Cette fois-ci, c’est à Bordeaux que la rubrique Rhum Hexagonal nous emmène. Notamment en suivant les pas de Xavier Piron, qui après avoir passé quelque temps chez Papa Rouyo en Guadeloupe, a posé ses valises dans la capitale du vin… où l’on produit aussi du whisky, du gin et bien sûr, du rhum! Rencontre avec Antoine Gravouil (AG), Arnaud Chevalier (AC) et donc Xavier Piron (XP), les men in black (T-shirt) de la distillerie urbaine et craft The Bordeaux Distilling Company.
Xavier tout d’abord, la dernière fois qu’on s’était parlé, tu travaillais en Guadeloupe chez Papa Rouyo et te voilà désormais à Bordeaux. Que s’est-il passé ?
XP : L’aventure Papa Rouyo a été une superbe expérience. Après 2 ans et demi, j’ai pris la décision de revenir en Métropole pour des raisons personnelles. Lors d’une tournée en métropole, j’ai rencontré les équipes de la Bordeaux Distilling Company.
Quand j’ai su qu’il y avait un poste, j’ai envoyé une candidature afin de poursuivre dans les chais tout en travaillant davantage sur la distillation. Le tout en binôme avec Arnaud.
Antoine, quand et comment avez-vous créé la Bordeaux Distilling Company ?
AG : Nous avons d’abord créé Sauvelle en 2015, une marque de vodka premium. Très vite, l’envie de se frotter à d’autres spiritueux et surtout d’avoir notre propre distillerie a fait son chemin.
En 2018, nous avons trouvé un local proche du centre de Bordeaux afin d’y installer une distillerie urbaine, accessible au consommateur où la transparence sur nos process de fabri- cation prime. Grand fan de rye whisky, il était tout naturel de penser et développer des installations capables de dompter cette céréale capricieuse.
Par quels produits avez-vous débuté l’aventure ?
AG : Le temps d’être opérationnel avec notre matériel, nous avons développé des produits de macération, notamment Brunette, une liqueur de café bio, sur laquelle nous avons travaillé en collaboration avec un torréfacteur bordelais.
À cela, vient s’ajouter une gamme de trois gins à l’identité propre : un London Dry, un Navy Strength et un Old Tom. Nous avons également créé un Amaro et une liqueur de Rye. Le Rhum Urbain n’était a priori pas dans notre stratégie initiale, mais les retours étant positifs, l’arrivée de Xavier tombe à pic pour développer ce spiritueux.
2024 est une année importante pour nous avec l’arrivée de notre premier whisky de seigle en fin d’année (quatre ans d’âge) qui signe un réel accomplissement du travail effectué ces dernières années.
Quelle est l’identité de ces produits ?
AC : Notre ADN est tout d’abord porté sur la production de whisky de seigle (rye whisky), cette céréale est ancrée dans l’identité de plusieurs de nos produits. La vision que nous développons sur notre gamme est inspirée du modèle de craft distilleries nord-américaines, c’est-à-dire que nous valorisons la transparence de notre production sans nous limiter dans la gamme de produits et/ou process.
Cette approche nous donne la liberté de créer de manière innovante. L’une des marques de fabrique de la BDC c’est de pouvoir distiller avec des solides. Ces solides sont encore pleins d’arômes et donnent une autre dimension à nos distillats.
Contrairement à la quasi-totalité de nos confrères qui font le choix de filtrer leur moût ou leur infusion avant distillation, principalement du fait à de contraintes techniques (brûler les solides lors de la distillation ou impossibilité de vider les solides de leurs alambics). Nous avons fait le choix de distiller nos moûts avec le grist (substance farineuse solide), sans filtration après l’empâtage, mais aussi de distiller nos alcools blancs avec les fruits entiers !
Le seigle, ou rye, qui donne la trame de nos whiskies, mais aussi du rhum comme nous allons le voir. Notre seigle est issu de l’agriculture biologique et provient de malteries artisanales françaises. En ce moment nous collaborons avec une malterie savoyarde et une autre tarnaise.
Pouvez-vous nous expliquer comment on fait un whisky rye à base de céréales entières et quel est l’intérêt gustatif ?
A.C : La première étape, l’empâtage, reste la même qu’un whisky au moût filtré : la céréale est brassée avec de l’eau chaude. Néanmoins, au moment du refroidissement du moût et du transfert vers la cuve de fermentation, nous ne séparons pas le grist du liquide.
Nous fermentons notre moût avec la céréale pendant 6 à 7 jours puis nous transférons notre brassin avec la céréale dans notre alambic afin d’être distillés. C’est grâce à des pompes spéciales et des tuyaux de large diamètre que nous pouvons déplacer ces moûts très denses de nos cuves à l’alambic.
L’agitateur intégré dans notre pot still combiné à une chauffe douce via un manteau de vapeur nous permet de distiller avec la céréale sans la brûler. Le résultat est un distillat riche et complexe décuplé par l’extraction de tous les arômes des céréales encore présentes dans celle-ci.
Parlez-nous de votre alambic ?
AC : C’est un alambic hybride de 750 L composé d’un pot traditionnel muni d’un agitateur et chauffé par vapeur, d’une colonne de rectification à six plateaux et d’un panier botanique. Ce qui le rend hybride c’est que nous pouvons choisir de distiller simplement avec notre pot en double passe ou bien de coupler le pot à la colonne et/ou panier botanique selon nos envies et
besoins.
XP : C’est un appareil très polyvalent qui permet de distiller différentes eaux-de-vie, en simple ou double distillations.
Et le rhum dans tout ça ?
XP : Notre premier rhum a été distillé à Bordeaux à partir d’une mélasse bio importée du Laos. On l’a fait fermenter pendant 7 jours avant de le laisser stabuler en cuve inox pendant 12 mois, lui permettant ainsi de s’homogénéiser.
Notre rhum urbain a ensuite vieilli en quarter cask de chêne français ex-rye à un degré de 60,3 %. Deux ans plus tard, il a été embouteillé brut de fût à 62,6 %. Dans une dynamique de transparence, tout ceci est indiqué sur l’étiquette.
L’idée est de marquer l’aromatique du rhum avec l’identité de la distilLerie qui fait du rye whisky (seigle) tout en conservant les marqueurs d’un rhum de mélasse.
Xavier, toi qui as connu le vieillissement tropical, qu’est-ce qui change avec le vieillissement continental ?
Ils sont très différents! En Guadeloupe j’avais l’habitude de goûter les fûts très régulièrement, l’extraction étant plus rapide. Avec le vieillissement continental, l’élevage requiert plus de patience. Pourtant à la BDC, il peut y avoir une part des anges très importante, jusqu’à 11,5 %.
11,5 % de part des anges, ça paraît énorme pour un vieillissement continental !?
XP : C’est effectivement une particularité de la distillerie, le chai se trouvant dans un hangar, nous observons d’importants contrastes de températures entre hivers froids et étés très chauds. L’air sec favorise également l’extraction tannique.
AC : Chaque type de vieillissement à ses avantages et inconvénients, ici notre atout est d’avoir un chai avec une grosse extraction qui fonctionne très bien sur une durée courte néanmoins nous réfléchissons à utiliser d’autres types de chais, plus tempérés et humides, pour contrôler au mieux les extractions sur des temps de vieillissement plus longs.
Au niveau de la production (fermentation, distillation, vieillissement…) quelles sont les différences entre un rhum de mélasse et un rhum de pur jus canne Xavier ?
XP : Là où la fragilité des purs jus de canne nécessite un travail quasi immédiat après récolte, la mélasse permet de réaliser des fermentations après transport. Les fermentations peuvent être plus longues en fonction du choix des levures ou de l’acidification des moûts.
À l’instar des rhums agricoles, la double distillation des mélasses confère une aromatique et une texture singulières. Pour le vieillissement, la différence majeure ne réside pas dans la matière première, mais plutôt dans la localisation, l’atmosphère du chai et le choix des fûts (origines, chauffes, grains…).
Quels sont vos projets concernant les rhums ?
AC : Nous avons encore du rhum urbain en vieillissement, et nous allons développer d’autres produits dans le futur. On ne va pas faire pousser de la canne à Bordeaux malheureusement. Le climat ne s’y prête pas.
Mais nous sourçons d’autres mélasses bio provenant d’autres pays pour jouer sur les origines. Puis nous allons travailler davantage sur les fermentations ainsi que sur les vieillissements en fût de rye, avec des ratios de céréales qui varient, avec des contenances et chauffes variées, des bois français ou américains …
Selon l’identité de la mélasse sourcée, on choisira un fût qui lui correspond au mieux. Il y aura toujours une trame rye sur nos Rhum Urbain, même si on ne s’empêche pas d’utiliser d’autres types de fûts en addition.
Où trouver vos rhums, vos whiskies et vos gins ?
AC : Vous pouvez trouver l’intégralité de nos produits sur notre site internet, mais aussi bien sûr en caviste et en bar surtout au niveau régional, mais aussi sur le plan national.