Abel Alexis Louis : “À cette époque, tous les Martiniquais consomment du rhum, aussi bien les élites que les classes populaires. Mais là encore, il ne s’agit pas du même.”

L’auteur du livre “Le goût de l’ivresse en Martinique, le vin des élites, l’élite des vins 1880-1910” fait le point sur la consommation de vin, de champagne et de rhum avant et après l’éruption de la montagne Pelée.

Pourquoi s’être intéressé à la période 1880-1910 dans votre livre ?

C’est une période qui n’est pas très étudiée dans l’histoire de la Martinique. Et dans mon précédent ouvrage, je traitais de la séquence 1852 et 1900, je voulais donc continuer de travailler sur la fin du 19e et le début du 20e.

Qu’entendez-vous par “vins des élites” et “élites des vins” ?

Il faut faire la différence entre le vin du quotidien, ordinaire, qu’on consomme régulièrement. Il était de qualité médiocre, souvent mentionné sans indications de provenance, même si on sait que, pour certains d’entre eux, ils venaient de Bordeaux et du Sud-Ouest.

Et les grands vins ?

Ce sont souvent des vins de Bordeaux parce qu’historiquement (depuis le 18e siècle) il y avait une forte connexion entre les négociants bordelais et ceux de Fort-de-France et de Saint-Pierre. On retrouve par exemple du château Latour, du château Margaux, du château Lafite, du château Yquem dans les inventaires après-décès des représentants de la haute société martiniquaise, et dans les boutiques des négociants. De même, les grandes marques de champagnes sont présentes, comme Mercier, Mumm, Roederer (avec la mention Cristal)…

Qui sont ces élites à l’époque ?

Surtout des blancs créoles, qu’on commence à appeler des békés. Des individus qui travaillent dans l’import-export, souvent grands propriétaires terriens, qui possèdent des sucreries et sont parfois actionnaires des usines centrales. Mais on trouve aussi des notables comme des notaires, des élus de la République…

Qu’en est-il du rhum ?

À cette époque, tous les Martiniquais consomment du rhum, aussi bien les élites que les classes populaires. Mais là encore, il ne s’agit pas du même. Les classes populaires consomment plutôt du tafia, qui est produit à partir de la mélasse, et les élites boivent du rhum issu de la canne à sucre qu’on qualifierait aujourd’hui “d’agricole”.

Plusieurs de ces rhums des élites ont été primés à l’Exposition universelle de Paris en 1878 : Littée, Dariste, Cornet de Venancourt, Vieux Rousseau, Gradit Fils qui sont des rhums de békés, mais d’autres comme Marius Hurard, des rhums Hurard, médaille et Jules Duquesnay, sont des personnes de couleur.

Comment était-il consommé ?

On sait que beaucoup de gens consommaient du tafia et du rhum, le midi à la pause déjeuner. C’était l’apéritif martiniquais traditionnel que tout le monde consommait. Les grands vins et le champagne étaient eux destinés aux moments importants : baptême, mariage, bal entre élites sociales… On a retrouvé énormément de bouteilles chez certains individus et on peut supposer qu’ils en consommaient donc quotidiennement, des vins de Bordeaux notamment.

Mais on suppose que, vu que Saint-Pierre était la capitale mondiale du rhum à l’époque, les Martiniquais devaient en consommer beaucoup. Plus de 18 millions d’hectolitres de rhums (surtout industriel) étaient alors produits à Saint-Pierre, surtout avec de la matière première en provenance des îles des Petites Antilles !

Connaît-on les chiffres de la consommation de rhum à cette période ?

C’est difficile de savoir faute de chiffres. L’éruption de 1902 a détruit beaucoup d’archives. On ne les a pas pour le rhum en tout cas. Par exemple, il y avait une maison de santé à Saint-Pierre qui accueillait 200 personnes, sans doute que beaucoup du fait des conditions de travail difficiles dans les champs et les usines, étaient alcooliques. Il faut sans doute chercher de ce côté.


“Le goût de l’ivresse en Martinique, le vin des élites, l’élite des vins 1880-1910”
Par Abel Alexis Louis
Edition de l’Harmattan