie ?
JT : Ce qui est sympa chez Clément, c’est qu’on reçoit toute l’année des touristes qui posent beaucoup de questions et moi je n’aime pas ne pas avoir de réponses. Donc je me suis renseigné de mon côté. La partie dégustation m’est venue en travaillant au chai tout simplement.
J’étais tout le temps en contact avec les fûts, j’effectuais des prélèvement que j’apportais ensuite au Labo et à monsieur Peronet. On a commencé à échanger et à déguster ensemble. Souvent les commerciaux de barriques nous disent que telle nouvelle barrique avec telle chauffe, nous donnera tel type de rhum.
Mais tant que c’est pas rempli de rhum et que je n’ai pas dégusté pour voir l’évolution… On ne maîtrise jamais complètement le vieillissement, c’est un peu de l’alchimie. Tout passe par la dégustation et le suivi des lots.
Et puis en 2008 j’ai passé la formation de dégustateur au syndicat de l’AOC Martinique. Ça m’a permis de maîtriser les critères de l’AOC de reconnaître les défauts.
FH : Comment avez-vous pris la suite de Robert Peronet ?
JT : Je suis devenu ouvrier de chai, et je dégustais de plus en plus avec monsieur Peronet. Il me rassurais en me disant que je me débrouillais bien, ça me faisait plaisir parce que ça venait du maître !
On était assez complémentaires parce que moi j’ai passé 19 ans dans les chais au contact de barriques que je connaissais par cœur, alors que lui avait aussi des compétences acquises lors de son passage au CTCS.
Mais je ne me projetais pas en tant que maître de chai, je travaillais avant tout par passion. C’est la direction qui m’a proposé de prendre la succession de monsieur Peronet. J’avoue que ça m’a surpris !
FH : Qu’est-ce que vous voulez apporter aux rhums Clément, en tant que nouveau maître de chai ?
JT : J’ai plusieurs objectifs. Premièrement, délivrer des produits qui respectent l’AOC Martinique. Ensuite, tous les produits qui sont aujourd’hui sur le marché portent la signature de Robert Peronet. Donc le second objectif sera de perpétuer ce qui a été mis en place, voire de l’améliorer dans la mesure du possible. Et après ça va être de sortir de nouveaux produits de niche, des produits atypiques qui correspondent aux nouvelles tendances.
FH : Pouvez-vous nous en dire plus sur les nouveautés que vous préparez ?
JT : Je m’intéresse à plein de choses aux bruts de fût, aux bruts de colonne, aux rhums blancs premiums, aux millésimes… Ensuite il faudra voir ce qui est faisable ou pas.
FH : Comment allez-vous procéder ?
JT : Je vais commencer par essayer de mieux comprendre la distillation pour travailler à améliorer encore la qualité de nos rhums avec nos distillateurs. Parce que c’est la base. Le rhum est un des seuls spiritueux qui se boit aussi bien vieux que jeune. Il ne faut donc pas négliger le rhum blanc, qui se boit en tipunch ou pur. Nous allons aussi mettre en place un service de R&D pour tester de nouvelles choses.
FH : Est-ce que vous allez faire évoluer la trame des vieux rhums Clément ?
JT : Dans l’ensemble, nos rhums sont assez fruités, doux, pas agressifs. Maintenant le but c’est certes de garder ce qu’on fait bien, mais aussi d’innover. Par exemple, est-ce que tous les rhums de 10 ans ou de 15 ans doivent avoir tout le temps le même profil, ou est-ce que celui-ci peut évoluer à chaque batch ? Ils peuvent être à chaque fois différents, ou à chaque fois meilleurs.
FH : Ça va être une révolution chez Clément !
JT : Les gros volumes de rhums vieux, que sont le VO et le VSOP, ne vont pas forcément beaucoup évoluer. Ils ont leur personnalité et sont bien faits. Les nouveautés vont plutôt se concentrer sur les petits volumes. C’est un enjeu d’image. D’ailleurs je suis en contact avec la Confrérie du rhum et je leur ai fait goûter des choses atypiques. Ils ont sorti une première cuvée qui était une innovation pour Clément, un brut de fût à 60.9% âgé de 45 mois dans un fût très toasté. Et ils vont en lancer une deuxième cette année, qui est aussi une nouveauté pour Clément.
FH : Quel amateur de rhum êtes-vous ?
JT : Chez Clément, aujourd’hui mon rhum vieux préféré c’est le 10 ans. Après j’aime bien mon rhum blanc, soit en tipunch, soit nature. En fait quand on a l’habitude de déguster on se rend compte que les arômes du citron vert et du sucre y sont déjà. Sinon j’aime bien déguster les rhums atypiques de la Guadeloupe, histoire de voir ce qui se fait ailleurs. Ça permet d’éveiller les papilles !