Ancien du bâtiment, reconverti dans la vente de machine à extraire le jus de canne après un voyage au Vietnam, Christophe Luijer pourrait bien faire naitre une branche qui manque encore au monde du rhum : les rhums de pur jus de canne ‘craft’.
En effet, si des distilleries craft travaillant la mélasse poussent comme des champignons sur la planète grâce à la possibilité de faire venir de loin et dans un état stable cette matière première, c’était jusqu’alors impossible pour le jus de canne (il devient impropre à la distillation au bout de quelques heures).
Or Christophe Luijer a inventé un procédé permettant de congeler, et donc de faire voyager le jus de canne à sucre, tout en lui conservant ses propriétés aromatiques. Et quelques distilleries de France et d’ailleurs s’essaient désormais à distiller ce jus de congelé, puis réchauffé. Affaire à suivre !
Fabien HUMBERT : Comment est née l’aventure SO’KANAA ?
CL : Il y a 8 ans, à l’époque où j’étais directeur technique et chargé de travaux dans le bâtiment, j’ai eu l’occasion – lors d’un voyage touristique au Vietnam – de rencontrer des artisans qui, au bord des routes, extrayaient le jus de canne frais à l’aide de machines motorisées. Cette opération était traditionnellement réalisée à l’aide d’équipements encombrants, bruyants mais surtout dangereux pour leurs utilisateurs puisqu’on déplorait de nombreux accidents…
J’ai donc eu l’idée de creuser le sujet et conçu les plans d’une nouvelle machine qui est un « extracteur de jus de canne à sucre mobile » : la SOKANAA-1 était née ! Ensuite, je me suis rapproché d’une usine locale, ce qui m’a permis de mener à bien les tests sur mon premier prototype. Enfin, j’ai fait auditer sur place ce premier modèle de machine par un bureau de contrôle allemand (TÜV Rheinland).
Une semaine plus tard, je recevais un rapport technique modificatif de 30 pages ! Ces formalités indispensables ont quand-même duré 8 mois avec un coût de 12.000 $ pour finalement réussir à mettre mon nouvel extracteur en parfaite conformité avec les normes européennes « C.E. ».
C’est alors que j’ai pu commencer à faire produire mes machines au Vietnam pour les importer en France et les commercialiser en Europe puis dans le monde entier.
FH : Comment est-ce que ça marche ?
CL : C’est enfantin et surtout sans danger, il suffit juste d’introduire les bâtons de canne dans le tube de guidage sécurisé. Ces derniers sont immédiatement entrainés puis aplatis entre les deux rouleaux de broyage situés au cœur de l’appareil. A la sortie, le jus produit est automatiquement filtré et chute dans une carafe par gravitation, il ne vous reste plus qu’à le déguster bien frais ou sur un lit de glaçons… Il faut environ 1,6 Kg de canne pour produire 1 litre de jus, cela correspond à un verre tous les 50 centimètres de canne, en moyenne.
FH : Et d’où provient la canne ?
CL : Même s’il est toujours possible de faire venir par avion de la canne fraîche du Vietnam, cette opération n’est pas viable économiquement car ce mode de transport s’avère coûteux (environ 2000$ la tonne). Plus grave encore, au bout d’une semaine, cette canne importée « fraîche » fermente et devient très rapidement impropre à la consommation.
C’est pour ces raisons que nous avons fait le choix technique de gratter et de rincer nos cannes puis de les tronçonner en morceaux de 50 centimètres et de les biseauter (ce qui facilite grandement leur passage en machine). Elles sont ensuite surgelées afin de pouvoir les conserver et livrées « prêtes à l’emploi » dans des sacs hermétiques d’un poids unitaire de 15 Kg.
Cela fait maintenant plus de 7 ans que je commercialise mes extracteurs SOKANAA sur les différents continents ainsi que la matière première (la canne surgelée « prête à l’emploi ») indispensable à la production de jus frais sous toutes les latitudes. Pour la petite histoire, il m’arrive même de vendre de la canne à sucre dans des régions productrices telles que la Réunion ou à la Martinique car la nôtre est ultra simple d’utilisation et possède aussi toutes les certifications sanitaires requises en France.
FH : Où trouve-t-on vos machines à jus de canne en France ?
CL : Notre machine est généralement utilisée dans les CHR mais elle est aussi demandée pour les marchés, salons, évènements, mariages, etc… Il va de soi que les communautés issues des Antilles, de la Réunion, d’Asie du Sud Est, d’Afrique et du Brésil apprécient tout particulièrement notre jus de canne, servi bien frais !
FH : Comment consomme-t-on le jus de canne frais ?
CL : Il est principalement consommé fraichement pressé (comme un jus de fruit) avec ou sans glaçons mais également servi en cocktails dans certains bars, tels que le1802 de l’hôtel Monte Cristo à Paris (5e).
C’est un breuvage 100% naturel, sans additif ni sucre ajouté et il est recommandé par la plupart des diététiciens. Un questionnaire adressé à 150 thérapeutes à fait l’objet de 50 réponses dont 68% recommandent la consommation du jus de canne. On y trouve même de la vitamine B12, alors que cette dernière est d’origine animale.
Comment se fait-il ? Tout simplement parce de la bouse de vache un engrais naturel traditionnellement utilisé dans nos plantations de canne à sucre. Heureusement, cela ne nous a pas empêché de faire partie du label « Végan France » !
« Le jus de canne congelé rend possible la distillation de rhum pur jus de canne partout sur la planète »
FH : Et après avoir commencé à vendre vos machines, vous vous êtes lancé dans le commerce de jus de canne en bouteille ?
CL : Comme nous avions régulièrement des demandes, nous avons longuement cherché et réussi à mettre au point un procédé spécial de fabrication pour stabiliser le jus de canne et permettre aux amateurs de le déguster en petites bouteilles sans être obligé de recourir à l’usage d’un extracteur.
Le jus de canne SOKANAA, élaboré à l’aide de ce procédé exclusif (un secret de fabrication jalousement gardé), reste parfait avec une robe tirant sur le jaune clair orangé. L’ajout de 3% de calamansi (un petit agrume asiatique) joue le rôle de conservateur d’anti-oxydant naturel. En 2020, nous avons aussi lancé une nouvelle gamme par la création de nouvelles saveurs.
Il s’agit de nectars qui sont des assemblages de jus (sans aucun sucre ajouté). Pour le moment, nous commercialisons nos produits sur internet, à Rungis (pour les professionnels) et dans les CHR, principalement en Ile-de-France. Désireux de toucher un public plus large, nous nous intéressons aussi aux commerces de proximité.
FH : Et ce jus de canne conditionné, est-ce qu’on peut s’en servir pour faire du rhum ?
CL : Tout à fait, puisque nous enregistrons aujourd’hui une demande croissante en métropole sur ces productions. Le jus de la canne à sucre constitue naturellement la base de tous les rhums, qu’ils soient agricoles, issus de mélasse, jeunes ou vieillis.
Notre entreprise fournit, entre autres, du jus de canne à la « Distillerie Baptiste » dans le Cantal, à la « Distillerie d’Îsle-de-France » en Seine & Marne ainsi qu’à des marques telles que « Le Métropolitain » dans les Bouches du Rhône et même en Belgique avec « Le Massacre ». Dans ce cas, il s’agit d’un produit « semi-fini » conditionné en fûts métalliques de 200 litres qui sont surgelés afin de pouvoir les conserver et permettre leur acheminement dans le monde entier.
Il faut toutefois se montrer attentif au moment de la décongélation, c’est la raison pour laquelle, lorsqu’il fait froid, on entoure les fûts avec des ceintures chauffantes. On agite ensuite le contenu avec un malaxeur pour obtenir une parfaite répartition du sucre avant de procéder à la fabrication du rhum. Cette année, nous en avons déjà produit et importé plusieurs tonnes en Europe.
Cette nouvelle méthode de fabrication nous donne maintenant la possibilité de produire des rhums « pur jus de canne » et ce, même dans les pays non producteurs tels que la France.
FH : Et quels sont vos projets à court terme ?
CL : S’adosser à un distributeur national afin de pouvoir diffuser largement nos nouvelles saveurs : « Canne & Calamansi », « Canne & Goyave rose », « Canne & Fruits de la passion », « Canne & Mangue sauvage » et « Canne & Baies d’açaï » et aussi d’entrer en relation avec des investisseurs de référence en vue de booster notre développement et nos projets en cours.