Interview réalisée le 07/04/2020
Rumporter : Pouvez-vous nous faire un point à date (8 avril) de l’évolution de la maladie en Martinique ?
Charles Larcher : A ce jour (mercredi 9 avril), l’Agence Régionale de Santé de Martinique dénombre 154 cas de Coronavirus. Le virus est donc présent et il convient de respecter scrupuleusement les consignes gouvernementales en matière de confinement et de gestes barrières.
R : Alors que nous sommes en pleine période de récolte, pouvez-vous nous raconter concrètement comment vous vous êtes organisés sur le site de production. Quels métiers sont en télétravail, au chômage partiel ou nécessitent une présence physique ?
CL : Nous avons une démarche QHSE (Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement) qui est en place pour préserver la santé de nos collaborateurs et mettre en application les gestes barrières préconisés par l’Etat. Le fonctionnement de nos différentes entreprises a été adapté selon les contraintes inhérentes à chaque poste. La partie agricole n’est pas affectée car la récolte de la canne est mécanisée à plus de 95%. Les conducteurs de machines à couper la canne et les tracteurs opèrent seuls dans les cabines de leurs engins respectifs.
Au sein des distilleries, chaque poste de production est en général géré par un seul opérateur. Les collaborateurs sont donc suffisamment éloignés les uns des autres et ont d’ailleurs l’habitude de communiquer entre eux par talkie-walkie. Leurs conditions de travail n’ont donc été que très peu modifiées et nos distilleries et sites de production continuent à tourner quasi normalement. Enfin, pour la partie administrative et commerciale, nous avons instauré le télétravail à chaque fois que cela était possible et aménagé le temps de travail et l’organisation physique des bureaux lorsque le télétravail était impossible.
Il faut souligner que nos collaborateurs sont très fiers de continuer à produire pendant cette période difficile et de pouvoir participer à l’effort national en produisant et en offrant de la solution hydroalcoolique pour les acteurs de santé et de sécurité de Martinique qui en ont fort besoin en ce moment.
R : Récemment le gouvernement via deux décrets ministériels a facilité le don d’alcool surfin (90% minimum) aux pharmaciens et autre opérateurs habilité à produire du gel hydro alcoolique ? Avez-vous actuellement de quoi accéder à ce besoin sachant que la plupart des rhums agricoles et notamment en Martinique sont distillés à moins de 80%.
CL : Pour pouvoir produire de la solution hydroalcoolique, nous avons dû adapter nos méthodes de distillation en produisant du rhum à 90% à partir de nos colonnes.
Deux initiatives ont été mises en place en parallèle pour répondre à des besoins diversifiés. Ces initiatives sont menées en collaboration avec la société industrielle Pro-Chimie qui bénéfice du savoir-faire et des agréments nécessaires au recettage de solutions hydroalcoolique respectant les normes instaurées par l’OMS :
- Le CODERUM (qui regroupe les acteurs de la filière Canne-Sucre – rhum de Martinique) a demandé à chaque distillerie de participer à la fourniture de rhum afin de faire réaliser et d’offrir 17 000 flacons de SHA aux hôpitaux et services publics.
- Le groupe GBH s’est engagé, au travers de ses structures, à fournir 15 000 litres d’alcool à 90% produits à la distillerie J.M pour élaborer de la solution hydroalcoolique conditionnée en poche à BIB de 5 litres. A ce jour, plus de 8000 litres de SHA ont déjà été offerts aux personnels de santé et de sécurité de l’île.
R : Si oui, comment cela se passe-t-il concrètement ? S’agit-il d’un achat de la part de l’état ? Qui fixe le prix ? A qui devez-vous concrètement livrer cet alcool ?
CL : Ces deux initiatives conjointes sont à 100% des dons caritatifs. Il s’agit d’actions menées par des entreprises martiniquaises tout naturellement soucieuses de servir le territoire martiniquais. En tant qu’acteurs locaux, nous avons un rôle sociétal à jouer et je suis simplement fier de pouvoir y apporter mon soutien.
Après avoir étudié les demandes, trois publics prioritaires ont été identifiés :
- Les hôpitaux, EHPAD, maisons de soins. L’ARS Martinique compile les besoins puis les transmets au CODERUM et à GBH. La livraison est organisée par SOPHARMA (grossiste en pharmacie) qui a mis à disposition ses camions pour le portage.
- Les différentes Union Régionales des Professionnels de Santé (infirmières, médecins, pharmaciens, sages-femmes, kinésithérapeutes, dentistes, etc.) et structures intervenant auprès des personnes âgées à domicile (ADARPA, UROSAP972, CTM).
- Les services de l’état en charge de la sécurité : policiers, gendarmes, pompiers, militaires. La préfecture a compilé les demandes puis les a transmises aux équipes de Rhum Clément qui ont mis à disposition leurs camions pour assurer les livraisons.
R : Savez-vous quelles conséquences, la crise impliquera sur votre propre production de rhum ?
CL : Comme précisé, la production de rhum n’est pas trop altérée par la crise actuelle. Nous verrons comment la situation évolue dans les prochains jours.
R : Avez-vous déjà perçu un impact de la crise sur les ventes ?
CL : Pendant cette période dite de « carême » chez nous, il n’y a pas beaucoup d’évènements festifs en Martinique. Cependant nous sommes (étions…) toujours en haute-saison touristique et sachant qu’un tiers des ventes de rhums locales sont réalisées par les touristes séjournant sur l’île et que toutes les activités de ce secteur ont été stoppées à cause de la crise, je m’attends à voir une forte baisse de nos ventes. Il est aussi indéniable que les conséquences économiques seront majeures et affecteront durablement l’activité commerciale en Martinique mais aussi et surtout en métropole et à l’international.
VOIR LE DOSSIER COMPLET