Rhum en crime est une série d’histoires vraies présentées de manière romancée, dans lesquelles le rhum joue un rôle. Ces courts récits évoquent aussi bien des meurtres que des affaires de fraudes.
Paris, samedi 9 janvier 1932. Robert Noulin, ancien commerçant en beurre et œufs reconverti dans le rhum, se rend place de la Bastille. Il y rencontre Charles Deleuze, la trentaine, vérificateur des contributions indirectes. Ce que ces deux hommes ignorent, c’est qu’ils sont surveillés de très près par la police. En effet, depuis quelques temps, elle est informée qu’un représentant de commerce écoule du rhum dans des débits de boissons à des prix très avantageux. L’enquête les a menés jusqu’à Robert Noulin qui se dirige en ce jour, de la Place de la Bastille à la rue Saint-Bernard.
Ils patientent sur le trottoir en scrutant les véhicules motorisés circulant sur la voie. Ils aperçoivent un camion s’engageant dans la rue. Robert Noulin esquisse un sourire. Le camion s’arrête à leur hauteur. Deux personnes en descendent et déchargent trois fûts de rhum, soit en tout 400 hectolitres. Les barriques sont apportées dans le débit de boisson à proximité et nos quatre personnages décident de boire un verre avant de se séparer. C’est à ce moment que les policiers se décident à intervenir.
Le coup de filet conduit tout ce beau monde au commissariat, pour un interrogatoire. Les deux livreurs s’avèrent être des employés d’un certain Victor Paul, négociant en rhum d’origine bordelaise, opérant à Paris. Les fûts étaient destinés à M. Charles Deleuze qui avait dégoté un client.
Deleuze, vérificateur des contributions indirectes de son état, reconnaît des erreurs malheureuses commises dans le cadre d’un réseau de fraude, parrainé par le bienveillant Raoul Albinet, vérificateur principal. L’objectif de la manœuvre était simplement d’augmenter son traitement de fonctionnaire qu’il jugeait bien bas. Voilà ce qu’il ressort de l’interrogatoire.
La police ordonne alors l’arrestation de Messieurs Paul et Albinet. Lorsque celle-ci déboule chez le négociant en rhum, il se précipite pour détruire des papiers. Mais les enquêteurs parviennent à interrompre son mouvement destructeur. Ces documents sont ce qu’on appelait alors des « congés ». Il s’agit de petits formulaires indiquant que les droits ont bien étaient payés par le négociant et qu’il peut librement écouler sa marchandise. Sauf que ces congés sont des congés en blanc.
Car c’est ainsi que procédaient les malfaiteurs. Deleuze fournissait, avec la complicité d’Albinet, des congés de sortie en blanc au négociant Victor Paul. Le degré d’alcool sur lequel se base la fiscalité, étaient sous-évalué par les vérificateurs, voir pas évalué. Les 400 hectolitres sortis en ce mois de janvier 1932, coûtèrent 8743 francs au fisc.
Malgré l’avancée rapide de l’enquête dans les premiers jours, le juge d’instruction doit étudier chaque fraude une par une pour évaluer l’étendue du manque à gagner. Le procès se tient alors au mois de décembre 1932. Tout est décortiqué. A l’issue de trois jours de débats, les vérificateurs sont condamnés à de la prison ferme, et les commerçants Paul et Noulin sont acquittés.