La nouvelle vie du Rockley de West Indies Rum Distillery

Pour mieux cerner les problématiques liées à la restauration des vieux appareils à distiller, nous avons fait appel à Alexandre Gabriel (Plantation) qui a fait restaurer un Rockley barbadien.

Rockley West Indies Rum Distillery
L’équipe de Plantation et celle de Rumporter autour de la trompe d’éléphant du Rockley

Quel est votre degré de passion pour les alambics

Élevé ! Je les collectionne depuis une quinzaine d’années, un peu comme quand on récupère une voiture dans une grange et qu’on la retape. Moi je fais ça avec les alambics.

Pourquoi les alambics et pas les voitures justement ?

Je suis un peu nostalgique du 19° siècle en matière de distillation, car les savoirs et leurs applications, surtout dans la seconde moitié du siècle, étaient incroyables. On était alors plus soucieux de goût, que de rendements. Beaucoup de ces savoirs sont désormais en sommeil. C’est pourquoi j’ai créé une fondation pour sauvegarder le patrimoine immatériel du cognac et du rhum. Et ça me passionne de retrouver les outils de ces époques-là.

Rockley West Indies Rum Distillery

Ce n’est pas un peu passéiste ?

Oui et non, ça a aussi des applications très actuelles. Par exemple, en ce moment, on écrit un livre avec Matt Pietrek sur l’histoire et les techniques du navy rum. On a essayé de définir ce qu’était réellement un navy rum.

Ici, l’alambic nous donne des clés, de par ses formes, ses caractéristiques. Et chez Plantation, nous avons recréé un navy rum, c’est-à-dire tel qu’il était vraiment à l’époque.

West Indies Rum Distillery (WIRD) à la Barbade possède de très vieux alambics, dites-nous en plus.

Venant du cognac, ce n’est pas par hasard si j’ai totalement flashé WIRD, car en effet, elle abrite des alambics mythiques. Avec Demerara Distillers, WIRD est peut-être la distillerie qui a conservé le plus de documentation et de matériel historique.

On a un Vulcain qu’on a rénové en 2018. Il date de la première partie du 19e et il fonctionne grâce à une technologie mise en place par les distillateurs de Rye Whiskey de la côte est des États-Unis.

On a aussi le Old Gregg, qui nous vient d’une ancienne plantation, la Gregg Farm. C’est un alambic qui date de 1850 et qui a toujours été en fonctionnement. On le confond souvent avec le Rockley. Il ne fait que 30 hectos de charge, c’est donc un petit alambic, minuscule même selon les critères d’aujourd’hui. Le cou est en double épaisseur, tu peux faire passer de l’eau froide pour créer du reflux, révolutionnaire pour l’époque.

On retrouve du Old Gregg dans toutes les expressions Plantation. On lui a adjoint le Old Pot, un alambic nouveau, mais qu’on a fabriqué avec du vieux cuivre que j’avais dans ma collection, selon des plans retrouvés dans les archives. Il faut savoir que chez WIRD, ils ont conservé une foule de plans d’architecte, les Blue Prints. C’est à partir d’eux que je dessine les parties manquantes lorsque je veux relancer un vieil alambic.

Rockley West Indies Rum Distillery

Justement, vous avez fait réparer un alambic Rockley, comment cela s’est-il passé ?

On avait en effet ce vieil alambic qui ne fonctionnait plus. Au départ je pensais que c’était un alambic Shears and Sons, qui était un chaudronnier de génie du début du 19e. Mais il produisait des machines hyper complexes avec des lentilles de rectification et ça ne collait pas avec notre modèle.

Mais la porte était signée Shears, or on signe en général un alambic par sa porte. Cependant les rivets me semblaient un peu rustres… bref on avait des doutes. Or l’historien David Wondrich a découvert à la bibliothèque nationale de Londres un catalogue qui montrait que Shears vendait des portes d’alambics.

Avant, comme on le fait encore à Cognac, on devait arrêter l’alambic et déboulonner la tête pour pouvoir descendre dedans afin de le nettoyer. Shears a eu l’idée de mettre des portes et de les vendre.

Rockley West Indies Rum Distillery

Donc c’est bien un Rockley ?

Oui, la porte est signée Shears et date du début du 19e, alors que l’alambic est un farm still c’est-à-dire une machine fabriquée sur place à la Barbade. D’ailleurs on voit bien que le dôme a été moulé dans le sable !

Eh bien ce Rockley va refaire du rhum ! On attend un peu comme le messie les premières gouttes qui vont couler cet ancêtre. On pense que le rhum sera entier, très charnu, vu la trompe d’éléphant qui va canaliser énormément avec peu de reflux. Il y aura des esters, mais aussi de la finesse. Mais parfois on a des surprises…

Comment s’est passée la restauration proprement dite ?

Nous avons fait charger l’alambic dans une caisse, qui a été convoyée par bateau à Cognac, où il existe encore des chaudronniers, qui sont capables de réparer de vieux alambics. Ici, il y a encore un savoir-faire en matière de vieillissement, de distillation et de réparation, mais c’est aussi le cas en Espagne, et en Italie. Cependant, ils ont souvent besoin d’être guidés par des historiens, et là David Wondrich m’aide beaucoup parce qu’il va retrouver des dessins, des archives.

Rockley West Indies Rum Distillery
Alexandre Gabriel et Matt Pietrek en plein travail sur le Navy Rum

Ce n’était pas possible de le faire réparer sur place ?

Il y a des soudeurs, de bons artisans, mais pas de chaudronniers à la Barbade. Pour ce genre de travail, on a besoin de quelqu’un dont c’est le métier, qui fasse ça toute la journée. Le marteau de Gaylord chante, et lui il l’écoute lorsqu’il frappe le cuivre. Il sait ce qu’il fait.

Combien coûte ce type de restauration ?

Ça peut coûter entre 50 000 euros si c’est une petite restauration, jusqu’à 200 000 euros. Par exemple, juste pour réparer la trompe d’éléphant du Rockley, Gaylord a passé 170 heures. Ça se paie. Ensuite il faut le tester, etc. Et vu sa capacité réduite, le rhum sera aussi plus cher à produire.

Rockley West Indies Rum Distillery

Et après le Rockley, quel sera le prochain projet de restauration ?

On a toujours un Batson dans la cour de la distillerie. Charles Batson était un distillateur de la fin 19e à l’époque ou Stades redessinait le rhum barbadien en en faisant un assemblage de colonne et de pot still. Batson rachetait les vieux alambics des plantations qui avaient arrêté de distiller.

Son fils a vendu sa distillerie à Georges Stades et il nous reste un de ses alambics. Il fait 30 hectos lui aussi, et il était réputé avoir un sacré tempérament. On aimerait bien le restaurer un jour.

Et côté colonnes de distillation ?

Venant de Cognac où l’alambic est roi, au départ j’étais un snob anti colonnes. Je trouvais presque ça vulgaire, car ça coûtait 6 fois moins cher à l’acte de distiller. Puis j’ai goûté, on m’a expliqué… et j’ai compris. Moins tu as de savoir, plus tu as de préjugés.

Chez WIRD, il y a une colonne Blair de 1943 toute en cuivre. Elle s’est tue en 1991. Notre prochain projet, si nous avons les fonds, ce serait de la restaurer. Il y avait aussi une Blair à Long Pond (en Jamaïque, dont WIRD est actionnaire, NDLR) qui fonctionnait encore il y a une dizaine d’années, mais elle a explosé. On a d’ailleurs fait une édition de Plantation Long Pond dans le Single Cask avec ses dernières gouttes.

Rockley West Indies Rum Distillery

Et en activité, de quel type de colonne disposez-vous chez WIRD ?

On a une John Dore de 1970 complètement manuelle qui était à l’époque le nec le plus ultra, un peu comme une Maserati de Citroën. Récemment on a changé la colonne principale de la Webster qui datait de 1891, mais qui était moins intéressante.

On y a mis une colonne sous vide qui permet de faire du distillat pour Plantation. Et nous avons une prach ? de 1990, qui est une petite colonne à lie. Et puis on a toujours le brevet de la colonne Stades, donc peut-être qu’un jour on en fera construire une ? Il paraît d’ailleurs qu’à Cuba, existe une Stades qui distille toujours.

Alexandre Gabriel nous montre les plans qu’il a réalisé en vue de la restauration du Rockley

Et au niveau des rhums, à quoi sert le fait d’avoir ces différents types de colonnes et d’alambics ?

Cela nous permet d’avoir des rhums avec des couleurs très marquées, soit pour faire des éditions en Single barrel, particulières, déséquilibrées, mais passionnantes. Pour des gens avertis. Et aussi pour faire de beaux assemblages.

Mon grand-père disait que quelqu’un qui très bon dans ce qu’il fait ça a l’air difficile. Quelqu’un qui est génial, ça a l’air facile. C’est par exemple notre 20e anniversaire. Le néophyte trouvera ça très bon, sans vraiment comprendre, l’amateur averti sera capable de percevoir tout le travail qu’il y a derrière, avec les 20 types de bois. Un peu comme la musique de Mozart, qui est accessible et incroyable à la fois. Mais attention, je ne me compare pas à lui !