Le rhum ne peut pas être ramené à une série de chiffres, aussi pour mieux saisir les tendances et ses évolutions ces dernières années, nous avons décidé de donner la parole à trois des cavistes les plus réputés de la place de Paris : Christian de Montaguère, CdM, (sa boutique a 15 ans), Freddy Lucina, FL, (A’Rhûm a 11 ans), et Alexandre Beudet, AB, (Le site internet Excellence Rhum a 9 ans et la boutique, 5). Interview croisée.
Qu’y avait-il dans votre boutique à son ouverture ?
Christian de Montaguère, CdM : La boutique a ouvert ses portes en septembre 2008 donc on fêtera ses 15 ans l’année prochaine en 2023. Le nombre de références est passé de quelques centaines, à plus de 1500 ! Je ne peux pas repousser les murs, ce que j’aurais bien voulu, mais désormais il y a des rhums du sol au plafond.
Freddy Lucina, FL : La boutique a ouvert le 20 juillet 2011, et a déménagé de quelques dizaines de mètres il y a 5 ans. Mon premier local est devenu une boutique à gin, mezcal et pisco. Il y a 11 ans, il y avait 280 références, et aujourd’hui 1500, en provenance de 55 pays. C’est un peu une bibliothèque du rhum afin de le démocratiser et de montrer tout ce qu’il est possible de faire dans ce monde.
Alexandre Beudet, AB : Le site internet a été lancé il y a 9 ans, et la boutique il y a 5 ans. Au départ, il y avait 400 références (5000 aujourd’hui sur internet), avec une majorité de rhums des Antilles françaises ou anglaises. Je me souviens qu’on avait du mal à vendre du Velier Caroni ou des Long Pond, ça a bien changé. On vendait quelques dizaines d’euros des bouteilles qui aujourd’hui valent plusieurs milliers et sont introuvables.
Quelle est la place des rhums du monde dans votre boutique ?
CdM : L’essentiel de l’offre en boutique provient toujours de la grande Caraïbe, c’est-à-dire, les îles et les pays du continent, donnant sur la mer des Caraïbes. Cependant, dès l’ouverture de la boutique il y a 15 ans, si l’offre en rhums de mélasse était restreinte, elle existait. C’est le distributeur Dugas, qui le premier les a poussés sur le devant de la scène avec des produits qualitatifs et a ainsi contribué à leur développement en France.
A l’inverse de ce que peuvent dire certains, je considère que le succès des rhums latino-américains de mélasse est une bonne chose. Je préfère qu’un consommateur achète et apprécie un tel rhum, qu’une vodka ou un whisky, même si ces produits ont tout à fait leur place auprès des consommateurs, eux aussi.
FL : A l’ouverture de la boutique, ce qui tournait énormément c’étaient des grands classiques, comme Diplomático (Don Papa n’existait pas encore). Donc, plus que les rhums des Antilles, c’étaient les rhums de style espagnol un peu sucrés qui se vendaient, surtout pour leur côté éducatif.
Ils permettaient d’attirer des personnes dans le monde du rhum. Depuis ces 3 ou 4 dernières années, on voit les pays producteurs se diversifier. Dernièrement il y a eu les rhums du Cap Vert, hier j’ai goûté le rhums de Hawaï…Et ça va continuer, notamment grâce à des embouteilleurs indépendants comme la Maison du Rhum.
Est-ce que le goût de vos clients évolue forcément du goût sucré à des rhums plus secs ?
AB : Ce n’est pas une légende urbaine, la plupart des clients qui démarrent dans l’univers des spiritueux avec le rhum le font avec les rhums sucrés, puis évoluent vers des choses plus sèches. On voit aussi beaucoup de gens qui viennent d’autres spiritueux, comme le cognac, l’armagnac, le whisky, sauter l’étape des rhums sucrés.
Quant à la mode des hauts degrés, elle est en train de s’essouffler. On redécouvre des rhums réduits, mais dotés d’une certaine finesse. Les rhums à haut degré proposent une explosion en bouche, mais l’alcool peut aussi cacher certains arômes.
CdM : C’est vrai pour un grand pourcentage même s’il ne faut pas généraliser. Un certain nombre de mes clients sont aujourd’hui amateurs de brut de fût ou de single casks alors qu’au début ils achetaient entre autres des rhums du style Diplomático, Zacapa ou Don Papa par exemple. Il faut de tout pour faire un monde. A noter, le profil Jamaïcain connaît un succès grandissant depuis 3 ou 4 ans. Les marques disponibles se sont multipliées et les clients aussi.
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FL : Tout au long de ces années j’ai vraiment vu ce schéma se répéter, avec des gens qui commençaient avec des rhums de style espagnol un peu sucré, puis ils allaient vers les rhums de style espagnol un peu moins ronds comme Santa Teresa, le style anglais, un peu moins sucré mais pas trop sec encore, comme Mount Gay, Doorly’s.
Ensuite ils débouchent sur des rhums de style Français (HSE, Trois Rivières, Reimonenq…), puis ils vont revenir vers un style anglais un peu plus particulier comme Worthy Park, Caroni (avec des arômes de caramel, bitume, goudron).
Et enfin ils arrivent sur des produits extrêmement forts en degré d’alcool et ils ont du mal à redescendre. Tout mon travail, c’est de faire redescendre les palais des 70% d’alcool, et de leur faire redécouvrir des rhums à des degrés moins élevés. Il faut les rééduquer en leur donnant les mêmes arômes.
La premiumisation est-elle LA grande tendance de ces 10 dernières années ?
CdM : C’est une tendance assez nette. Si on parle des marques des Antilles françaises, toutes ont fait des efforts pour se moderniser, et proposer des produits en constante amélioration qualitative et de mieux en mieux présentés. Cela vaut aussi pour les autres rhums du monde, même si ces efforts sont plus hétérogènes.
Christian de Montaguère :
20 Rue de l’Abbé Grégoire, 75006 Paris
A’Rhûm :
203 Rue Saint-Martin, 75003 Paris,
Excellence Rhum
16 Rue Dauphine, 75006 Paris,